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… quitte la Cour de justice de la République
PAR CAMILLE POLLONI
Dans une tribune, la députée LREM du Val-d’Oise Naïma Moutchou annonce sa démission de la CJR, dont elle est membre depuis 2017. Alors que le garde des Sceaux est convoqué le 16 juillet en vue de sa possible mise en examen, elle « refuse de prendre part à ce semblant de justice » . Au nom des « grands principes » auxquels elle est « viscéralement attachée » – « la séparation des pouvoirs » , « l’État de droit » et « l’indépendance » de l’autorité judiciaire – la députée La République en marche (LREM) Naïma Moutchou, juge titulaire à la Cour de justice de la République (CJR), démissionne. Elle l’annonce dans une tribune au Journal du dimanche , expliquant que son départ est motivé par l’enquête pour « prise illégale d’intérêts » visant Éric Dupond-Moretti. Son initiative n’a pas fait grand bruit. Elle marque pourtant un jalon dans l’histoire de la CJR qui, depuis sa création en 1993, n’avait jamais connu de démission explicitement fondée sur des désaccords de fond. Ou sur une affaire en particulier.
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Eric Dupond-Moretti à l’Ecole nationale de la magistrature, le 9 juillet © Mehdi Fedouach / AFPNommée à la Cour en novembre 2017 , Naïma Moutchou n’est pas partie quand Édouard Balladur a été relaxé et François Léotard condamné à deux ans de prison avec sursis, dans l’affaire Karachi. Elle est restée à son poste lorsque l’ancien garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas a écopé d’un mois de prison avec sursis et 5 000 euros d’amende pour violation du secret professionnel. Elle siégeait parmi les 12 parlementaires (de tous bords politiques) et trois magistrats ayant rendu ces décisions.
Mais cinq jours avant la convocation du ministre de la justice Éric Dupond-Moretti, qui peut en ressortir mis en examen pour « prise illégale d’intérêts » ou simple témoin assisté, la députée « refuse de prendre part à ce semblant de justice » et préfère s’en aller.
Il est pourtant trop tôt pour que Naïma Moutchou « prenne part » à cette procédure. En tant que membre de la commission de jugement , elle n’a pas accès au dossier, en cours d’instruction. C’est seulement si un procès devait se tenir un jour qu’elle serait appelée à y participer. Vu les délais habituels de la CJR, il serait très étonnant que cela se produise avant la fin de son mandat. Naïma Moutchou refuse toutefois de rester membre d’une juridiction qui, selon elle, « risque de basculer dans l’arbitraire » .
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Le « problème institutionnel » qui s’impose aujourd’hui à la députée n’est pas celui, maintes fois dénoncé, d’une justice d’exception au maigre bilan, exercée « par et pour les politiques » . Ni le fait de participer à une instance dont son chef de file politique, Emmanuel Macron, avait promis la suppression (elle rappelle d’ailleurs avoir voté pour). Ce qui pousse Naïma Moutchou à partir, c’est « le désir non dissimulé d’une poignée de magistrats de réduire à l’impuissance politique un garde des Sceaux disqualifié dès sa nomination » , écrit-elle dans sa courte tribune :
« Si l’enquête en cours visant Éric Dupond-Moretti pour de prétendus “conflits d’intérêts” a pour objet d’obtenir la mise en examen du ministre pour qu’il démissionne, comme l’ont déclaré sans réserve certains juges, alors le problème institutionnel est très grave car s’installerait un contre-pouvoir illégitime. »
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Rappelons tout de même qu’en droit, l’enquête n’a pas été ouverte pour « conflit d’intérêts » mais pour « prise illégale d’intérêts ». Difficile d’imaginer que Naïma Moutchou, avocate de profession, l’ignore. Sur le fond, il est reproché à Éric Dupond-Moretti d’avoir engagé des poursuites disciplinaires contre trois magistrats du Parquet national financier (PNF) et contre un ancien juge d’instruction en poste à Monaco, avec lesquels il avait eu maille à partir lorsqu’il était avocat.
Dans son texte, la députée reprend les éléments de langage développés par le ministre au cours de la semaine écoulée : il serait victime de l’acharnement d’une bande de juges qui veulent sa tête. Le 4 juillet, dans le JDD déjà , Éric Dupond-Moretti prenait la parole après la perquisition de son ministère pour mettre en cause l’USM, syndicat majoritaire chez les magistrats. C’est l’une des quatre organisations à avoir déposé plainte .
« L’un des syndicats de magistrats qui a déposé plainte avait déclaré, après ma nomination, qu’elle était une “déclaration de guerre”. Ce même syndicat a dit jeudi que la plainte n’a été déposée que dans le seul but que je sois mis en examen. Tout est là. Le but de ce syndicat est d’obtenir un nouveau garde des Sceaux. »
En juillet 2020, lorsque Éric Dupond-Moretti a été nommé ministre de la justice, la présidente de l’USM avait bien déclaré que « nommer une personnalité aussi clivante et qui méprise à ce point les magistrats, c’est une déclaration de guerre à la magistrature » . Contactée par Mediapart, Céline Parisot dément en revanche les propos plus récents qui lui sont prêtés :
« J’ai dit que nous (plaignants) espérions une mise en examen, qui viendrait conforter le bien-fondé de notre plainte. “L’entourage du ministre” en déduit avec une logique qui lui est toute personnelle que nous souhaitons la démission du ministre. »
Depuis les années 1990, une coutume veut que tout ministre mis en examen démissionne . Dans certains cas, l’exécutif va encore plus loin. Au début de ce quinquennat, un remaniement avait ainsi écarté le ministre de la justice François Bayrou, la ministre des armées Sylvie Goulard et la ministre des affaires européennes Marielle de Sarnez, tous trois visés par une enquête sur les assistants européens du MoDem. Ils n’ont été mis en examen que deux ans plus tard. À l’inverse, le président de la République a déjà fait savoir qu’Éric Dupond-Moretti pourrait rester à son poste, même s’il était mis en examen.
