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Turquie est accusée de s’inscrire dans une « logique colonialiste »
Ankara accuse Abu Dhabi d’actions « mal intentionnées » en Libye tandis que la Turquie est accusée de s’inscrire dans une « logique colonialiste ». Passe d’armes diplomatique entre les Émirats et la Turquie.
Les Émirats arabes unis ont exhorté la Turquie à arrêter de « s’immiscer » dans les affaires des pays arabes et à se défaire d’une logique « colonialiste », après avoir été accusés par Ankara d’actions « malintentionnées » en Libye, pays en guerre. La Turquie a vivement dénoncé vendredi par la voix de son ministre de la Défense, Hulusi Akar, les actions des Émirats en Libye, où les deux pays soutiennent des camps opposés, et affirmé que les « comptes seront faits » entre Ankara et Abu Dhabi.
Le GNA est soutenu militairement par la Turquie et Khalifa Haftar est appuyé par l’Égypte voisine, les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Russie.
En réponse, le ministre d’État des Émirats aux Affaires étrangères, Anwar Gargash, a demandé à la Turquie de « cesser de s’immiscer dans les affaires arabes ». Anwar Gargash a affirmé que la Turquie devait se défaire des comportements rappelant l’ère de « la Sublime Porte (symbole de l’Empire ottoman) et du langage colonialiste ». « La Sublime Porte et les illusions colonialistes n’ont de place que dans les archives de l’histoire […] et les relations entre États ne se gèrent pas par les menaces », a-t-il ajouté dans un tweet.
Le ministre turc de la Défense s’en était pris à Abu Dhabi dans un entretien avec la chaîne de télévision qatarie Al-Jazira. « Il faut demander à Abu Dhabi d’où viennent cette hostilité, ces mauvaises intentions, cette jalousie », avait affirmé Hulusi Akar. Ces déclarations interviennent dans un contexte de tensions croissantes entre les pays impliqués dans le conflit en Libye, qui oppose le Gouvernement d’union nationale (GNA), reconnu par l’ONU et siégeant à Tripoli, et le maréchal Khalifa Haftar, qui règne sur l’est et une partie du sud de ce pays.
Les tensions se sont renforcées ces dernières semaines, l’Égypte menaçant d’intervenir militairement si le GNA avance vers la ville stratégique de Syrte, le prochain objectif affiché des forces de Tripoli.
Le conflit en Libye a aggravé les tensions entre Ankara et Abu Dhabi, dont les relations se sont dégradées ces dernières années sur fond de rivalité régionale et en raison du soutien apporté par les Turcs au Qatar dans la querelle qui oppose ce pays à ses voisins du Golfe. En 2018, la Turquie avait ainsi donné le nom d’un dignitaire ottoman critiqué par Abu Dhabi à la rue où était située l’ambassade des Émirats à Ankara.
Macron a tout faux en Libye. Le conflit libyen rappelle que la France du XXIe siècle perd pied au niveau international lorsqu’elle fait cavalier seul.
Emmanuel Macron avec le maréchal Khalifa Haftar, le 25 juillet 2017, à La Celle-Saint-Cloud, près de Paris. © JACQUES DEMARTHON / AFP
La politique de la France en Libye est dans l’impasse. Sa crédibilité diplomatique est entamée ; le seigneur de la guerre local sur lequel elle a misé est sur la touche ; ses intérêts sont affectés. Neuf ans après l’intervention militaire occidentale qui contribua à la chute de Muammar Kadhafi, le bilan est sombre. Le théâtre libyen montre, une fois de plus, combien la France pèse peu dans les affaires du monde quand elle néglige de mobiliser l’Europe derrière elle.
Il est humiliant pour les autorités françaises de n’avoir reçu le soutien que de huit alliés de l’Otan sur trente lorsqu’elles ont porté à Bruxelles leur différend avec la Turquie sur le dossier libyen, après un incident naval en Méditerranée. Le verdict est cruel, surtout si l’on prend en compte le peu de crédit accordé au président Recep Tayyip Erdogan en Europe ces temps-ci. La ligne française ne convainc pas nos partenaires.
