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Veille juridique sur les droits de l’homme et les libertés publiques
« La liberté, ce bien qui fait jouir des autres biens », écrivait Montesquieu. Et Tocqueville : « Qui cherche dans la liberté autre chose qu’elle même est fait pour servir ». Qui s’intéresse aujourd’hui à la liberté ? A celle qui ne se confond pas avec le libéralisme économique, dont on mesure combien il peut être source de prospérité mais aussi d’inégalités et de contraintes sociales ? A celle qui fonde le respect de la vie privée et la participation authentique à la vie publique ? La liberté devrait être au cœur de la démocratie et de l’Etat de droit. En même temps, elle ne peut être maintenue et garantie que par la vigilance et l’action des individus. Ils ne sauraient en être simples bénéficiaires ou rentiers, ils doivent non seulement l’exercer mais encore surveiller attentivement ses conditions d’exercice. Tâche d’autant plus nécessaire dans une période où les atteintes qui lui sont portées sont aussi insidieuses que multiples.
Le Forif, nouveau visage de l’Islam de France
Le samedi 5 février 2022 est une date importante pour les relations entre l’islam de France et l’État. C’est en effet la naissance du Forum de l’islam de France (Forif), initiative nouvelle pour essayer de définir le cadre du dialogue avec une religion qui souffre, à cet égard, d’un double handicap. D’une part, le culte est organisé de manière très décentralisée, sans structure d’encadrement qui serait comparable à une Église. La seule organisation réelle se fait autour de mosquées contrôlées par des communautés algérienne, marocaines, turques etc. Cette situation favorise évidemment les ingérences étrangères, dans un domaine sur lequel les autorités françaises n’ont guère de prise. D’autre part, l’islam n’a pas pu bénéficier de la loi du 9 décembre 1905. A l’époque, la religion musulmane était encadrée par le droit colonial et placée sous une tutelle administrative définie par le statut de l’Algérie.
Rapprocher l’islam du droit commun
Ne bénéficiant pas de la loi de 1905, l’islam s’est organisé en France, après la décolonisation, à partir d’associations ordinaires de la loi de 1901. Ces groupements se caractérisent donc par une large autonomie d’organisation et de gestion, un grand éparpillement, et surtout une assez large absence de contrôle des pouvoirs publics. La loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République, dite “loi séparatisme”, s’efforce désormais d’inciter les six millions de fidèles musulmans à se réunir en associations cultuelles. En échange d’avantages fiscaux et de facilités pour créer des lieux de prière, ils acceptent ainsi un certain contrôle de l’État sur l’organisation du culte et son financement.
Cette évolution rapproche ainsi l’islam du droit commun issu de la loi de Séparation. Se trouve ainsi écartée la jurisprudence du Conseil d’État issue de l’arrêt du 10 février 2017. Il déclarait alors illégal le bail conclu entre la ville de Paris et une association ordinaire, en vue de la construction d’une mosquée. Seule une association cultuelle pouvait, en l’état du droit de 2017, conclure ce type de convention. Désormais, cet obstacle disparaît. Les musulmans peuvent fonder une association cultuelle, et passer contrat pour construire un lieu de culte. En échange, le contrôle de l’État sur l’association s’exerce pleinement.
Le CFCM et les ingérences étrangères
Le premier espace de concertation entre les pouvoirs publics et le culte musulman a été le Conseil français du culte musulman (CFCM). Initié par Nicolas Sarkozy en 2003, il a été le résultat d’un accord intervenu en décembre 2002 avec les trois principales associations musulmanes (La Grande Mosquée de Paris, la Fédération nationale des musulmans de France et l’Union des organisations islamiques de France). D’autres groupes l’ont ensuite rejoint, toujours définis à partir de leur origine nationale.
Mais le bilan s’est révélé désastreux. Au lieu de favoriser l’autonomie de l’islam de France, le CFCM a été l’enjeu de conflits d’influence, chaque fédération demeurant très liée à son pays d’origine. Aux diners du CFCM, les ministres français se trouvaient ainsi placés entre les ambassadeurs d’Algérie, du Maroc et de Turquie, sans oublier les représentants de pays du Golfe, bailleurs de fonds importants. On évoquait alors un “islam consulaire”, directement appuyé sur des États étrangers parfois proches d’un islam rigoriste.
Tout cela a conduit, au printemps 2021, à l’implosion du CFCM, lorsque plusieurs fédérations d’obédience turque, dont Milli Gorus, ont refusé de signer une “Charte des principes de l’islam de France“. Les autres fédérations ont alors démissionné du bureau. Le CFCM qui devait être un espace de dialogue avec les autorités françaises est alors devenu un espace conflictuel entre les différentes communautés, et les États qui les soutiennent. Une assemblée générale est désormais programmée pour le 19 février, dont l’ordre du jour est le suivant :” Dissolution du CFCM pour permettre aux acteurs du culte musulman de mettre en place une nouvelle forme de représentation démocratique du culte musulman“.
Le Forif ou l’islam territorial
Après de multiples consultations, notamment dans les départements, est donc fondé les Forum de l’islam de France qui repose sur une logique inverse. Au lieu de s’appuyer sur les grandes mosquées liées aux États étrangers, on a recherché une centaine d’acteurs locaux du monde musulman, des imams certes, mais aussi des aumôniers de l’armée, des prisons ou des hôpitaux, des responsables de mouvements de jeunes etc. Le modèle est inspiré de la Deutsche Islam Konferenz allemande qui repose sur une démarche purement pragmatique et régionalisée.
Cette centaine de personnes sera appelée à participer à différents groupes de travail, sur la formation des imams, la prévention des actes antimusulmans, l’application de la loi du 24 août 2021, et sur les aumôneries. L’ensemble de la structure devrait rester très souple, et la composition du Forif pourra évoluer selon les besoins.
Cette nouvelle organisation présente certes l’avantage de rendre plus difficiles les ingérences étrangères. Mais il est évident qu’elle va faire l’objet de critiques, les membres du Forif étant nommés par le pouvoir discrétionnaire du ministre de l’Intérieur. Certes, mais était-il possible procéder autrement ? Imagine-t-on un fichier des musulmans de France destiné à être le support d’une consultation électorale ? On observe d’ailleurs que les autres religions présentes en France ne sont pas davantage organisées sur un mode démocratique et que cela ne les empêche pas de développer un dialogue régulier et approfondi avec les autorités. Le dernier mot appartient sans doute à Hakim El Karoui qui affirme que “la légitimité viendra seulement de l’efficacité du nouveau Forif“. Il ne reste plus qu’à souhaiter que cette nouvelle organisation devienne le centre d’un dialogue fructueux, dans le respect des droits des hommes et des femmes.