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Si la puissance militaire du djihadisme est affaiblie, ses causes demeurent largement présentes.
Dans tout le monde développé, l’État islamique se restructure sous la forme d’un réseau social cherchant à radicaliser et en « régimenter » la jeunesse.
Mossoul a été reconquise au terme de neuf mois de combats acharnés par 20.000 hommes des forces irakiennes – dont plus de 1000 ont été tués – qui affrontaient quelque 5000 djihadistes. A Raqqa, se trouvaient 3000 combattants au milieu de 100.000 civils. Enfin, Abou Bakr al-Baghdadi, qui avait proclamé le califat le 29 juin 2014, a-t-il ou non été tué par une frappe aérienne.
Tout cela a conduit le premier ministre irakien, Haïdar al-Abadi, à l’occasion de la libération de Mossoul, à proclamer la fin de l’État islamique. Cette annonce était tout aussi prématurée et aventureuse que la proclamation par George W. Bush, le 1er mai 2003, de la victoire et de l’arrêt des combats en Irak.
La reprise de Mossoul et celle de Raqqa marquent un incontestable tournant dans la guerre contre l’État islamique. Ces victoires actent la fin du califat, c’est-à-dire d’une entité politique d’inspiration salafiste s’étendant sur une vaste partie de l’Irak et de la Syrie, ancrée dans la population sunnite, financée par les ressources pétrolières, disposant d’une armée et d’une organisation administrative. Pour autant, la libération de Mossoul est très loin d’enterrer l’idéologie du djihad mondialisé.
L’État islamique n’est pas mort ; il mute. Au Moyen-Orient, les djihadistes se fondent dans le flot des réfugiés et se regroupent au nord de l’Irak et de la Syrie ainsi que le long de la vallée de l’Euphrate. De nouveaux théâtres d’opérations s’ouvrent en Asie: en Afghanistan avec la conquête du complexe des grottes de Tora Bora ; aux Philippines avec l’occupation de Marawi ; en Indonésie et même en Chine où se multiplient les cellules dormantes. L’État islamique progresse également en Afrique, de l’Égypte au Nigeria. L’Europe reste enfin une cible privilégiée. Dans tout le monde développé, l’État islamique se restructure sous la forme d’un réseau social cherchant à radicaliser et enrégimenter la jeunesse.
Si la puissance militaire du djihadisme est affaiblie, ses causes demeurent largement présentes : la difficulté du monde arabo-musulman à acclimater la liberté politique, le développement et la société ouverte ; les problèmes d’intégration des minorités musulmanes dans les démocraties ; le dilemme entre autocratie et théocratie au Moyen-Orient et en Afrique ; les oppositions religieuses entre sunnites et chiites ainsi que les conflits ethniques qui nourrissent les situations de guerre civile ; l’effondrement des États ; la rivalité des puissances régionales – Arabie saoudite, Iran et Turquie – et l’intervention des grands acteurs stratégiques – États-Unis et Russie notamment.
Clemenceau aimait à rappeler qu’«il est plus facile de faire la guerre que la paix». La priorité demeure de gagner la guerre contre l’État islamique au Moyen-Orient comme en Afrique ou en Asie. Mais il faut aussi commencer à construire la paix.
Cela passe par la sécurisation, la reconstruction et l’administration équitable des villes sunnites de Mossoul et Raqqa, qui ne doivent en aucun cas être balkanisées et livrées aux milices chiites ou aux combattants kurdes. Cela demande la reconnaissance des droits et la protection des 25 millions de sunnites qui vivent entre Bagdad et Damas. Cela implique la consolidation et l’unité des États mais aussi leur décentralisation, seule à même de prévenir leur éclatement, notamment par la création d’un État Kurde (Massoud Barzani organise un référendum sur l’indépendance en septembre). Cela exige de trouver une issue à la guerre sans fin de Syrie en mettant à profit les défaites de l’État islamique et le réengagement américain dans la région pour établir un cessez-le-feu et relancer la transition à Damas avec toutes les puissances impliquées dans le conflit.
Pour la France, qui commémore la tragédie de Nice, comme pour l’Europe, la chute de Mossoul rend plus pressante la nécessité de se doter d’une stratégie globale de lutte contre le terrorisme islamique. La riposte militaire est essentielle et le réarmement indispensable pour permettre une défense de l’avant contre le djihadisme, la frontière de notre continent se situant au sud de la Méditerranée. Mais il faut aussi la coordonner avec la diplomatie, le soutien à la reconstruction et l’aide au développement au plan extérieur, les forces de sécurité, l’éducation et les politiques d’intégration au plan intérieur. Mobilisation de la société civile et des services publics, renforcement de la sécurité intérieure et extérieure, réinvestissement dans l’État régalien et création d’une Union européenne pour la sécurité vont de pair.
La France, par ses capacités militaires et sa diplomatie, peut contribuer à gagner la guerre et définir les conditions de la paix face à l’État islamique. Encore faut-il qu’elle ne sacrifie pas sa sécurité à son État-Providence en donnant le coup de grâce à l’État régalien qui supporte les quatre cinquièmes des coupes budgétaires annoncées par le gouvernement (850 millions pour la défense, 526 millions pour la sécurité intérieure, 420 millions pour les affaires étrangères et l’aide au développement, 160 millions pour la justice). La sécurité n’est pas un luxe ; elle est la condition de la liberté, du développement et de la paix civile. Et rien n’est plus irresponsable que d’agir en temps de guerre comme si l’on était en paix.