Est-ce par refus de son caractère discriminatoire à l’égard des musulmans, ou simplement parce qu’elles ne veulent pas subir les dommages collatéraux des restrictions imposées par l’État au culte musulman, les trois confessions, catholique, orthodoxe et protestante, avaient soulevé une question prioritaire de constitutionnalité de la loi dite «séparatisme» du 24 août 2021, rebaptisée « loi confortant les principes de la République », et avaient déposé ensemble, fin février 2022 devant le Conseil d’État, un recours en annulation des deux décrets d’application de cette loi car elles la considéraient comme des atteintes à la liberté de culte.
Le vendredi 22 juillet 2022, le Conseil constitutionnel a tranché, considérant que cette loi était globalement conforme à la Constitution.
On tombe des nues, car si cette loi ne porte pas atteinte à la liberté religieuse, alors, on se demande bien ce qu’on pourrait faire de plus pour mettre la religion au ban de la société.
Le premier grief des Églises chrétiennes portait sur le fait que les associations cultuelles régies par la loi de 1905, support administratif des temples et églises, devaient à présent faire la preuve de leur « qualité cultuelle » tous les cinq ans devant le préfet. Lequel pouvait leur retirer ce statut. C’est donc le préfet, et par conséquent l’Etat, qui juge de ce qui est religieux ou non, ce qui est en contradiction totale avec le principe de séparation des Églises et de l’État.
Les « sages » : de bons élèves qui ne chahutent pas le pouvoir
Mais en France, comme dans d’autres régimes que celle-ci accuse souvent de manquer aux principes de la démocratie, le politique l’emporte sur la justice. Le Conseil Constitutionnel a donc choisi de débouter les plaignants : « Les dispositions contestées ont pour seul objet d’instituer une obligation déclarative », estime le Conseil constitutionnel, qui ajoute que le contrôle préfectoral n’a « ni pour objet ni pour effet d’emporter la reconnaissance d’un culte par la République ou de faire obstacle au libre exercice du culte ». Enfin, la décision éventuelle de suspendre une association cultuelle ne sera pas arbitraire mais « après une procédure contradictoire et uniquement pour un motif d’ordre public ».
Une rhétorique bien huilée pour ripoliner un incontestable dispositif d’autorisation préalable , ont fait remarquer les responsables chrétiens.
Alors bien sûr, le Conseil Constitutionnel s’est fendu de quelques remontrances, reconnaissant que cette loi porte effectivement « atteinte à la liberté d’association et au libre exercice des cultes », notamment en raison de l’instauration de normes de contrôle administratif et financier, extrêmement tatillonnes qui mettent en péril l’existence même de petits lieux de culte, protestants notamment.
Sauf qu’il s’agit d’un constat, pas d’une injonction à supprimer ou modifier les dites règles. D’ailleurs, tout en reconnaissant une « atteinte » à plusieurs libertés, le Conseil constitutionnel a considéré que « renforcer la transparence de l’activité et du financement des associations assurant l’exercice public d’un culte » demeurait justifié car, ainsi, le législateur poursuivait « l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public ». Il a toutefois assorti sa décision d’une « réserve » : « Il appartiendra toutefois au pouvoir réglementaire de veiller, en fixant les modalités spécifiques de mise en œuvre de ces obligations, à respecter les principes constitutionnels de la liberté d’association et du libre exercice des cultes. »
En résumé, le Conseil Constitutionnel reconnaît que la liberté de culte est réellement menacée, mais il ne fera rien pour arranger cela. Les « réserves d’interprétation » émises par les 9 sages sont d’ailleurs un procédé qui permet aux juges constitutionnels de ne pas censurer une disposition légale pour éviter un désaveu cinglant à l’État. Monsieur Darmanin peut par conséquent dormir tranquille.
Les musulmans réagissent
Les organisations musulmanes, qui, bizarrement, ne se sont pas – ou n’ont pas été – associées à ce recours, ont peu réagi, sans doute dans l’incapacité de prendre des positions communes .
Seul pour l’instant le Conseil des Mosquées du Rhône a publié un communiqué :
« Le Conseil des Mosquées du Rhône a pris note de la décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 2022, relative à l’évolution du régime des associations exerçant des activités cultuelles, décision qui prend place en continuité de la première décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR) le 13 août 2021.
Dans des termes très proches de ce qu’avait dit le Conseil d’État à propos du projet de loi, le Conseil constitutionnel, confirme un resserrement autour de la liberté de religion, pour conclure qu’en réalité, tout se jouera sur les modalités d’application.
Le conseil des Mosquées du Rhône réitère ses réserves sur ce projet, qui va créer des contraintes administratives et comptables lourdes pour le tissu associatif religieux, alors que si le risque est celui de la déstabilisation sociale par des financements étrangers, bien d’autres secteurs – aide sociale, enseignement, culture, sport – justifiant des flux d’argent beaucoup plus importants, ne sont pas concernés par ces règles instaurant une transparence financière.
Quoi qu’il en soit, les associations vont maintenant scrupuleusement appliquer ce texte, qui va en amener beaucoup à intégrer dans leur fonctionnement une association loi 1905.
Le conseil des Mosquées du Rhône, rappelle que les lieux de prières musulmans sont gérés par de petites associations reposant sur l’attention et la bonne volonté des bénévoles, qui se sont toujours concentrés sur la défense d’une pratique religieuse ouverte sur la société, et respectant l’esprit de la loi. Elles se trouvent désormais confrontées à un travail administratif et comptable important, et là, le conseil des Mosquées du Rhône est disponible pour apporter toute son aide fraternelle, de pouvoir compter sur une attitude constructive et bienveillante des préfectures, respectant le temps nécessaire pour accompagner cette remise à niveau. En effet, la loi voulant conforter le respect de principes de la République manquerait son objectif si elle devait fragiliser les associations animant les lieux de culte.
Kamel KABTANE
Président du Conseil des Mosquées du Rhone
Tout cela est bien timide, et il n’est pas certain que ce soit le moyen le plus efficace pour contrer la volonté insensée d’un gouvernement de contrôler nos modes de pensées.
La liberté « à la Française »
Mais jusqu’où oseront-ils donc aller ? Comment Emmanuel Macron a-t-il pu encourager – ou laisser faire – cela, au mépris de ses promesses électorales de 2017 ?
Où est donc la loi de 1905 qui garantit la liberté de culte, et à partir de quelle on pouvait définir la laïcité comme l’absence d’interaction entre les cultes et l’Etat ? En dehors de nos frontières, personne ne comprend cette phobie française de la religion.
Oui, mais rétorque-t-on dans les milieux laïcistes : il s’agit d’une laïcité « à la Française ».
Voilà comment la classe politique a inventé un nouveau concept : le « à la Française » pour justifier toutes les atteintes aux droits fondamentaux.
En définitive, la séparation de l’Église et de l’Etat « à la Française », c’est surveiller les prêches, fermer les comptes en banques des mosquées, interdire aux mères d’aller chercher leurs enfants à l’école avec un fichu sur la tête.
L’hôpital « à la Française », c’est sans doute décourager le personnel hospitalier et faire baisser la qualité des soins.
L’école « à la Française », c’est sans se trouver dans les derrières places des classements internationaux.
La justice « à la Française » c’est sans doute avoir la justice la plus lente d’Europe et des prisons en permanente surpopulation.
Dans un pays où on a remplacé Blaise Pascal ou Jean-Paul Sartre par Michel Onfray ou Alain Finkelkraut, il ne faut s’étonner de rien.