Publié le 14 février dans Le Monde
Tribune. Je m’adresse à tous les citoyens qui pensent que l’espoir peut nous rendre meilleurs. Je crois en notre destin commun. Notre force se trouve dans nos valeurs communes. Tout ce qui va à l’encontre de notre coexistence constitue un danger pour notre avenir et celui des générations qui nous succéderont.
Nos enfants nous reprocheront notre égoïsme si nous continuons à ignorer tous les signes préoccupants qui nous viennent de la scène politique. Ils nous demanderont des explications sur notre passivité et nous n’aurons alors que des boniments à leur servir. Leur jugement à notre égard sera impitoyable. Ils diront que nous avons laissé faire.
Je suis inquiet.
Les discours extrêmes sont de plus en plus présents dans le débat public. Depuis mon arrivée à la Grande Mosquée de Paris, j’ai publiquement rappelé que l’amalgame entre islam et islamisme sanctionnait d’abord les musulmans pratiquant une religion de paix et de fraternité. J’ai participé au débat public et je n’ai pas hésité à prendre ma plume pour publier Le Manifeste contre le terrorisme islamiste en septembre (éd. Erick Bonnier, 2021). J’ai accusé sans détour les manipulateurs de l’islamisme qui entraînent l’islam dans l’ombre et poussent certains musulmans à s’y réfugier. Mais ils ne sont pas les seuls extrémistes à désavouer.
Aujourd’hui, je prie pour que nos concitoyens de confession musulmane continuent à vivre comme les enfants d’une République protectrice, n’en déplaise à certains orateurs qui n’ont d’autre compétence qu’une phraséologie polémiste et haineuse. Ces derniers veulent s’installer dans nos esprits au nom de notre sécurité ou d’une identité fantasmée.
Risque d’abstention
Non, n’est pas politicien qui le prétend. Au mieux, nous avons affaire à des intrus mal intentionnés entrés dans nos vies par effraction. Au pire, il s’agit de mutants porteurs d’une épidémie ravageuse que rien n’arrêtera, pas même le spectacle du chaos et de la désolation.
Dans les moments de résignation, de doute et de peur, les humains peuvent basculer dans l’erreur, voire l’horreur. C’est ainsi depuis la nuit des temps. Qu’avons-nous comme réponse face à cette nuisance déterminée à nous fracturer ? Un renoncement à la politique dans ce qu’elle a de plus noble et un risque d’abstention qui viendra renforcer les rangs des mutants guettant la moindre de nos fêlures.
Je suis donc doublement inquiet.
Je ne me tairai pas. Dans de telles circonstances, le silence est une forme de complicité. Le silence du citoyen honnête devient aussi un atout au service des mutants de la politique. Comment peut-on prétendre à la magistrature suprême et fracturer sa propre population ? Comment vouloir diriger un pays et induire l’opinion publique en erreur en professant des contre-vérités sur la loyauté des musulmans ? Dans quel but ? La personnalité qui incarne la présidence doit être fédératrice, aimante et rassurante. Elle doit nous apprendre à nous faire confiance, pas à nous méfier les uns des autres.
Une grande nation prouve sa grandeur dans les moments décisifs. La grandeur, c’est la générosité et la capacité à sécuriser par la sagesse. Aucune grande nation ne s’est faite en excluant ses enfants.
Un rendez-vous crucial nous attend. Entrons dans l’histoire par la grande porte et évitons les petites impasses que nous proposent les propagateurs de haine. Sortons de ce cauchemar et vite ! Des femmes et des hommes ont donné leurs vies pour que nous puissions vivre en paix. Soyons dignes de leur sacrifice. Ne trahissons pas leur humanisme. Protégeons ce bien commun et renforçons nos liens de fraternité. Prenons notre destin en main.
La citoyenneté se concrétise par le devoir civique. L’indignation se canalise dans le devoir civique. Nous devons montrer que nous pouvons sanctionner les candidats qui fustigent nos compatriotes parce que musulmans.
L’entente se construit dans l’effort et la durée
Enfant de la République, je revendique ma pleine implication dans le vote démocratique qui va se dérouler le 10 avril. J’en appelle à s’inscrire à temps sur les listes électorales et à aller aux urnes pour sanctionner les chantres du racisme et ceux qui toisent les Français de confession musulmane et ergotent sur les fondements de l’islam sans les connaître.
Nous, musulmans de France, avons contribué à la défense et à la construction de ce pays. Nous poursuivrons cette belle œuvre que nous envient beaucoup de peuples dans le monde. La haine est facile et rapide, mais l’entente se construit dans l’effort et la durée.
Seul le bulletin de vote peut stopper l’engrenage de la haine. Un bulletin dans l’urne et c’est une nouvelle page glorieuse que nous écrirons tous ensemble dans le vrai roman national. Celui qui raconte le passé sans le réinventer. Celui qui forge le rêve français sur les bases d’une mémoire lucide et dépassionnée.
Il n’est pas trop tard. J’observe une citoyenneté sereine chez beaucoup de Français musulmans qui semblent prêts à s’acquitter de leur devoir dans l’isoloir et à incarner l’espoir.
Répondez à ceux qui veulent vous confisquer votre citoyenneté par la plus belle des manières : votez !
Chems-Eddine Hafiz, avocat honoraire est recteur de la Grande Mosquée de Paris