«Les jeunes filles au pair placées par des agences, c’est terminé, plus jamais », tranche Jean*, catégorique. À la tête d’une famille nombreuse, lui et son épouse ont d’abord été séduits par l’idée d’accueillir une «au pair », enthousiasmés par ce système qui repose sur le partage et la transmission. De plus, proposer le gîte et le couvert en échange d’une garde d’enfants est un accord «gagnant-gagnant », pensait-il au départ. Il ne s’attendait pas à un «enchaînement d’expériences catastrophiques ».
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Car si les conflits et malentendus entre les familles et les jeunes filles au pair sont relativement rares, tout ne se passe pas toujours comme prévu. Et pour cause : certaines plateformes, bien souvent non répertoriées par l’Union Française des Agences Au Pair (Ufaap), jouent sur l’ambiguïté du mot «agence», ne filtrant et ne contrôlant pas les profils des candidates. Ce qui donne lieu à de nombreuses arnaques.
Les agences au pair, un «sombre business humain»?
Lorsque Jean et son épouse Bénédicte* ont pris la décision d’accueillir une jeune fille au pair à la maison, tous les deux ont d’abord pris leur mission de famille d’accueil très à cœur. Pour eux, ouvrir leurs portes à une «au pair», c’était un peu comme «devenir parents une nouvelle fois ». «Héberger une jeune au pair signifie être responsable de cette personne, c’est un enfant de plus à charge. Vous devez donc veiller que tout se passe bien pour elle, d’autant plus que, sinon, il y a de fortes chances que ça se passe mal aussi avec les enfants », dit Jean.
Souhaitant embaucher une jeune fille à l’année, les parents se tournent alors vers une agence, convaincus que «ce serait plus sérieux ». Mais les «catalogues en ligne » sont bien éloignés de ce qu’ils avaient imaginé : «on a l’impression de piocher un peu hasard. Les CV sont très courts et les photos de profil ne veulent rien dire », note Jean, qui pense passer par une agence, alors qu’il s’agit en réalité d’une plateforme de mise en relation. «Contrairement aux vraies agences qui montent un dossier complet de 20 pages avec lettre de motivation, passeport, CV et dossier médical, certains sites se revendiquent comme agence alors qu’il s’agit en fait de plateformes basées sur le modèle Meetic, où il y a simplement l’âge, la nationalité et la photo », souligne Sophie Hertzog, présidente de l’Ufaap.
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Finalement, le choix de Jean et Bénédicte s’arrête sur une Australienne. Mais une fois la jeune fille au pair sur place, le couple déchante rapidement : malgré l’une de leurs demandes explicites consistant à aller chercher les enfants à l’école en voiture, il s’avère que la jeune fille ne sait pas conduire, contrairement à ce qui avait été indiqué sur son CV. Pis, en voulant faire illusion, elle finit par cabosser la voiture du couple. Jean et Bénédicte relativisent mais ils ne sont pas au bout de leurs peines : les incompréhensions s’enchaînent, et, bientôt, en plein milieu de l’année scolaire, la jeune fille demande à rentrer chez elle. «Ça a viré au cauchemar. Il y a un côté très sombre dans les agences de jeunes filles au pair : derrière le rêve qui est vendu aux familles, on se rend rapidement compte qu’il y a tout un business humain où il s’agit de placer les gens et, une fois la jeune fille placée, lorsqu’il y a un problème, vous êtes face à un mur », rapporte Jean. L’Australienne partie, Jean tente, en vain, de contacter l’agence pour trouver une remplaçante. Ses demandes restent lettre morte. Impossible également de joindre la démissionnaire, qui, en partant, laisse à Jean le soin de répondre aux mises en demeure et de résilier ses abonnements et contrats.
Malgré tout, le couple ne perd pas espoir. L’année suivante, il embauche une Bolivienne. Une nouvelle fois, celle-ci ne colle pas aux attentes du couple. «Elle avait une image romantique et idéalisée de la France. Saint-Germain-en-Laye en plein hiver, c’était trop dur pour elle. Le soleil lui manquait. Elle est repartie en Bolivie en plein milieu d’année », résume Jean. Dans une dernière tentative, le couple se tourne vers une jeune fille polonaise. Celle-ci, contrairement à ce qui a été demandé, n’a aucune connaissance de base du français. La barrière linguistique est trop forte, et l’expérience se solde également par un échec.
« Certaines n’ont pas conscience de ce qu’est la vie d’une famille nombreuse »
Comme Jean, Anne-Marie a dû faire face à quelques déconvenues. À la recherche d’une jeune fille au pair disponible pour toute une année scolaire, cette mère de famille déplore que certaines au pair imaginent que cette expérience consiste à un simple «échange de logement contre services » : «Certaines ne comprennent pas que le but est d’intégrer un foyer, et elles n’ont pas conscience de ce qu’est la vie au sein d’une famille nombreuse. C’est très important pour moi qu’elles fassent partie de la famille, qu’elles prennent les repas avec nous, partent en vacances avec nous », énumère Anne-Marie. «Il est arrivé qu’il y ait une incompréhension entre leurs attentes et les nôtres, ou qu’elles ne soient pas d’accord avec notre mode de fonctionnement. Elles sont reparties dans leur pays, d’un commun accord ». Et Anne-Marie s’est retrouvée en pleine année scolaire le bec dans l’eau.
