Avec Voyage au centre de la Terre (1864), Vingt Mille Lieues sous les Mers (1870), et Le Tour du Monde en 80 jours (1872), il fait foisonner l’imaginaire populaire et inspire les créateurs de toutes les générations.
Retour sur le parcours de cet explorateur de talent, à la croisée du rêve et de la science, qui continue de fasciner petits et grands.
Charlotte Chaulin
Un début, deux rencontres
Jules Verne naît à Nantes le 8 février 1828 dans une famille cultivée où chacun pratique à sa guise musique, littérature ou poésie.
Il s’engage dans des études de droit à Paris dès 1848. Mais il est vite rattrapé par sa passion première, la littérature. En parallèle de ses études, il tente de publier des nouvelles.
Sa ville natale lui offre des perspectives au-delà de l’horizon. L’activité portuaire et maritime de Nantes stimule sa créativité. Enfant, il rêve en observant les allers et venues des voiliers et s’imagine capitaine de navire. « À voir passer tant de navires, le besoin de naviguer me dévorait. » racontera-t-il plus tard (Jules Verne, Souvenirs d’enfance et de jeunesse).
Lecteur insatiable, il dévore Robinson Crusoé (Daniel Defoe, 1719), Les Voyages de Gulliver (Jonathan Swift, 1726) ou encore le Dernier des Mohicans (James Fenimore Cooper, 1826). Il baigne dans les récits d’aventure, ce qui lui donne l’envie d’en écrire à son tour.
Deux rencontres vont lui mettre le pied à l’étrier. Tout d’abord, sa rencontre avec Alexandre Dumas lui ouvre les portes du théâtre. Jules Verne joue sa première pièce en juin 1850, Les Pailles rompues puis exerce ensuite la fonction de secrétaire du Théâtre lyrique.
En janvier 1863, il fait la connaissance de l’éditeur Pierre-Jules Hetzel qui nourrit le projet d’éditer des publications associant la littérature et les connaissances et se passionne pour Cinq semaines en ballon, qui raconte le survol de l’Afrique en montgolfière par un explorateur nommé Samuel Fergusson au moment même où des explorateurs continuent de découvrir le continent africain, encore incomplètement connu des Européens.
Hetzel publie ainsi le premier ouvrage de Jules Verne qui devient aussi le premier « roman scientifique » comme le qualifie le critique Marius Topin en 1876. Un genre romanesque nouveau est né.
Jules Verne devient vite le principal auteur de la revue Magasin d’éducation et de récréation lancée par Hetzel en 1864. Ses romans s’inscrivent dans la collection « Voyages extraordinaires ».
Conjuguer merveilleux et scientifique
Pour mêler création romanesque et visée pédagogique, Jules Verne s’inspire de la tradition du voyage imaginaire perpétré notamment par Cyrano de Bergerac dans Voyages dans les empires de la Lune et du Soleil (1655) tout en y apportant de la modernité. Il fait évoluer le genre en troquant régulièrement le merveilleux pour des connaissances scientifiques contemporaines.
Par exemple, dans Vingt Mille Lieues sous les mers (1869-1870), la narrateur Aronnax cite « le savant Maury, l’auteur de la Géographie physique du globe » ou « la théorie de M. Darwin sur la formation des atolls. ». Dans Voyage au centre de la Terre (1864) le savant Lidenbrock se réfère au baron Cuvier et au préhistorien Jacques Boucher de Perthes.
Mais Jules Verne n’a aucune formation scientifique. C’est donc en autodidacte qu’il se familiarise avec la discipline, se plongeant dans des articles et des romans de vulgarisation (Joseph Bertrand, Les Fondateurs de l’astronomie moderne (1865) ou encore Arthur Mangin, Les Mystères de l’océan (1865)).
Il utilise également des récits de voyage et ses propres voyages comme source de documentation. Il visite l’Angleterre et l’Ecosse en 1859, la Norvège en 1861, effectue une croisière sur la Méditerranée en 1878, arpente l’Irlande en 1880 et la mer du Nord, de Rotterdam à Copenhague en 1881. Il est fasciné par le monde qui l’entoure et cherche à le découvrir.
