« Les dirigeants du Maroc portent la responsabilité des crises successives qui nous ont fait entrer dans un tunnel sans issue. » Petites phrases assassines, démonstrations de force et rumeurs auront eu raison de la fragile relation entre Alger et Rabat. Ce 24 août, le ministre algérien des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a annoncé la rupture des relations diplomatiques entre l’Algérie et le Maroc. « Il a été prouvé que le royaume n’a pas cessé un jour ses œuvres inamicales, basses et hostiles contre l’Algérie depuis l’indépendance », a-t-il déclaré.
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La rupture était dans l’air du temps, « les Marocains ayant atteint un point de non-retour », selon une confidence d’une source diplomatique au Figaro. La semaine dernière, à l’issue d’une réunion extraordinaire du Haut Conseil de sécurité, la présidence algérienne avait médiatisé son intention de « revoir » ses relations avec le pays voisin. « Les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l’intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest », avait indiqué un communiqué.
Détérioration notable
Sans aucune preuve, Alger accuse Rabat d’être impliqué, avec Israël, dans les incendies de l’été qui ont fait au moins 90 morts dans le nord de l’Algérie, via son soutien au Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie (MAK) auquel appartiennent, selon le pouvoir, les individus à l’origine des feux et du lynchage à mort d’un bénévole. Ramtane Lamamra a insisté mardi après-midi.
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En réalité, voilà bien longtemps que les deux voisins ne s’entendent plus – la frontière terrestre est fermée depuis 1994 –, toute réconciliation étant, de l’avis des observateurs politiques des deux pays, « impossible tant que ne sera pas réglée la question du Sahara occidental », territoire contesté sur lequel le Maroc revendique sa souveraineté et pour lequel l’Algérie réclame l’autodétermination tout en soutenant le mouvement indépendantiste, le Front Polisario. Mais les relations ont connu une détérioration notable en novembre 2020, après l’intervention militaire marocaine au poste-frontière de Guerguerat, zone tampon entre le Sahara occidental et la Mauritanie, en réaction, selon la version de Rabat, « à l’incursion de milices affiliées au Front Polisario ». Un acte assimilé par les Sahraouis et les Algériens à une violation du cessez-le-feu signé en septembre 1991 sous l’égide de l’ONU après seize ans de guerre.
Depuis cette opération, les tensions n’ont cessé de s’accentuer, chaque incident servant de foyer pour raviver, à grand renfort de trolls lâchés sur les réseaux sociaux, les animosités de part et d’autre. En décembre 2020, la normalisation des relations entre le Maroc et Israël en échange de la reconnaissance par les États-Unis de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental a provoqué une série de réactions à Alger, où le pouvoir a dénoncé « l’arrivée de l’entité sioniste » à ses frontières.
«Agressions dangereuses»
En avril, une instruction présidentielle a ordonné à plusieurs entreprises algériennes de rompre leurs contrats avec des sociétés étrangères, notamment marocaines, susceptibles de « porter atteinte » au pays et « à sa sécurité ».
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Signe que les temps étaient en train de changer : en juillet, Ramtane Lamamra, ténor de la diplomatie algérienne reprend les commandes des Affaires étrangères face à son non moins redoutable homologue marocain Nasser Bourita. Et dès son arrivée, les hostilités reprennent. Il accuse la représentation diplomatique marocaine à New York – où se joue une partie importante de la guerre autour du Sahara occidental – d’avoir distribué une note officielle exprimant « un soutien public et explicite à un prétendu “droit à l’autodétermination du peuple kabyle” » qui, selon ladite note, subirait « la plus longue occupation étrangère ». L’ambassadeur d’Algérie à Rabat est rappelé pour consultation. Il n’y est jamais revenu.
«Le Maroc est devenu la base arrière pour la planification d’une série d’agressions dangereuses contre l’Algérie dont les dernières sont les fausses accusations lancées par le ministre des Affaires étrangères israélien contre l’Algérie en présence de son homologue marocain, qui est en fait l’instigateur de ces déclarations », souligne Ramtane Lamamra en évoquant les propos de Yair Lapid. En visite au Maroc les 11 et 12 août, ce dernier avait manifesté son « inquiétude au sujet du rôle joué par l’Algérie dans la région, son rapprochement avec l’Iran et la campagne qu’elle a menée contre l’admission d’Israël comme membre observateur de l’Union africaine ».
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Dans ce contexte, les révélations sur le logiciel espion Pegasus utilisé par le Maroc confortent Alger dans ses convictions. Les appels à l’apaisement de Mohammed VI et les offres de Rabat pour aider Alger à combattre les incendies, ne sont plus entendus. « Derrière les discours affables, il y a des actes hostiles », résume froidement une source diplomatique à Alger, avant de conclure,« la rupture était inéluctable. »
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