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Politique
d’expulsion européenne : Casser la spirale consistant à expulser, enfermer, punir et criminaliser pour aller vers une approche tournée vers l’égalité et la liberté
Présidence française de l’Union européenne : la politique d’expulsion européenne on Vimeo
Chaque année depuis 2008, 500 000 personnes reçoivent l’ordre de quitter le territoire européen. Sur ce demi-million de personnes, moins d’un tiers elles sont effectivement expulsées. La France – au 1er rang des Etats membres de l’UE – prononce entre 80 000 et 120 000 mesures d’expulsion du territoire chaque année, mais « seules » 10 000 à 16 000 d’entre elles sont effectivement mises en œuvre[1]. Les personnes qui restent se retrouvent dans une « zone grise », ni ici, ni là-bas, et sont privées de leurs droits fondamentaux.
Les politiques d’endiguement, d’enfermement et d’expulsion se développent en France, en Europe et au-delà : « Retours », « expulsions », « réintégration », « réadmission », « transferts », « retours volontaires », la nomenclature des euphémismes des expulsions du territoire européen s’est étoffée mais aboutit au même résultat.
En amont des frontières européennes, la politique des visas permet aux Etats européens de sélectionner les personnes qu’ils souhaitent attirer et d’écarter celles qu’ils désignent comme une « menace migratoire ». Les visas sont également utilisés comme « levier » pour pousser les pays non européens à coopérer en matière de retour. Cette pratique de « marchandage » est désormais codifiée depuis 2020 dans le code visa Schengen qui prévoit que les Etats européens puissent se servir des visas « comme levier » de coopération (voir notre actualité du 2 février 2020, Expulsions contre visas : le droit à la mobilité marchandé). La France a ainsi dernièrement réduit de 33 à 50% l’accès aux visas de trois pays qu’elle considère comme défaillant en termes d’expulsion de leurs ressortissant.es: La Tunisie, l’Algérie et le Maroc (voir notre communiqué du 29 septembre 2021, Les personnes migrantes ne peuvent servir de monnaie d’échange aux pressions diplomatiques).
Encadrées par le droit, les expulsions forcées peuvent être mises en œuvre par la délivrance d’un laissez-passer consulaire par les autorités du pays d’origine de la personne à expulser. Ce laissez-passer faisant souvent défaut, les États européens ont commencé à signer des accords bilatéraux de réadmission dès 1960. Ces derniers permettent notamment de faciliter les renvois lorsque l’État de destination ne délivre pas de laissez- passer dans les temps impartis. En parallèle, l’UE a développé des accords communautaires de réadmissions avec 18 États non européens[2], et des négociations sont ouvertes avec 6 autres pays[3].
Avec le nouveau Pacte européen sur la migration et l’asile (voir notre actualité du 25 septembre 2020, Pacte européen sur les migrations et l’asile : le rendez-vous manqué de l’UE), la Commission européenne confirme également le rôle de premier plan donnée l’agence européenne de garde-côtes et de garde-frontières (Frontex) dans la mise en œuvre de la politique d’expulsion européenne. Frontex coordonne et organise déjà des vols charterspour venir en soutien des expulsions organisées par les États membres, son rôle sera renforcé. Elle facilite également les liens avec les États d’origine. Si l’agence a aidé les États européens à expulser près de 50 000 personnes entre 2007 et 2019, il est prévu qu’elle facilite l’expulsion de 50 000 personnes par an depuis le territoire européen dans le cadre de son nouveau mandat[4]. Et cela, alors même que les activités de l’agence sur le terrain demeurent opaques et difficiles à poursuivre juridiquement.
En parallèle, l’UE et ses États ont développé les programmes de retour dit « volontaire » considérés par l’UE comme moins coûteux[5]. Dans ce cadre, l’UE s’est également dotée en 2021 d’une nouvelle stratégie en matière de retour volontaire et de réintégration. La mise en œuvre de tels programmes n’a fait que s’accroître dans l’UE mais également au-delà dans les pays dits « de transit » grâce au financement européens (Maroc, Sénégal, Niger, Libye). Cette nouvelle forme de retour à l’avantage, du point de vue des autorités, d’être un dispositif qui, dans une large mesure, ne fait l’objet d’aucun encadrement juridique. Ce retour est souvent perçu par les personnes qui le demandent comme un moindre mal face à une expulsion inévitable, à la précarité de leur situation et encore à l’absence de perspectives notamment de régularisation administrative.
Dernière innovation proposée dans le nouveau pacte sur les migrations et l’asile : le « parrainage des expulsions » qui permettrait aux États qui ne souhaitent pas accueillir de personnes migrantes d’être « solidaires autrement », en s’engageant activement dans la mise en œuvre des expulsions de celles et ceux que l’UE et ses Etats membres souhaitent éloigner.
Avec le concours de l’agence Frontex, des accords de réadmissions, de la politique des visas comme levier diplomatique et d’une nouvelle stratégie retour, les États membres et l’UE mettent en place une véritable « machine à expulser ».
La situation actuelle démontre pourtant que ces politiques sont absurdes en plus d’être inefficaces.
Les conséquences néfastes sur la dignité humaine et les droits fondamentaux sont, elles, flagrantes et représente un coût énorme pour en termes de droits, de dignité ou d’intégrité physique et mentale.
Il est temps de mettre fin à ces politiques d’expulsion et de bannissement !
La Cimade appelle l’UE et ses Etats membres à casser la spirale consistant à expulser, enfermer, punir et criminaliser pour aller vers une approche tournée vers la justice sociale, et l’égalité des droits.
[1] Reconduites hors de l’espace Schengen
[2] Hong-Kong, Macao, Sri Lanka, Albanie, Russie, Bosnie Herzégovine, Moldavie, Monténégro, Macédoine du Nord, Serbie, Ukraine, Pakistan, Géorgie, Arménie, Azerbaïdjan, Cap Vert, Turquie et Biélorussie.
[3] Maroc, Algérie, Tunisie, Jordanie, Nigéria et Chine
[4] Statewatch, Deportation union : Rights, accountability and the EU’s push to increase forced removal, 2020
[5] D’après une étude du Parlement européen, un retour forcé depuis l’Europe coûterait 3414 euros contre 560 euros pour un retour dit « volontaire ». Depuis les pays de transit, les retours « volontaires » auraient un coût moyen de 2500 euros. Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil, La Stratégie de l’UE en matière de retour volontaire et de réintégration, SWD (2021) 121 final, avril 2021.
Auteur: Service communication