Plus que les mers et les continents, il creuse dans son imagination pour atteindre les tréfonds des océans (Vingt Milles Lieues sous la Mer, 1870), le centre de la Terre (Voyage au centre de la Terre, 1864), les airs et les continents méconnus (Cinq semaines en ballon, 1863) ou encore l’espace et les planètes (De la Terre à la Lune, 1865). Sa créativité est sans limite.
La science lui fournit de nombreux épisodes romanesques, à commencer par des moyens de transport extraordinaires. Le Nautilus, célèbre sous-marin du capitaine Nemo dans Vingt Mille Lieues sous la Mer (1870) s’inspire du Nautilus ébauché par l’Américain Robert Fulton en 1802 ainsi que d’autres tentatives de sous-marin comme un bateau-cigare expérimenté en Grande-Bretagne en 1864. Jules Verne réinvente.
Décrire son temps
Sa démarche est la suivante : Verne s’inspire du réel, et notamment des acquis scientifiques, pour apporter modernité et merveilleux dans le but de susciter l’intérêt des lecteurs. Le Nautilus est ainsi doté d’une coque ultra-résistante, d’une puissance énorme et d’une capacité à naviguer dans des abysses improbables.
Mais il ne fait pas que superposer le merveilleux à la science. Son talent réside dans sa manière de conjuguer parfaitement les deux éléments. Par exemple, le Nautilus est pris pour un monstre inconnu avant qu’on réalise qu’il s’agit en réalité d’un sous-marin.
Dans Une ville flottante (1871), un orage éclate alors que deux personnages se battent en duel. L’épée étant conducteur, l’un des ennemis frappe l’autre (qui est le traître) et c’est alors comme si la foudre divine s’abattait sur lui.
Derrière son écriture se cache l’ambition d’amener le lecteur à prendre conscience des problèmes de son temps. Chroniqueur de son époque, il critique par exemple la société américaine dominée par l’argent dans Sans dessus dessous (1889). Il y raconte l’aventure incongrue d’hommes d’affaire américains qui décident d’utiliser un immense canon pour modifier l’inclinaison de l’axe terrestre et ainsi exploiter les mines de charbon du pôle Nord. Tanpis s’il y a des victimes, seul compte le gain !
À travers ses nombreux ouvrages, il peint l’avancement du progrès, ne négligeant pas ses aspects positifs comme négatifs. La science est son domaine de prédilection mais le romancier n’hésite pas à donner son avis sur d’autres sujets comme, par exemple, la politique que mène son pays. Dans L’Invasion de la mer (1905), il critique la colonisation de l’Algérie par la France.
Anti-colonialiste, il partage néanmoins les stéréotypes racistes et antisémites de la fin du XIXème siècle. Dès le début de l’affaire Dreyfus, il se positionne du côté des anti-dreyfusards. Et il reprend la caricature de la figure du juif dans plusieurs de ses récits.
Le juif stéréotypé par Jules Verne
« Petit, malingre, les yeux vifs mais faux, le nez busqué, la barbiche jaunâtre, la chevelure inculte, les pieds grands, les mains longues et crochues, il offrait ce type si connu du juif allemand, reconnaissable entre tous. C’était l’usurier souple d’échine, plat de cœur, rogneur d’écus et tondeur d’œuf. L’argent devait attirer un pareil être comme l’aimant attire le fer, et, si ce Shylock fût parvenu à se faire payer de son débiteur, il en eût certainement revendu la chair au détail. D’ailleurs, quoiqu’il fût juif d’origine, il se faisait mahométan dans les provinces mahométanes, lorsque son profit l’exigeait, chrétien au besoin en face d’un catholique, et il se fût fait païen pour gagner davantage. Ce juif se nommait Isac Hakhabut. »
— Hector Servadac, Chapitre XVIII
Homme de son temps, il s’ancre dans la pensée machiste de la société du XIXème siècle. N’a-t-il pas expliqué un jour l’absence des femmes dans ses romans de la manière suivante : « Les femmes n’interviennent jamais dans mes romans tout simplement parce qu’elles parleraient tout le temps et que les autres n’auraient plus rien à dire. » ?
