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Rédigé par Hanan Ben Rhouma
Pour de nouvelles générations de Français de confession musulmane, un bon imam ne se définit plus uniquement par son savoir religieux. Encore faut-il pouvoir le transmettre. Les imams, toujours plus conscients de la nécessité de rester en interaction constante avec la jeunesse, sont très nombreux à inscrire l’apprentissage et la maitrise de la langue comme une priorité. L’exemple à Sevran, en Seine-Saint-Denis, où est dispensée une formation en langue française spécifiquement destinée aux imams, rencontre un succès local qui attire l’attention des pouvoirs publics.
Outre l’apprentissage de la langue française, le programme de l’institut Hozes comprend la visite de lieux culturels et d’institutions européennes. Ici, en visite au Parlement européen, les imams Mohammed Bettahar (mosquée de Montfermeil), Omar Ayatillah (mosquée de Blanc-Mesnil), Abderrahim Braihim (Grande Mosquée de Sevran) et Miloud Soulimani (mosquée de Sevran-Rougemont) ont rencontré Antonio Tajani, vice-président du Parlement européen en charge du dialogue interreligieux. (photo © Hozes)
L’histoire débute il y a trois ans, l’institut Hozes, un institut de formation basé à Sevran, ouvre ses portes pour délivrer des cours de sciences islamiques pour tout public. Durant cette période, un imam est formé bénévolement au français. Partant de ce constat, Yacine Hilmi, 33 ans, chef d’entreprise et dans le même temps trésorier et porte-parole de l’association, ouvre une formation de français langue étrangère (FLE), à la rentrée de novembre 2015, à destination spécifiquement des imams.
Une initiative emplie de succès, puisqu’elle offre la possibilité à sept imams du département de Seine-Saint-Denis (93) inscrits à la session 2015-2016 de communiquer avec leurs fidèles en français, principalement auprès des jeunes, de répondre à leurs questions et de pouvoir prononcer des prêches en français. L’apprentissage de la langue permet aussi à ces cadres religieux, âgés entre 30 et 65 ans, de « vivre épanouis dans ce pays et d’être autonomes dans leurs démarches personnelles », souligne Yacine Hilmi.
Une vraie communication entre imams
Les étudiants qui suivent la formation sont en France au minimum « depuis sept ans, certains depuis 30 ans, mais ils n’ont jamais eu le temps de se former. Le travail de l’imam au quotidien est chargé. Il est très sollicité, notamment pour présider des cérémonies. Des imams avaient envie d’apprendre le français mais ils ne savaient pas comment faire », indique le porte-parole de Hozes.
Désormais accompagnés, les imams parviennent à progresser ; plus ou moins vite selon leur âge et surtout leur formation universitaire de base, certains des imams ayant un bac + 5. Il faut dire que leur emploi du temps est chargé. Ce sont entre 12 à 16 heures de cours par semaine, répartis sur quatre matinées, que les imams sont amenés à suivre assidument.
Leur professeure Stéphanie Laroche, enseignante FLE (français langue étrangère), salue leur grande motivation et le courage de leur implication, dans la mesure où ils doivent jongler entre leur travail d’imam et leur vie familiale. Loin des caricatures que des politiques font des imams, cela « contribue à changer l’image de l’islam aujourd’hui », estime-t-elle. Aussi, « une vraie communication s’installe entre de vieux imams et des jeunes grâce à cette formation, c’est génial ».
S’exprimer avec l’autre dans les interactions du quotidien
Commencée « de façon bénévole il y a trois ans », la formation FLE est aujourd’hui financée par la préfecture du département depuis novembre 2015, avec le soutien actif du préfet Didier Leschi, qui fut un ancien chef du bureau des cultes du ministère de l’Intérieur. « Un financement public non en faveur du culte », tient à préciser Yacine Hilmi, « mais visant à financer une formation de langue pour des adultes, permettant ainsi la gratuité des cours, la création d’un poste d’enseignant et le défraiement des sorties culturelles au programme ».
