Les fenêtres de l’hôpital pour enfants de la Fondation Lenval donnent sur la mer, à quelques mètres de l’endroit où le camion a bifurqué sur le trottoir de la promenade des Anglais pour percuter les premières victimes, le 14 juillet 2016. Dans les quinze jours qui ont suivi l’attentat, 668 enfants et parents ont été reçus en urgence par les pédopsychiatres de l’établissement. Parmi eux, Kenza, une petite fille âgée alors de quatre ans et demi. Le camion lui a foncé dessus devant un stand de bonbons. Sa mère, Hager, s’est jetée avec elle sous les roues pour la sauver.
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” Des enfants très agités ou complétement figés”
Kenza consulte chaque semaine au centre d’évaluation pédiatrique du psychotraumatisme (CE2P) de Lenval. Un service créé six mois après l’attentat pour accueillir spécifiquement les enfants victimes du 14 juillet 2016 . “Nous avons vu arriver des patients dans des états de stress traumatique aigu” , se souvient Florence Askenazy, cheffe de service et professeur de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. “Ce sont des enfants qui étaient très agités ou complétement figés. Il y avait des formes de reviviscences. Ils sursautaient. D’autres avaient arrêtés leur développement” , décrit-elle.
Dans les bureaux de consultations du CE2P, des jouets sont soigneusement disposés sur des petites tables. Ils n’ont pas été choisis au hasard. Il y a une voiture de police, un hélicoptère, un camion de pompier, une ambulance, un scanner miniature ou encore un camion blanc. “Au début, les jeunes enfants prenaient les jouets et répétaient la scène dans un coin. Ils reprenaient toujours le petit camion blanc, mettaient des personnages à terre comme s’ils étaient morts, avec l’ambulance qui venaient les chercher. Il faut alors vraiment aider l’enfant à ne pas être envahi totalement par la répétition de l’événement traumatique” , explique le professeur Askenazy.
Kenza, 4 ans et demi, a dessiné le camion et sa mère recouverte de sang après l’attentat.
Anticiper l’impact du procès
Le centre a mis en place un programme de recherche intitulé “14-7” afin d’étudier les conséquences psychologiques ou psychiatriques de l’attentat. 289 parents y participent ainsi que 403 enfants. Certains ont moins de sept ans, ils étaient donc des bébés le 14 juillet 2016. D’autres sont désormais majeurs. Les pédopsychiatres les suivront jusqu’à leurs 25 ans. “La brutalité du mode opératoire a laissé des traces très importantes”, précise le Pr Askenazy.
Un tiers des patients ont encore des symptômes invalidants, d’autres reviennent consulter de façon sporadique et un dernier tiers va bien. Ils ont développé une forme de résilience. L’hôpital accueille néanmoins chaque semaine de nouveaux patients qui se plaignent de peurs, d’angoisses ou de troubles de la concentration en lien avec l’attentat. Les demandes de rendez-vous augmentent depuis le printemps, à mesure que le procès approche. Car à partir de lundi 5 octobre, sept hommes et une femme seront jugés par la cour d’assises spécialement composée à Paris : des connaissances du terroriste abattu au volant du camion ou d’autres soupçonnés de lui avoir fourni une arme. Un procès qui commence quelques jours à peine après la rentrée scolaire.
En consultation, certains enfants ont commencé à poser des questions sur l’audience à venir. “Une petite fille de 7 ans nous a demandé si un procès permettait de remettre de l’humanité. Je crois qu’elle a tout compris. Pour l’enfant, il s’agira avant tout de comprendre qu’il est une victime. Une victime d’un autre être humain” , détaille Michèle Battista, la responsable du CE2P. “Le service sera vigilant. Il y a des patients qui iront moins bien. Le procès pourrait les amener à se poser des questions qu’ils ne s’étaient jamais posées” , prévient la pédopsychiatre.
Après l’attentat, des enfants traumatisés répétés la scène avec des jouets.
© Radio France – Mathilde Vinceneux
Une visite virtuelle de la salle d’audience, une BD et une étude du sommeil des enfants
Une série d’outils ont été mis en place pour accompagner aux mieux les jeunes patients. En partenariat avec des associations et notamment l’association Montjoye , le CE2P distribue des dépliants explicatifs sur le fonctionnement d’un procès d’assises terroriste. Un jeu immersif a également été pensé pour permettre aux enfants de visiter virtuellement l’immense salle du palais de justice de Paris. “L’enfant choisit son avatar et pourra s’assoir à n’importe quelle place : celle d’une partie civile, celle d’un avocat ou d’un avocat général ou même celle d’un accusé” , détaille le Dr Michèle Battista. Ils pourront ensuite formuler des questions et des liens seront envoyés avec des réponses adaptées.
Pour détecter d’éventuelles réapparitions de symptômes de stress post traumatique, les médecins pourront s’appuyer sur une bande dessinée. Au fil des pages, Dany, un petit personnage victime de l’attentat, dévoile ses humeurs et sensations. L’enfant doit dire s’il partage son ressenti en fonction des situations et si oui, à quelle fréquence. “Dany a peur de choses qui ne l’effrayaient pas avant l’attentat, est-ce que tu te sens souvent comme Dany ?” , interroge le docteur Battista face à une jeune lycéenne. “Ça m’arrive, j’ai souvent peur qu’un camion m’enlève ou me fonce dessus. Je suis très vigilante dans la rue” , répond l’adolescente. Elle avait 12 ans le 14 juillet 2016.
Pour les plus jeunes victimes, celles qui avaient entre sept et douze ans au moment de l’attentat, des montres connectées seront proposées pour suivre leur sommeil pendant toute la durée du procès. Une centaine d’enfants vont participer à cette étude. Il s’agit de détecter les troubles ou les cauchemars qui viendraient perturber leurs nuits.