L’échec au printemps de l’offensive sur Tripoli lancée par le maréchal Haftar, un ancien militaire kadhafiste, a montré la vacuité des tentatives de régler le conflit par les armes, dans un pays livré aux milices, aux tribus et aux trafics en tous genres. Les deux scénarios désormais les plus vraisemblables sont tous deux contraires aux intérêts européens : celui d’un conflit gelé, consacrant la partition entre l’Est (la Cyrénaïque) sous la protection d’Erdogan et l’Ouest (la Tripolitaine) aux mains d’Haftar et de ses sponsors russes et arabes, ou celui d’une aggravation des combats et d’une intensification des ingérences étrangères.
La spirale de l’échec vient de loin. Le tableau géopolitique d’ensemble est catastrophique. En ayant réussi à prendre pied en Afrique du Nord à la faveur du chaos libyen, Ankara et Moscou se sont octroyé de nouveaux moyens de faire chanter l’Europe sur les questions d’immigration illégale, d’approvisionnement en hydrocarbures ou de lutte anti-djihadistes. La Turquie et la Russie sont désormais en bonne position pour installer des bases navales ou militaires sur la frontière sud de l’Union européenne, accroître leur influence au Maghreb et avoir leur mot à dire au Sahel.
La spirale de l’échec vient de loin. Depuis 2011, les prédécesseurs d’Emmanuel Macron portent leur part de responsabilité. Néanmoins, trois erreurs persistantes brouillent la perception de la politique suivie par la France et nourrissent les préventions en Europe à son égard.
– Premièrement, l’ambiguïté de son positionnement. Depuis qu’on a appris fortuitement en 2016 que des forces spéciales françaises avaient été engagées secrètement aux côtés du maréchal Haftar, Paris n’a pas effacé l’impression de partialité qui lui colle à la peau dans ce conflit. En 2019 encore, des missiles antichars de l’armée française ont été découverts dans une base d’Haftar conquise par les forces de Tripoli. Aujourd’hui, les protestations françaises de neutralité sont accueillies avec scepticisme dans les capitales européennes.
– Deuxièmement, le double langage. En condamnant dans les termes les plus sévères les violations par Ankara de l’embargo onusien sur les livraisons d’armes aux protagonistes, mais en passant sous silence les transgressions tout aussi graves des Émirats arabes unis ou de la Russie, la France attise les suspicions de ses alliés.
– Troisièmement, les provocations inconsidérées. En pointant, dans les agissements de la Turquie en Libye, une nouvelle preuve de ce qu’il appelle la « mort cérébrale » de l’Otan, Emmanuel Macron ne rend pas service à la cohésion de l’Europe. La plupart des États membres considèrent que l’Alliance atlantique est une composante vitale de leur sécurité. Ils voient dans le vocabulaire choisi par le président de la République, au mieux, une marque de frivolité à leur égard.
La France, qui dit craindre une « syrianisation » de la Libye, ne reprendra pas un contrôle minimal de la situation tant qu’elle n’aura pas reconstruit l’unité de l’Union européenne et poussé celle-ci à l’action, pour imposer un cessez-le-feu durable, pour faire respecter l’embargo sur les armes et pour favoriser un règlement politique. Le moment est favorable depuis que les États-Unis, inquiets de l’irruption russe en Afrique du Nord, s’intéressent à nouveau au dossier. Pour y parvenir, la France devra choisir un cours en phase avec ses principaux partenaires, notamment l’Italie et l’Allemagne. La « souveraineté européenne » tant vantée par Emmanuel Macron est à ce prix.
Libye : Alger veut mettre l’ONU devant ses responsabilités
Des partisans de Khalifa Haftar participent à un rassemblement dans la ville portuaire de Benghazi, dans l’est de la Libye, le 5 juillet 2020, pour protester contre l’intervention turque dans les affaires du pays. © Abdullah Doma/AFP
Le GNA est soutenu militaire-ment par la Turquie, mais le maréchal Haftar est appuyé par l’Égypte voisine, les Emirats arabes unis, l’Arabie saoudite et la Russie
L’Algérie s’inquiète des ingérences en Libye et veut proposer, avec la Tunisie, une nouvelle initiative de sortie de crise sous égide onusienne.
Elle a entamé des contacts intensifs avec la Russie, la France, la Tunisie et les Nations unies dans le cadre d’une nouvelle initiative pour le règlement de la crise en Libye, a révélé le quotidien arabophone El Khabar. Cette initiative s’articule sur deux axes principaux.