Jules Verne fait le Tour du monde
L’enfant Jules Verne rêvait de devenir navigateur en voyant passer les bateaux dans le port de Nantes, l’adulte exauce son vœu. Propriétaire de trois navires, Jules Verne participe à la conception des deux premiers et effectue de nombreuses croisières à bord du troisième : un splendide et rapide steamer de 30 mètres, le Saint-Michel III.
Tout au long de sa vie, il ne cesse de rêver au lointain. Le contexte de son époque y est favorable car ouvre de nouvelles perspectives. La révolution industrielle, la révolution des transports et l’apparition du chemin de fer ou du bateau à vapeur comme l’ouverture du canal de Suez en 1869 : toutes ces innovations s’accordent pour raccourcir les distances. Le monde semble à portée de mains.
Parmi ses nombreux romans merveilleux où règnent la modernité et la technologie de son temps, un sort du lot, de par son incroyable succès.
Publié en feuilletons en 1872, dans le journal Le Temps, le roman Le Tour du monde en 80 jours est son best-seller, avec 110 000 exemplaires vendus à la première édition. Outre les multiples traductions (plus de 80 !), il est décliné en divers produits dérivés : jeux, pièces de théâtre, aches publicitaires, vaisselle, films…
Il raconte l’histoire de Phileas Fogg, un gentleman anglais qui, accompagné de son fidèle serviteur français Jean Passepartout, s’est fixé pour objectif (et a parié la moitié de son argent dessus) de réaliser un tour du monde en 80 jours. Cette idée est venue au protagoniste à la suite de la lecture d’un article dans le journal qui informe d’une nouvelle section de chemin de fer en Inde.
Il serait en effet possible de réaliser un tour du monde selon le parcours suivant : Londres-Suez (7 jours) ; Suez-Bombay (13 jours) ; Bombay-Calcutta (3 jours) ; Calcutta-Hong Kong (13 jours) ; Hong Kong-Yokohama (6 jours) ; Yokohama-San Fransisco (22 jours) ; San-Fransisco-New-York (7 jours) ; New-York-Londres (9 jours). Les deux compères vont enchaîner les péripéties rocambolesques pour tenter de réussir leur exploit et de ne pas dépasser le délai fixé.
Phileas Fogg existe !
Jules Verne, un rêveur ? Oui mais pas que ! Le romancier s’inspire de la réalité pour écrire ses récits. Et son Phileas Fogg nous fait penser à un certain George Francis Train (1829-1904).
Cet homme d’affaires américain, auteur de récits de voyages, est surnommé « Train express » par les journaux de son époque car il enchaîne les pays et les activités. Entre autres, il finance une voie ferrée pour désenclaver le Midwest et devient le pionnier du tramway en Grande-Bretagne. Réduire les distances et augmenter les vitesses, c’est son dada. Aussi est-il cohérent qu’un homme de sa trempe réalise un tour du monde en 80 jours en 1870. Deux ans plus tard, Jules Verne publie les aventures de Phileas Fogg qui effectue ce même exploit. Bon entre temps, le protagoniste est devenu britannique. Jules Verne (qui critiquera la société américaine dans Sans dessous dessous (1889)) devait préférer faire de son héros un vrai gentleman.
En 1890, Train bat tous les records (notamment celui établi par Nelly Bly l’année précédente : 72 jours) en effectuant un tour du monde en 67 jours. À quelques années près, le best-seller de Jules Verne se serait sûrement appelé Le Tour du monde en 67 jours.
L’aventure politique et la disparition
En 1888, à la surprise générale, le nom de Jules Verne est inscrit sur la liste républicaine des candidats aux élections municipales d’Amiens, ville dans laquelle il s’est installé au lendemain de la guerre de 1870.
