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SOCIÉTÉ ÉDUCATION
Le principe de laïcité n’est pas une interdiction de pratiquer, mais vise plutôt à favoriser le vivre-ensemble en respectant les libertés fondamentales et droits de chacun dans un cadre défini. Pour ceux qui sont chargés de le faire respecter, c’est se balader en permanence sur une ligne de crête. J
ROMUALD MEIGNEUX/SIPA
Enseigner la laïcité aux profs… Mission impossible ?
Vu de ma classe
Par Max Heze
Chaque jeudi, Max Heze, qui enseigne l’histoire-géo dans un collège de zone périurbaine, chronique sa vie de professeur. Dans ce nouvel épisode, il évoque pour une fois non pas la vie de sa classe mais la façon dont le corps professoral est formé à la laïcité.
« Cette convocation vaut ordre de mission. » Parfois, en ouvrant son casier en salle des profs, la vie d’un enseignant ressemble à celle de James Bond. Mon Dieu, où vais-je déguster mon prochain cocktail Vodka Martini ? Quels gadgets les services techniques du rectorat ont-ils installés sur mon Aston Martin ? « Monsieur, vous êtes convié à la phase 2 de la formation laïcité au collège X … ». Adieu smoking et soirée au casino, bonjour la cafetière-citerne d’un hectolitre, la même dans tous les bahuts, qui délivre une boisson toujours brûlante. Mais pourquoi donc une telle session ?
Après l’assassinat de Samuel Paty, en novembre 2020, un plan « de formation des personnels à la laïcité et aux valeurs de la République » a été décidé par le ministre. Il s’agit de renforcer les connaissances de tous les employés de l’Éducation nationale sur ces sujets. Cela serait certainement plus utile aux « usagers » de l’école comme on dit aujourd’hui, pensé-je. Cela n’est pas si simple en réalité, car en la matière et avec l’accumulation des réglementations, tout le monde peut avoir quelques lacunes.
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La formation est organisée dans la plupart des académies comme suit : une première étape préparatoire avec l’envoi de capsules vidéos, puis une demi-journée de formation en « présentiel ». Enfin, un temps d’échange dans notre établissement d’origine pour coller au plus près à la réalité du terrain. Lancée en octobre 2021, l’opération est toujours en cours actuellement. Si la mission du jour semble à ma portée, j’ai quand même une petite appréhension, le thème est sensible. La récente affaire du burkini à Grenoble rappelle que l’objet d’étude est hautement inflammable. Le ciel est bas, l’orage menace, Skyfall. En arrivant, je suis presque soulagé de croiser des têtes connues et par réflexe grégaire, je rejoins ma meute.
Pour une fois, l’introduction n’est pas trop longue, les deux formatrices, ce jour-là, des CPE (la plupart des intervenants ont reçu une formation au préalable de 60 heures, parfois plus), font le tour des outils à disposition déjà présents dans les établissements : guide de la laïcité, liste des référents laïcité et des textes de lois indispensables. L’heure est manifestement à l’efficacité, droit au but. La plupart des collègues reprennent leur service l’après-midi. Très vite, on nous divise en petits groupes pour étudier des cas réels avec à disposition quelques documents dont la charte de la laïcité et des extraits du Code de l’éducation. Un rapporteur est nommé, cela ressemble à s’y méprendre aux travaux en îlots que l’on fait faire à nos élèves, nous sommes en terrain connu. Ça va être fastoche, la laïcité à l’école, on connaît.
« Que faire avec les signaux dits “faibles” ? Une grande croix de 20 cm, une kippa, un tee-shirt “I believe in Jesus”, un voile, c’est vite vu. Mais une abaya – cette longue jupe noire ? »
Évidemment, c’est plus nuancé, et les cas choisis sont en zone grise, là où les fondamentalistes en tout genre pourraient pousser leurs pions. En temps scolaire, pas trop de problèmes, les signes ostentatoires sont vite repérés tout comme les atteintes manifestes à la laïcité. Récemment, des élèves d’un collège du centre-ville de Toulouse ont refusé de chanter en cours de musique pendant le ramadan, de nombreux articles ont relayé l’affaire. L’histoire a été gérée rapidement, par le dialogue, comme c’est toujours l’usage dans un premier temps, avec les élèves concernés puis avec les parents. Dans ce cas précis, le Code de l’Éducation rappelle l’obligation d’assiduité à tous les cours et un élève ne peut pas faire le tri de son emploi du temps pour des motifs religieux.
La sanction pour manquement au principe n’intervient que s’il y a récidive. L’école doit d’abord éduquer et sensibiliser. Dans la plupart des cas, cela s’arrête là. Mais que faire avec les signaux dits « faibles » ? Une grande croix de 20 cm, une kippa, un tee-shirt « I believe in Jesus », un voile, c’est vite vu. Mais une abaya – cette longue jupe noire portée « comme un sarouel », d’après l’intéressée ? Que faire ? Pas facile pour les agents de la fonction publique de faire le tri entre vêtements ostentatoires et effet de mode.