– D’abord la neutralisation de la situation militaire sur le terrain pour une durée maximale afin de permettre un retour à la table des négociations, consacrant ainsi le refus d’une solution strictement militaire. L’objectif ces prochains de mois pour Alger est d’éviter que l’une des parties engagées dans ce conflit cumule de nouvelles avancées sur le terrain militaire, enrayant ainsi le cycle des provocations.
– Deuxièmement, permettre à l’ONU d’imposer l’interdiction de l’entrée en Libye d’armes et de combattants de l’étranger. L’embargo en vigueur n’étant pas respecté, l’idée est d’octroyer aux Nations unies une plus grande capacité de contrainte et développer ainsi un nouveau mécanisme onusien de règlement de la crise.
Un rôle plus proactif de l’ONU, selon Alger, découlerait, d’après El Khabar, du fait que le début de la crise remonte à une décision… onusienne : en mars 2011, la résolution du Conseil de sécurité 1970 a mis en place un embargo sur les armes à destinati […]
Libye : pourquoi l’Europe a vraiment une carte à jouer. Contrairement aux Russes, aux Américains et aux Turcs, l’Europe a intérêt à une Libye stabilisée. Et pas seulement pour des questions de migrations.
La Libye, un test grandeur nature pour jauger les capacités de l’Europe. Un état de conflit armé ne se stabilise que de trois façons : soit par la victoire totale d’un des adversaires en présence ; soit par un équilibre stratégique accepté par les belligérants et sanctionné par un traité d’armistice puis de paix ; soit, enfin, par l’équilibre des forces. Autrement dit, une guerre trouve son issue soit dans une Pax Romana où l’un des adversaires domine, anéantit ou absorbe l’autre ; soit dans des traités comme ceux de Westphalie par lesquels, en 1648, les États européens ont constaté l’incapacité de chacun à établir un empire ; soit par un équilibre de la terreur comme durant la guerre froide.
En Libye aujourd’hui, les perspectives de stabilisation du conflit paraissent aussi éloignées qu’au début de la reprise des hostilités en 2014. En effet, aucun des belligérants n’est capable de s’imposer et de rétablir par ses propres forces « le monopole de la violence légitime » et l’unité du pays. La Libye reste plus que jamais clivée entre tribus rivales et entre groupes d’intérêt en compétition. À l’Est, le gouvernement dit “de Tobrouk”, dominé par le général Haftar, a subi une série de défaites durant les premiers mois de 2020, malgré le soutien très actif des Émirats arabes unis et de la société militaire privée russe Wagner ; à l’Ouest, le gouvernement dit “GNA” (pour Government of National Accord) de Fayez al-Sarraj est loin d’avoir remporté une victoire complète au premier semestre malgré l’appui des forces armées turques.
Attisée par les ingérences extérieures, la deuxième guerre civile de Libye n’a pour perspective que la prolongation indéfinie des offensives et des contre-offensives qui s’enchaînent depuis 2014. Ne serait-ce pas avant tout parce qu’aucune des puissances régionales en présence n’a objectivement intérêt à une stabilisation… sauf les Européens ?
La Turquie est mue par des objectifs économiques
Le retour stratégique de la Turquie dans la région ne vise pas une résolution de la crise libyenne. En autorisant, début janvier 2020, les forces armées turques à se déployer en Libye en appui au gouvernement GNA, le Parlement de Turquie et le président Erdogan poursuivent un agenda stratégique où la stabilisation et l’unité du pays ne sont que secondaires. Les objectifs économiques sont évidents et consacrés par la convention passée avec le GNA pour l’exploitation des ressources en hydrocarbures de la Libye.
Sur le plan stratégique, l’intérêt de la Turquie est de passer de la défensive en Syrie à l’offensive en Méditerranée orientale, notamment pour faire contrepoids à l’omniprésence russe à ses frontières, au nord comme au sud. Enfin, au niveau politique, la présidence Erdogan offre à une partie de sa population une satisfaction de fierté nationale dans une période de crise économique et d’isolement international.
Si le déploiement de forces sur terre, sur mer et dans les airs permet de faire évoluer le rapport de force de façon valorisante pour la Turquie, la sortie de crise, répétons-le, n’est pas le but d’Ankara. En effet, tant que…