À sa carrière littéraire s’ajoute un passage en politique. Conseiller municipal, la population le découvre soucieux de l’urbanisme et de la vie culturelle amiénoise. Il s’occupe particulièrement de la gestion du théâtre de la ville, peut-être que cet investissement tient du fait qu’il ait lui-même débuté dans ce domaine.
Il se bat pendant de longs mois pour que le projet de cirque municipal voit le jour et, lorsque le monument est finalisé, c’est donc lui qui prononce le discours d’inauguration le 23 juin 1889.
Et lorsqu’il est promu au grade d’officier en juillet 1892, ce n’est pas pour ses qualités d’écrivain mais bien pour son dévouement de conseiller municipal.
En 1894, Jules Verne déclare à une journaliste anglaise : « J’estime que j’ai de la chance d’être né dans une période de découvertes remarquables, et peut-être plus encore d’inventions merveilleuses. »
Mais, ironie du sort, ce fervent observateur de son temps perd petit à petit la vue à cause du diabète dont il est atteint. Une crise le terrasse à l’âge de 77 ans et il meurt le 24 mars 1905, à Amiens.
Les récits de Jules Verne, une source d’inspiration indémodable
Les romans de Jules Verne sont fréquemment adaptés au cinéma et à la télévision. Son imagination débordante inspire les réalisateurs, qui font de ses personnages des icônes de l’imaginaire populaire (comme le capitaine Nemo ou Phileas Fogg).
Avec environ trois cents adaptations au cinéma et à la télévision, il est le quatrième auteur le plus porté à l’écran, après Shakespeare, Dickens et Conan Doyle.
Et, surtout, il fut l’un des premiers. En effet, l’un des tout premier film de l’histoire du cinéma, le Voyage sur la Lune de George Méliès, est adapté d’un roman de Jules Verne, De la Terre à la Lune, trajet direct en 97 heures 20 minutes (1865).
Méliès ne s’arrête pas là, il adapte Vingt mille lieues sous les mers en 1907. Suivant fidèlement ses traces, ses successeurs ne vont cesser d’adapter l’univers de Jules Verne à l’écran au XXème siècle. Outre-Atlantique, les Américains sont sûrement les plus nombreux. Dès 1916, le réalisateur Stuart Paton adapte Vingt mille lieues sous les mers (intégrant au passage quelques références à l’Ile mystérieuse) avec Wallace Clarke et Loïs Alexander. En 1954, Richard Fleischer s’empare lui aussi de ce monstre de la littérature française et porte à l’écran, sous le patronage des studios Disney, le chouchou du public, Kirk Douglas.
Dans cette même démarche de recherche du succès commercial, Rod Hardy adapte ce même ouvrage en 1997 choisissant de mettre en scène les acteurs Michael Caine et Patrick Dempsey.
Les Français s’en inspirent également, prenant parfois des libertés tel Philippe de Broca qui réalise Les Tribulations d’un Chinois en Chine, adaptation du roman éponyme de Jules Verne paru en 1879, en 1965 avec le duo Jean-Paul Belmondo et Jean Rochefort. Une des principales différences réside dans le choix de la nationalité des personnages. Chez Jules Verne, ils sont presque tous Chinois tandis que Broca a choisi d’en faire des Européens.
Le XXIème siècle n’est pas en reste. En 2004, un gros navet avec Jackie Chan et Cécile de France se réapproprie l’histoire du Tour du monde en 80 jours. Jules Verne et blockbuster ne font pas forcément bon ménage.
En 2015, l’universitaire américain Brian Taves spécialiste du romancier français affirme même que Jules Verne a inspiré des grosses productions américaines comme les films des studios Marvel, Avengers.
Aujourd’hui encore, Jules Verne intrigue, fascine et inspire. Et alors qu’on s’interroge de plus en plus sur notre planète et ce qui l’entoure, que l’homme a marché sur la Lune, que les navigateurs ont réussi à faire le tour du monde en 40 jours ou que l’inventeur marseillais Franky Zapata a rejoint l’Angleterre sur une planche volante, le célèbre romancier nous apparaît plus moderne que jamais.