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Elmar Kremser/SVEN SIMON/picture alliance / SvenSimon/Newscom/MaxPPP
Par Milan Sen
Publié le 17/08/2022
Dans une tribune, Milan Sen, rédacteur au sein de la revue « Le Temps des ruptures » et membre de la Fondation Jean-Jaurès, explique pourquoi il faut prendre au sérieux les islamistes et leur idéologie.
A chaque attentat, les mêmes voix s’élèvent pour dénoncer l’infâme : « Les terroristes sont des fous. » Loin d’être vraie, cette naïve affirmation a toutefois l’avantage d’exclure l’islamisme du raisonnable, de l’entendement, et donc permet de ne pas regarder la réalité en face.
A la suite de l’agression de Salman Rushdie, les messages de soutien et d’hommage ont bienheureusement afflué. Mais certains dénotent une incompréhension face à cet acte odieux, « comment peut-on attaquer quelqu’un pour un livre ? », « pourquoi s’en prendre à la liberté d’expression ? », « comment peuvent-ils encore lui en vouloir trente ans après ? », etc. Ces interrogations ne relèvent pas d’une mauvaise foi (sans mauvais jeu de mot) dissimulée : ces gens-là pensent réellement que les islamistes sont insensés. En France, pays de tradition laïque, où la religion a progressivement été confinée dans la sphère privée, nous n’arrivons pas, ou plutôt « plus », à comprendre ce qu’implique une croyance dogmatique.
PRENDRE AU SÉRIEUX LA CROYANCE RELIGIEUSE
Lorsqu’on affirme, naïvement, que la religion n’est pour les islamistes qu’un prétexte – à la folie, au nihilisme ou à la révolte – on plaque ses propres perceptions sécularisées sur les autres. C’est, comme me l’a un jour dit Iannis Roder, agrégé d’histoire, professeur dans le 93 et membre de la Fondation Jean Jaurès et du Conseil des sages de la laïcité, faire la démonstration de son incapacité à comprendre que la foi absolutiste puisse être un moteur pour toutes les actions et pensées du quotidien. Exactement de la même manière qu’aujourd’hui, dans la France du XXIe siècle, certains ont du mal à comprendre que des gens – y compris de grands intellectuels – aient pu consacrer leur vie à des idéologies totalitaires. Nous ne sommes pas plus intelligents qu’eux.
« Michel Foucault était en réalité bien plus lucide que ce que la doxa en a retenu »
Les islamistes ont une vision absolutiste de la religion. Non seulement il ne leur viendrait pas à l’idée de contester un dogme religieux (ils ont en horreur la nahda , mouvement musulman favorable à l’interprétation des textes), mais en plus ce dogme régit toutes les sphères de leur vie – c’est d’ailleurs en ce sens, politique et non polémique, qu’il est possible d’affirmer que l’islamisme est un nouveau totalitarisme. La pensée d’un islamiste est manichéenne, elle suppose un Bien et un Mal, un halal et un haram, un licite à propager et un illicite à éradiquer.
On a longtemps raillé la prétendue complaisance de Michel Foucault à propos de la révolution iranienne de 1979. Le philosophe français était en réalité bien plus lucide que ce que la doxa en a retenu, lui qui écrivait à l’époque, comme l’a rapporté Birnbaum Jean dans Un silence religieux, la gauche face au jihadisme (Points, 2017) : « Quel sens, pour les hommes qui l’habitent, à rechercher au prix même de leur vie cette chose dont nous avons, nous autres, oublié la possibilité depuis la Renaissance et les grandes crises du christianisme : une spiritualité politique. J’entends déjà des Français qui rient, mais je sais qu’ils ont tort. » A rire de la croyance, à ne pas la prendre au sérieux, nous en avons pleuré nos morts.
PSYCHIATRISER L’ISLAMISME, C’EST ÉVACUER SA PUISSANCE DE MOBILISATION
Pour schématiser à gros traits, l’histoire de l’islam est une lutte perpétuelle entre un courant littéraliste et un courant interprétatif. Dès après la mise en forme du Coran préparée par le calife Othman, ces deux écoles se sont affrontées. Or pour l’historien Mohammed Arkoun, « la confiscation de l’interprétation dominante est faite par les islamistes […] depuis les années 50-60 » (Humanisme et Islam. Combats et propositions , Vrin, 2006). Les doctrines qui en ressortent – Tabligh, wahhabisme et autre Frères musulmans – offrent l’embarras du choix au jeune homme qui adhère à l’islamisme. Tous les penseurs de ces mouvements ne sont pas d’obscurs charlatans ou des demi-habiles, ce sont de véritables intellectuels qui ont fomenté des haines et formaté des esprits. La prestigieuse université Al-Azhar, fondée en 988 au Caire, considérée comme la plus haute autorité de l’islam sunnite, n’a-t-elle pas elle-même tardé avant de condamner formellement les atrocités de l’Etat islamique ? C’est par exemple de cette université qu’est diplômé Yusuf Al-Quaradawi, prédicateur frériste le plus célèbre et le plus célébré de l’islamisme sunnite. Les doctrines absolutistes nécessitent des alliages théologiques de haut rang, des arguties intellectuelles qu’on aurait tort de négliger. Il faut accorder de l’importance à leur doctrine si l’on veut prendre au sérieux les islamistes.
« Une utilisation parfaitement raisonnée d’une doctrine affutée. »
Certaines affirmations scientifiques prônées par des prédicateurs sont objectivement fausses – par exemple, la création de la Terre en six jours. En revanche, la croyance dans une vie après la mort ou dans l’existence d’un Dieu, malgré les pénibles tentatives de preuve de son existence ou de son inexistence qui ponctuent l’histoire humaine, relève strictement de la foi. Il n’est pas forcément plus rationnel d’y croire que de s’y refuser. Si un islamiste croit dur comme fer à des dogmes radicalement contraires aux principes démocratiques, il n’abdique pas sa raison : elle fonctionne parfaitement. Si vous êtes absolument certain que Dieu existe, absolument certain que le blasphème est un acte qui mérite une terrible sentence, et a fortiori absolument certain que ce Dieu vous récompensera dans l’au-delà, si le doute n’est même pas permis, alors l’attentat perpétré contre Salmon Rushdie n’apparaît pas comme une folie. Les terroristes islamistes ne font qu’appliquer à la lettre ce en quoi ils croient.
Certes, pas de doute cartésien, pas d’esprit critique ou d’Ijtihâd (effort d’interprétation du Coran pour adopter ses préceptes à une époque donnée), mais une utilisation parfaitement raisonnée d’une doctrine affutée. Aux dires des psychiatres qui l’ont examiné, Salah Abdeslam ne souffre d’aucune pathologie, il a simplement fait sienne une idéologie sanguinaire. Persister à voir dans l’islamiste un fou d’Allah, continuer à exclure l’islamisme du domaine de l’entendement, c’est se priver d’outils de compréhension essentiels. Gardons en tête le mot de Péguy : « Il faut toujours dire ce que l’on voit : surtout il faut toujours, ce qui est plus difficile, voir ce que l’on voit. »