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Tout dépend si cela est répété dans la durée, avec une volonté manifeste de faire un lien avec la religion. Connaître l’intentionnalité de l’élève est primordial avant toute prise de décision. Et à l’internat, les élèves ont-ils le droit de faire une prière ? « On est dans un établissement scolaire, c’est non », pense la majorité des collègues. « Surtout si on est dans le public », renchérit un autre. Oui mais dans ce cas, un élève interne ne pourrait pas pratiquer, hors temps scolaire, et cela irait contre la liberté religieuse. « Ah oui, c’est comme en voyage scolaire », fait remarquer une collègue confrontée au cas il y a quelques années. « En plus, on avait des correspondantes anglaises ». « Les élèves étrangers sont soumis au même règlement que les autres pendant leur séjour en France », précise la CPE qui s’est assise à notre table.
Alors, peut-on prier dans un internat, relance-t-elle ? En fait, le Code de l’Éducation autorise, sur demande, la mise à disposition d’une salle, qui peut aussi être un espace méditatif, dans les internats si les élèves n’ont pas la possibilité de sortir. Cela est conditionné à une pratique individuelle et qui ne heurte pas la liberté de conscience des autres élèves. Pas de prières collectives, donc. Les élèves internes sont aussi autorisés à prier seuls dans leur chambre, hors temps scolaires (s’ils disposent d’une chambre individuelle, car ils n’ont pas le droit de demander aux camarades de chambrée de partir), en respectant les mêmes conditions.
UNE LOI SÉPARATISME QUI BROUILLE LES PISTES
L’esprit du Code, dans le sillage de 1905, est donc plus souple que ce que l’on pourrait croire, car, rappelons-le, le principe de laïcité n’est pas une interdiction de pratiquer, mais vise plutôt à favoriser le vivre-ensemble en respectant les libertés fondamentales et droits de chacun dans un cadre défini. Pour ceux qui sont chargés de le faire respecter, c’est se balader en permanence sur une ligne de crête. Jugée comme sage et suffisamment complète, la loi de séparation des Églises et de l’État s’est pourtant vue renforcée pour les uns, dénaturée pour les autres, par une nouvelle loi dite sur le « séparatisme ». Appelée officiellement « loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République », elle est surtout connue du grand public pour avoir limité la possibilité d’instruction à la maison. C’est aussi elle qui a rendu obligatoire la création des référents laïcité dans toutes les administrations. Dans notre situation, elle est venue brouiller un peu plus les pistes. Les accompagnateurs bénévoles, les parents la plupart du temps, ont-ils le droit de porter des signes ostentatoires dans le cadre des sorties scolaires ?
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Sur cette question, mon voisin pense avoir un temps d’avance. « Non, le Sénat a fait passer un amendement contre l’année dernière, c’était pendant le petit confinement au printemps, et contre l’avis du gouvernement ». Encore raté, la formatrice intervient de nouveau « En fait l’amendement du Sénat a été rejeté et la loi est passée en deuxième lecture à l’Assemblée l’été dernier, il n’a donc pas été adopté, les femmes voilées ou celles qui portent un autre signe religieux peuvent accompagner les élèves en sortie scolaire à condition évidemment de ne pas faire de prosélytisme ». J’imagine le soulagement de certains collègues qui, sans ces mères, ne pourraient tout simplement plus organiser de sorties, faute d’accompagnants.
Loi sur la séparation des Églises et de l’État de 1905, loi sur les signes religieux à l’école de 2004, loi dite sur le séparatisme de 2021, Code de l’Éducation, règlements intérieurs des administrations, ceux des entreprises (à connaître pour les futurs stagiaires ou apprentis), la France doit détenir un record en la matière, on y perdrait son latin, et les nombreux vade-mecum sur le sujet, en circulation dans les établissements, doivent souvent être réactualisés.
« À vrai dire, pour l’immense majorité des élèves, le sujet n’est pas une obsession quotidienne. »
« Mais on n’a pas le droit de parler religion en cours d’histoire, m’sieur, on est dans une école laïque », m’a fait remarquer L. un jour où j’abordais les relations entre les empires chrétiens et le monde musulman en 5e. « Je ne vais pas vous faire un cours de théologie et je n’ai pas le droit de faire l’apologie de telle ou telle religion, mais on a parfaitement le droit de parler de l’importance du fait religieux en histoire et donc d’aborder aussi quelques notions indispensables pour comprendre. Pouvoir politique et pouvoir religieux ont souvent, voire quasiment toujours été associés jusqu’à peu ».
« C’est quoi pour vous la laïcité d’ailleurs ? », demandé-je. « C’est l’interdiction de croire » pour S. « C’est ne pas porter de signes religieux à l’école » pour A. avant de rajouter : « c’est la religion de la France ». Ils sont pourtant sensibilisés dès le primaire à la question, puis de nouveau à l’entrée au collège, le plus souvent lors de l’Enseignement moral et civique. Mais le concept reste flou pour de nombreux ados. À vrai dire, pour l’immense majorité d’entre eux, le sujet n’est pas une obsession quotidienne.
Ceci dit, former les enseignants leur permettra d’aborder ces sujets, parfois difficiles, avec plus d’assurance et de recul ce qui facilitera la gestion de cas qui requièrent dialogue et pédagogie, pas de l’hystérie. Des situations concrètes sur les atteintes à la laïcité ou non ainsi qu’une connaissance minimum de la loi devraient faire partie de la formation initiale de façon systématique et renforcée. Rester ferme sur les principes et valeurs de la République, tout en respectant les libertés fondamentales de chacun est un travail d’équilibriste effectué au quotidien par certains collègues. C’est un vrai travail de l’ombre mais ô combien indispensable. Finalement la mission n’est pas si évidente, même pour les meilleurs agents du MI6.