Outre l’USM, Naïma Moutchou met en cause, sans les citer nommément, les magistrats Chantal Arens et François Molins, respectivement première présidente et procureur général de la Cour de cassation : « Que dire, par exemple, du conflit d’intérêts des deux plus hauts fonctionnaires de l’autorité judiciaire qui, avant même le déclenchement de poursuites contre le ministre, étaient sortis de leur réserve et de leur devoir d’impartialité pour pointer de facto sa culpabilité ? L’autorité de poursuite et l’autorité de jugement se confondent dans un mélange des genres inacceptable. »
Ici, la députée fait référence à une tribune commune de Chantal Arens et François Molins, publiée par Le Monde en septembre 2020 , en distordant quelque peu leur propos. À l’époque, aucune plainte n’avait encore été déposée, mais les enquêtes disciplinaires lancées par le garde des Sceaux contre d’anciens adversaires faisaient déjà débat dans le monde judiciaire. « Le conflit d’intérêts que sous-tend cette situation ne peut qu’alerter » , écrivaient les deux magistrats. Éric Dupond-Moretti a d’ailleurs fini par laisser la main au premier ministre Jean Castex.
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En tant que représentant de l’accusation, François Molins peut-il être considéré comme responsable de la situation dans laquelle se retrouve le garde des Sceaux aujourd’hui ? L’essentiel des moyens de la CJR sont effectivement fournis par la Cour de cassation. Mais le rôle du procureur général dans cette enquête s’est borné, jusqu’ici, à saisir la commission de l’instruction (à laquelle il ne participe pas). Après que la commission des requêtes (à laquelle il ne participe pas non plus) eut jugé la plainte recevable, il était tenu de le faire.
De son côté, Naïma Moutchou s’est exprimée sur l’affaire Dupond-Moretti en mars, dans un article de L’Obs qui la présentait comme « députée LREM » , sans mentionner sa qualité de juge titulaire à la CJR. Alors que l’enquête était déjà ouverte, elle balayait à ce moment-là des accusations dont, « en dehors du microcosme, personne ne parle » .
Ce week-end, sa démission lui a attiré le soutien d’un seul député LREM, Bruno Questel.« Naïma Moutchou dénonce avec force le dévoiement politicien de la CJR dans le seul but de fragiliser Éric Dupond-Moretti, puis Emmanuel Macron » , a tweeté le parlementaire dès la mise en ligne de la tribune.
Contactée par Mediapart, la députée Laurence Vichnievsky, membre de la majorité (MoDem) et juge titulaire à la CJR, ne souhaite pas s’exprimer « sur la démarche de [sa]collègue » . « Tout ce que je peux vous dire, c’est que j’ai été élue à la CJR, et moi je siège. » La députée LREM Alexandra Louis, également juge à la CJR, n’a pas donné suite à notre sollicitation.
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Comme François Hollande avant lui, Emmanuel Macron avait promis de « supprimer » la Cour de justice de la République. À deux reprises, en 2013 et 2019, des projets de loi constitutionnelle ont été mis à l’ordre du jour, sans aller jusqu’à leur terme.
En vingt-huit ans d’existence, la CJR a rendu des jugements à l’encontre de dix anciens ministres et secrétaires d’État : quatre ont été relaxés, six condamnés (dont deux dispensés de peine). La peine la plus sévère a été prononcée en 2004 contre un ancien secrétaire d’État de François Mitterrand, Michel Gillibert : trois ans de prison avec sursis, 20 000 euros d’amende et cinq ans d’inéligibilité pour escroquerie.
Quatre dossiers sont actuellement à l’instruction, dont celui d’Éric Dupond-Moretti. Début juillet, la Cour a mis en examen Éric Woerth pour son rôle dans le volet fiscal de l’affaire Tapie en 2009. Elle a aussi renvoyé en procès Kader Arif , ancien secrétaire d’État sous François Hollande, pour des soupçons de favoritisme datant de 2014.
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La dernière information judiciaire en cours touche à la gestion de la pandémie de Covid-19 par Édouard Philippe, Olivier Véran et Agnès Buzyn. La crise sanitaire avait donné lieu à un grand nombre de plaintes visant différents ministres, pour la plupart rejetées par la commission des requêtes. À ce sujet, Naïma Moutchou se montrait déjà réticente en mai 2020, dans Valeurs actuelles : « Mauvais ministre ne signifie pas ministre voyou. C’est d’abord et avant tout sa responsabilité politique qu’il engage en cas de mauvaise gestion, avant celle judiciaire. »