Une question d’alchimie et de filtres
Mais ce qu’Anne-Marie ne sait pas, c’est que l’agence par laquelle elle est passée, qui se revendique comme étant «le leader mondial des agences au pair le plus renommé sur Internet », est en réalité une plateforme de mise en relation. «Ce sont contre ces sites, qui entretiennent l’ambiguïté, que nous nous battons », explique Sophie Hertzog, affirmant que, sur ces plateformes, «rien n’est contrôlé » et les familles ne sont pas suivies : «n’importe qui peut déposer son dossier en quelques minutes, sans aucune vérification. Nous, nous proposons aux familles d’accueil des jeunes filles ayant été filtrées non seulement par les critères de l’Union, mais aussi par les critères imposés par le gouvernement français », poursuit-elle. Selon ces critères, la jeune fille doit, entre autres, impérativement avoir le bac, être âgée de moins de 30 ans, avoir des connaissances du français et avoir deux expériences minimum de garde d’enfants. L’Ufaap ajoute ensuite ses critères, comme, par exemple, l’envoi d’une vidéo de conduite.
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Mais pour les plateformes qui ne proposent pas un service d’agence à proprement parler tout en se disant «agence», ce n’est pas tant les filtres qui font la réussite d’une expérience au pair, mais plutôt «l’alchimie » entre la jeune fille et la famille. «Il peut simplement arriver que l’alchimie ne soit pas bonne », assure au Figaro AuPairWorld, «ou que les attentes n’ont pas été clairement exprimées à l’avance. C’est pourquoi nous recommandons toujours aux utilisateurs de se contacter le plus souvent possible via Skype ».
D’autres agences optent pour un système «hybride », comme l’entreprise Au Pair Butrfly qui propose, d’un côté, une plateforme gratuite, sans accompagnement, et, de l’autre, un service ‘premium’, qui s’assimile à un travail d’agence. «Nous avons un minimum de filtres sur la plateforme gratuite, où, par exemple, nous refusons certaines nationalités car nous savons qu’elles ont peu de chances d’obtenir un visa, les consulats craignant l’immigration déguisée. En revanche, dans notre service premium, nous faisons le maximum pour que le projet de l’au pair et le projet de la famille coïncide », nous assure-t-on.
Le bouche-à-oreille virtuel, une alternative?
Pour échapper aux arnaques, certains parents et grands-parents préfèrent dénicher des jeunes filles via d’autres modes de recrutement, évitant les agences. Amélie*, qui accueille chaque été ses 6 petits-enfants, tous âgés entre 2 et 7 ans, ne jure plus que par Gens de Confiance, un réseau social basé sur le bouche-à-oreille et qui héberge, entre autres, les annonces des jeunes filles au pair. «Cela fonctionne, car c’est la magie du système », assure au Figaro Nicolas Davoust, l’un des fondateurs de Gens de Confiance : contrairement aux jeunes filles au pair qui passent par des agences, celles qui déposent des annonces sur ce site sont «tenues par leurs relations sociales ». «Personne n’a envie de décevoir ses amis ou son parrain [ndlr : trois parrains sont nécessaires pour accéder aux services proposés par Gens de Confiance]. De plus, il est plus facile de considérer une jeune fille au pair comme faisant partie de la famille lorsqu’il s’agit de la fille d’amis ou de cousins », explique Nicolas Davoust.
Mais si Gens de Confiance représente une alternative aux agences, le système n’est toutefois pas sans faille. La semaine dernière, le site a rappelé aux jeunes filles au pair qu’il était important de «respecter leur engagement » : «il n’est pas acceptable de se désister au dernier moment même si un ‘super bon plan entre amis’ est proposé. S’il y a un empêchement de dernière minute justifié, vous devez mettre un point d’honneur à trouver quelqu’un pour vous remplacer, avec l’accord de la famille », prévient le réseau social.
Pour Amélie, peu importe que la jeune fille au pair soit recrutée via une agence, un site Internet ou le bouche-à-oreille. «L’essentiel, c’est de cadrer les jeunes filles dès le départ, expliquer les règles et installer un dialogue », préconise-t-elle. «La recette, c’est d’être strict et clair », mais sans oublier que la plupart «ont tout juste 17 ans », s’empresse d’ajouter Amélie. «C’est pourquoi je laisse toujours aux jeunes filles trois heures de repos durant la sieste et leur propose systématiquement de les emmener visiter la cathédrale d’Albi, pour ne pas qu’elles s’ennuient ». Car c’est ça, pour Amélie, l’essentiel de l’expérience «au pair» : le partage.
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*Le prénom a été changé