Priorité au «progrès de l’esprit humain»
La catastrophe écologique, en cours désormais, nous oblige à rompre avec les illusions d’hier. Comment imaginer possible une réduction urgente et drastique de la consommation d’énergie sans l’assentiment, puis la collaboration étroite de tous et de chacune ? Comment imaginer réalisable la réorientation de l’économie vers une production, non pas guidée par la technique ou la technologie, mais vers un mieux-être de l’ensemble de l’humanité si la prise en charge directe des individus n’est pas engagée ? Comment mettre un terme aux discriminations, sans l’horizon d’une justice sociale partagée, et mise en œuvre par tous, comme nos prédécesseurs n’ont cessé d’en réclamer la réalisation ?
Il ne s’agit plus de surseoir aux tâches incontournables en brandissant un illusoire programme de transition, il s’agit tout simplement de renouveler un processus maintes fois entravé en donnant la priorité au «progrès de l’esprit humain»(Condorcet), au service du vivant comme des plus fragiles et de renoncer à la force des choses dont le primat nous a conduits à la catastrophe présente. Le fétichisme de la marchandise au profit d’une minorité de privilégiés est à l’origine, nous le savons, de l’exploitation de la nature, comme de l’exploitation de l’homme par l’homme, et donc responsable des inégalités sociales comme de la disparition de certaines espèces.
Tout est à repenser, de la réparation de la planète à l’élimination des différentes formes de domination. La tâche est immense et ne s’accomplira pas à coups de manœuvres parlementaires et de manifestations de rues.
Rien désormais, on le sait, ne pourra se faire sans l’engagement de tous dans le respect de l’autre. Cette actualité est incontournable et la difficulté ne se résout pas en occupant les places d’un pouvoir au service du libéralisme depuis le XIXe siècle, quelle que soit la couleur politique des dirigeants des différents pays.
En France, une forme d’union de la gauche a été réalisée dans le cadre électoral, en extériorité de l’immense mobilisation de citoyens qui depuis plusieurs années non seulement réclamaient cette unité mais œuvraient pour associer le plus grand nombre d’habitants de ce pays. Il n’en a rien été, La France insoumise (LFI) a imposé son rythme en suivant les directives de son leader. Aujourd’hui, rien n’est prévu pour commencer collectivement cette lourde tâche que nous imposent les méfaits des dirigeants du monde entier. Après la Syrie, l’Ukraine, la domination des puissants par la guerre destructrice se poursuit, tandis que la famine menace ici et là, et que la question sociale se pose dans tous les pays. L’engagement pour une nouvelle Constituante ne suffit pas, l’expérience du Chili nous le montre.
Gérer ensemble la chose publique
Il est encore temps de réagir en cherchant à organiser des débats, dans les quartiers, au plus près du quotidien de chacun, afin de commencer à apprendre à gérer ensemble la chose publique (res publica), laquelle nous concerne tous. Nous pourrions multiplier les universités populaires afin d’égaliser les connaissances en s’autoformant tout en réapprenant à débattre, collectivement, à condition de croire à la responsabilité collective. En optant, dès décembre 2018, pour l’apprentissage de la démocratie réelle, des collectifs de gilets jaunes nous ont montré le chemin. Or, il ne suffit pas de s’approprier leur chanson fétiche pour laisser croire que nous sommes de leur côté, encore faut-il, comme ils l’ont fait mettre en œuvre la démocratie dans tous les lieux communs, en commençant par les mouvements, partis et syndicats, etc.
Le mode de gouvernement démocratique, en effet, ne se définit pas par la force «de convaincre», comme nous l’avons entendu au soir du premier tour, mais par l’écoute et le débat en cherchant à faire revivre la tradition de la gestion collective. Nous héritons de deux siècles de délégation de pouvoir, c’est pourquoi la tâche est ardue, et sera longue, mais la conjoncture nous commande d’ouvrir les yeux sur la réalité écologique et sociale dont la dégradation est irréversible si chacun d’entre nous ne prend pas sa part de responsabilité. Rien de «révolutionnaire» ne peut se faire concrètement par de simples décisions gouvernementales, excepté sous les régimes autoritaires dont nous ne sommes pas à l’abri, loin s’en faut. Il est temps que les différents «représentants», se réclamant de la tradition populaire, cessent de faire croire que l’occupation des postes du pouvoir d’Etat détiendrait les clés de l’avenir. L’histoire a été suffisamment éloquente à ce sujet. De l’Urss à la Chine en passant par le Venezuela jusqu’aux mesures d’après-guerre en Europe, les nationalisations ne sont en rien la garantie d’une gestion démocratique.
Au XIXe siècle, les ouvriers définissaient la liberté en ces termes : «Le pouvoir d’agir dans tous les domaines.» Reprendre à notre compte cette tradition est la nécessité du moment en ouvrant dès maintenant la voie de la vraie démocratie, laquelle, n’en doutons pas, n’advient pas de haut en bas, mais s’organise de bas en haut.