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Quel débat subsiste-t-il du travail d’aggiornamento de l’Église qui dura trois ans, lancé par Jean XXIII et clos par Paul VI ? La Vie a organisé une rencontre entre deux catholiques engagés de générations différentes, le sociologue Jean-Louis Schlegel et Thérèse du Sartel, co-fondatrice du Dorothy.
Il avait 19 ans à la fin du Concile, en 1965 ; elle est née 30 ans après l’ouverture des travaux de Vatican II. Tous deux sont laïcs, catholiques, engagés dans la société. Ancien jésuite, philosophe, éditeur, sociologue des religions, Jean-Louis Schlegel a vécu les débats « en direct », alors qu’il était au début de sa formation dans la Compagnie de Jésus.
Philosophe de formation elle aussi, professeure en lycée et cofondatrice du café associatif Le Dorothy à Paris (XXe), un lieu animé par des chrétiens, Thérèse du Sartel est une enfant de Vatican II, née dans l’Église post-conciliaire. Ils ont accepté de débattre de l’actualité du Concile pour La Vie, non en représentants absolus de leur génération, mais en témoins.
Que représente le concile Vatican II pour vous ?
Jean-Louis Schlegel. Deux mots me viennent spontanément : libération et conflit. J’ai passé le bac en 1964. J’avais 19 ans l’année de la fin du Concile. À chaque fois qu’un nouveau texte sortait, nous éprouvions un sentiment euphorique, non pas du fait que l’Église rejoignait la modernité, mais parce qu’elle semblait à nouveau intéresser les gens. Tous les jours, des articles paraissaient dans le monde entier sur ce qui se passait à Rome. Nous nous sentions fiers d’être catholiques, fiers qu’une institution vieille de 2000 ans soit capable de se mettre à table pour revoir ses fondamentaux. Mais, très vite, les conflits d’interprétation ont surgi.
Le principal conflit en 1965-1966 portait sur l’autorité. Les catholiques les plus impatients ont pris la parole et cela a été ressenti comme une contestation de l’autorité de l’Église, des évêques et du pape, et l’atmosphère est devenue conflictuelle. L’autre élément qui a jeté une ombre a été les départs, de prêtres diocésains, de religieux et de religieuses, mais aussi de séminaristes et de jeunes religieux et religieuses en formation. L’hémorragie a été substantielle. Moi-même, entré chez les jésuites en 1965, je l’ai vécu de manière très directe. La crise s’est accentuée après 1968, et je me souviens que, à un moment donné, beaucoup d’entre nous ont dû se demander pourquoi ils restaient.
Près des trois quarts de ma génération sont partis, beaucoup avec amertume – certains pour des raisons religieuses, parfois politiques, d’autres exaspérés que l’Église ne fasse pas assez rapidement des réformes. La publication d’Humanæ vitæ en juillet 1968 a suscité l’irritation de beaucoup, qui étaient encore dans l’euphorie des événements de mai – je rappelle à ce propos que la pilule était en vente libre depuis décembre 1967. Rétrospectivement, je crois comprendre que cela a été ressenti comme le signe que les promesses du Concile sur la place des femmes et des laïcs en général ne seraient pas tenues.
Thérèse du Sartel. Mon expérience du Concile est évidemment très différente ! Vatican II est resté un non-événement dans ma vie de foi pendant très longtemps. Je me disais simplement que nous étions passés de la messe en latin à la messe en langue vernaculaire. Je viens d’une famille catholique, mais nous n’en parlions pas énormément. J’ai commencé à me pencher sur le sujet lorsque je me suis intéressée à l’histoire de l’Église aux XIXe et XXe siècles.
• LUCILLE PELLERIN POUR LA VIE
Un jour, je suis tombée sur le discours d’ouverture du Concile, prononcé par Jean XXIII à l’ouverture des travaux, en 1962, « Gaudet mater ecclesia », et j’ai été marquée par la force des propos sur les mauvais prophètes. J’aimerais le citer, car il est génial : « Il nous semble nécessaire de dire notre complet désaccord avec ces prophètes de malheur qui annoncent toujours des catastrophes, comme si le monde était près de sa fin. Dans le cours actuel des événements, alors que la société humaine semble à un tournant, il vaut mieux reconnaître les desseins mystérieux de la providence divine qui, à travers la succession des temps et les travaux des hommes, la plupart du temps contre toute attente, atteignent leur fin et disposent tout avec sagesse pour le bien de l’Église, même les événements contraires. »
Soixante ans après, face au déferlement de crises multiples, cet optimisme, cette confiance en l’homme face aux défis de la modernité ne semblent-ils pas un peu datés ?
J.-L.S. À l’époque, déjà, on a accusé le Concile d’avoir été trop optimiste sur la société et le monde en devenir. Mais il faut se rappeler qu’il y avait des raisons de l’être ! En Europe et en France, l’heure était à la reconstruction, dans l’après-guerre. Le mot « construire » était tellement présent que l’idée selon laquelle certaines des réalités qui se construisaient pouvaient être destructrices a été oubliée. Il faut se rappeler que, en 1960, la croissance annuelle était à 8 % ! C’était l’époque de la conquête de l’espace. On avait l’idée que l’on pouvait transformer ce monde dans le sens du bien.
Si on peut faire un reproche après coup aux catholiques conciliaires – un ensemble très vaste qui ne se résume pas aux cathos de gauche –,