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Procès des attentats de janvier 2015 : le « problème » Farid Benyettou
L’ancien mentor des frères Kouachi, ex-« émir des Buttes-Chaumont » et idéologue « repenti » du djihad, a été entendu samedi par la cour d’assises spéciale. Par Marion Cocquet
Farid Benyettou à son arrivée au tribunal, le 3 octobre 2020. © CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Farid Benyettou est un « repenti ». Il le dit, il le répète, il en a la physionomie et l’allure : des yeux désolés derrière de petites lunettes, des mains qui se joignent et se pressent en signe de contrition, des hochements de tête pleins de déférence lorsqu’on l’interroge. Recruteur et idéologue de la filière dite des Buttes-Chaumont au début des années 2000, le mentor des frères Kouachi a été condamné en 2008 à 6 ans de prison. En 2009, lorsqu’il recouvre la liberté, il n’est plus bien sûr de ses convictions radicales : « Je ne savais plus où j’en étais par rapport à ça, je voulais me consacrer à mes études, j’étais dans le flou. » En 2012, les tueries de Mohammed Merah l’horrifient : Farid Benyettou change du tout au tout, à l’en croire. En 2017, après avoir écrit Mon djihad, itinéraire d’un repenti avec la sociologue controversée Dounia Bouzar, il peut afficher un badge « Je suis Charlie » sur le plateau de Thierry Ardisson.
Cité comme témoin par les parties civiles au procès des attentats de janvier 2015, Farid Benyettou était entendu samedi. Qu’attend-on de lui, à ce moment du procès ? Qu’il aide à faire naître la vérité, estime une avocate, qu’il aide à comprendre l’itinéraire meurtrier des terroristes de Charlie Hebdo . De la « vérité », cependant, on n’aura que des bribes. Un portrait de Chérif Kouachi notamment, que Farid Benyettou fréquentait davantage que son frère. « Il était venu me voir en 2004 pour trois choses, dit-il. Il voulait aller en Irak , il voulait régler des comptes avec un ami, et il voulait casser des commerces juifs avant de partir. Avant ça, j’ai appris qu’il avait participé au caillassage d’un restaurant juif dans le 19e arrondissement. » À l’époque, dit Farid Benyettou, lorsque les jeunes qu’il endoctrine se retrouvent le samedi, Chérif prend un plaisir certain à fermer les portes des immeubles devant leurs habitants juifs, à qui le shabbat interdit de toucher des systèmes électriques.
« Il voulait contrôler les gens autour de lui »
À sa sortie de prison, son disciple est devenu bien plus dur. « Même les autres djihadistes trouvaient que Chérif allait beaucoup trop loin », dit-il. Il décrit l’aîné des Kouachi comme un homme colérique, agressif. « Quand les gens parlaient mal de son frère, ou me regardaient mal, moi, parce qu’ils m’avaient vu dans les journaux, ça le mettait en colère. Pour lui, la seule manière de régler les choses c’était par la violence. » Il le décrit, aussi, comme un homme très intrusif et qui voulait « contrôler les gens autour de lui », qui décidait qui devait se marier et avec qui – « même par rapport à moi, il voulait absolument me marier à sa belle-sœur, puis sa sœur ». Se dessinent aussi les contours d’un homme « malade », comme Benyettou l’a écrit dans son livre, un homme proche de la folie, même, qui voit le Prophète en rêve et se convainc qu’il s’adresse à lui, qui s’obsède pour des vidéos pédopornographiques que des enquêteurs auraient injectées dans son ordinateur en le menaçant de les dévoiler plus tard. Farid Benyettou a-t-il essayé d’user de son influence auprès de lui pour le faire renoncer à ses projets ? Il essayait de « discuter », assure-t-il, il avait avec lui des débats, sans cesse, mais Chérif Kouachi ne pouvait plus entendre raison. « Il disait “Farid a changé”, “Farid a changé”, il allait voir ceux qui lui disaient ce qu’il voulait entendre. Il lisait ses propres livres, téléchargeait lui-même ses vidéos. Il n’avait plus besoin de moi. »
Certains détails restent troublants. La façon que Farid Benyettou a d’assumer en parole ses responsabilités, tout en assurant qu’il avait à l’époque une vision très « politique » du djihad, qui excluait de commettre des attentats sur le sol français. Ses contacts répétés avec Chérif Kouachi et d’autres de ses anciens disciples, jusqu’en 2014. « Ils essayaient de me contacter, moi je disais que je n’avais pas le temps, je prétextais mes études. Chérif, c’était plus compliqué parce qu’il venait directement sans s’annoncer. » Il y a enfin le voyage de Chérif Kouachi au Yémen , en 2011, à un moment où, rappelle l’avocate de parties civiles Me Barré, Farid Benyettou n’a pas encore rompu tout à fait avec l’idéologie djihadiste. Comment croire que le futur tueur de Charlie n’en ait pas informé son ancien mentor ? « La seule explication, c’est qu’il voulait être discret sur son projet. »
« Êtes-vousCharlie , M. Benyettou ? »
En l’absence d’une « vérité » roborative, les questions de la partie civile tournent à l’attaque en règle, jusqu’à l’absurdité. « Êtes-vous Charlie , M. Benyettou ? » « Est-ce que vous pouvez nous dire comment est-ce qu’on pourrait reconnaître un faux repenti ? », « Quelle mosquée fréquentez-vous aujourd’hui, M. Benyettou ? », « Pourquoi est-ce que vous avez choisi le métier de chauffeur poids lourds ? », « Votre statut de repenti, qui vous permet de dire à cette barre que vous êtes désolé pour les victimes, qu’est-ce qu’il vous rapporte ? » Il y a, jusque dans les rangs des avocats, des murmures de protestation et des regards gênés. Les questions de la partie civile s’éteignent, le parquet reste silencieux. Du côté de la défense se lève seule Me Dosé, l’une des avocates de Pastor Alwatik. « L’idéologie, elle est là, elle existe, et vous n’êtes accusé de rien alors qu’ici, dit-elle en désignant le box, il n’y a pas cette idéologie. Vous comprenez que cela pose problème à tout le monde, ici ? » L’audience est suspendue.