Celui-ci inclut des jeux de rôle autour de la célébration de cérémonies cultuelles comme le mariage, la conversion ou l’enterrement, mais ils n’ont rien de théologique, affirme-t-on, puisqu’il s’agit toujours de pouvoir s’exprimer en français mais lors de mises en situation concrètes. Au bout du compte, « ce sont des étudiants étrangers ou de culture étrangère qui se mettent à l’apprentissage du français et de la culture française, comme n’importe quel autre étudiant. Certains ont appris le français par eux-mêmes mais ils n’ont jamais eu d’aide », indique Stéphanie Laroche, qui parle d’un besoin de « revenir sur les interactions du quotidien » avec l’autre pour parvenir à mieux s’exprimer.
Une formation nécessaire et valorisante
« Ils suivent le programme de FLE classique, auquel s’ajoute l’apprentissage des institutions et du patrimoine français qui se décline en ateliers et en sorties, une par mois organisée dans des lieux culturels comme le musée du Louvre, la cathédrale Notre-Dame de Paris, ou même la FNAC », explique Yacine Hilmi. « On a intégré un programme de découverte des institutions européennes » qui s’est matérialisé par l’organisation d’une voyage d’une semaine à Bruxelles « pendant laquelle ils ont rencontré le vice-président du Parlement européen Antonio Tajani, des députés, le grand rabbin de Bruxelles Albert Guigui, (…) des responsables de l’Exécutif des musulmans de Belgique et des imams », qui leur ont permis de mieux comprendre leur statut, différent de la France où le métier d’imam demeure non reconnu quand, en Belgique, les ministres du culte sont payés par l’État. « Mais ils sont confrontés à des problématiques similaires », précise le porte-parole de Hozes, qui raconte combien la formation, comme les sorties et les échanges qu’elles suscitent, ont valorisé les élèves.
« Quand il y a des problèmes, on les pointe du doigt, on les met devant leurs responsabilités, mais on ne leur donne jamais la parole », déplore Yacine Hilmi, qui les décrit comme des personnes « sous pression » par les institutions mais aussi par des présidents d’associations musulmanes.
Comme Yacine Hilmi, Stéphanie Laroche constate, au fil du temps, la prise de confiance en soi que leur procure le fait de bien parler français et de participer à des activités qu’ils n’auraient pas mené sans la formation de FLE. Prochaine étape (atteinte pour l’un d’entre eux) : intégrer un DU autour de la laïcité et de l’interculturalité, recommandé pour les imams mais obligatoire pour les aumôniers dès la rentrée universitaire 2016-2017.
Prochaine étape : le diplôme universitaire
Le porte-parole de Hozes affirme être en lien avec l’Institut catholique de Paris (ICP). Très vite, « on s’était aperçu que les imams qu’on envoyait pour le DU n’avait pas forcément le niveau de français requis », déclare-t-il pour souligner l’importance de la formation de la langue française. Six imams, dont le niveau est établi par le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL) – « notre Bible ou notre Coran pour les profs de FLE », dira Stéphanie Laroche –, vont intégrer le DU en novembre.
Malgré les différences de niveaux, il y a « une superbe osmose dans le groupe. Ils peuvent confronter leurs points de vue » et leurs expériences respectives dans leurs mosquées et « ils font tous preuve d’une grande ouverture d’esprit. Ce sont vraiment des imams de la paix et de l’islam du juste milieu », confie-t-elle, admirative.
Yacine Hilmi, qui assure que les imams « n’ont maintenant plus besoin d’intermédiaires et de traducteurs pour communiquer avec leurs fidèles en français », n’est pas peu fier du succès de la formation qu’il doit à la motivation des étudiants. L’initiative en place à Sevran − une première en France car adaptée aux besoins spécifiques des imams − est suivie de près par le ministère de l’Intérieur ainsi que par le Conseil français du culte musulman (CFCM). Le but affiché de l’institut de sciences islamiques Hozes est non seulement de garder les imams actuellement en formation, mais aussi de recruter de nouveaux imams candidats en vue de l’ouverture d’une nouvelle classe de français FLE composée entre 10 à 15 imams, nous fait-on part.
Hozes espère également accompagner d’autres structures afin que soit dupliquée la même formation ailleurs en France. Le besoin demeure en effet grand et la démarche adoptée en Seine-Saint-Denis a tout intérêt à être reproduite pour une construction d’un islam de France au service de la jeunesse musulmane.