Vues:
851
Les tentatives pour expliquer les raisons d’un échec ancré dans l’histoire sont nombreuses.
Le monde musulman a raté son rendez-vous avec l’histoire, car il s’est montré incapable d’intégrer la liberté, le savoir et l’innovation dans son système de valeurs et d’élever les trois principes, pourtant présents dans son héritage religieux. Embourbé depuis des siècles déjà dans une situation calamiteuse, le monde musulman peine toujours à se frayer un chemin vers le progrès et la modernité. Par Mohamed El Khamlichi.
Adeptes des derniers rangs des classements internationaux qui comparent les niveaux de développement, les pays musulmans sont le plus souvent le théâtre, à des degrés divers, des maux classiques du sous-développement : conflits armés, instabilité, violences, injustices, absence de démocratie et de l’État de droit, situation économique et sociale difficile…
Les tentatives pour expliquer les raisons d’un échec ancré dans l’histoire sont nombreuses. Les approches varient au gré des époques, des idéologies, des attitudes intellectuelles et des outils d’analyse. Il est pourtant possible d’appréhender cette situation complexe à l’aide d’un raisonnement simple.
En effet, l’échec du monde musulman trouve ses origines dans l’animosité historique développée par les musulmans à l’égard de trois valeurs humaines fondamentales que sont la liberté, le savoir et l’innovation.
LIBERTÉ
La culture des musulmans porte un regard suspicieux – quand il n’est pas hostile – sur la liberté. Souvent, la liberté est considérée comme un élément étranger à la société musulmane imposé par l’Occident. Souvent, la liberté est assimilée à la dépravation des mœurs. Au mieux, la liberté est désignée comme l’antonyme de l’esclavage ou de la prison.
Dans ce contexte, la liberté de pensée, la liberté d’expression, la liberté de croyance, les choix personnels dans la vie… sont perçus comme des libertés saugrenues et subversives par une majorité de musulmans. Ce résultat est d’autant plus surprenant qu’il va à l’encontre des fondements même de la religion.
La foi musulmane proclame que Dieu est le Créateur de l’univers et qu’il a confié à l’Homme une mission sur terre. Dieu a accordé la liberté exclusivement à l’Homme, lequel est responsable de ses actes devant son Créateur le Jour du Jugement dernier.
La culture des musulmans se permet d’ôter à l’être humain ce que Dieu lui a donné : la liberté, et de juger les gens dans ce monde à la place de Dieu le Jour du Jugement dernier !
Tout aussi grave, l’ignorance et la confusion ont fait que le musulman est devenu une créature inconsciente de ce don précieux qu’est la liberté, au point de renoncer à ce droit fondamental synonyme de dignité humaine.
Si l’on se réfère au texte coranique, un verset célèbre tranche définitivement la question de la liberté. Le verset 256 du chapitre 2 annonce « Nulle contrainte en religion ». Deux interprétations sont possibles. La première est qu’on ne peut contraindre une personne à se convertir à une religion ; c’est ce qu’on appelle de nos jours la liberté de croyance.
Hors si le champ intime des convictions et des croyances relève exclusivement du libre-arbitre de l’individu, ses autres choix dans la vie doivent à fortiori exprimer autant sa liberté.
La seconde interprétation du verset, qui rejoint en fait la première, retient que la religion – dans le cas présent l’Islam – n’admet pas par principe et de manière générale de forcer l’homme à suivre un chemin dans la vie contre sa volonté.
Finalement, le principe de liberté qui offre des perspectives énormes d’épanouissement et de progrès est bien présent dans les textes sacrés. Enfin, pour ceux qui aspirent à vivre librement et dignement.
SAVOIR
Contrairement au concept de liberté qui suscite méfiance et hostilité chez les musulmans, le savoir est une cause qui fait l’unanimité. Maintes fois cités en des termes élogieux dans le Coran et la tradition du prophète de l’Islam, le savoir et la science font l’objet d’une admiration sans limites dans l’esprit du musulman.
Les musulmans ne cessent de se vanter du fait que les premiers versets transmis par l’archange Gabriel au prophète sont une injonction d’apprendre : « Lis au nom de ton Seigneur qui a tout créé, qui a créé l’homme d’une adhérence ! Lis, car la bonté de ton Seigneur est infinie ! C’est Lui qui a fait de la plume un moyen du savoir et qui a enseigné à l’homme ce qu’il ignorait ». Ils ne cessent aussi de célébrer la parole du prophète « Apprendre la science est une obligation pour chaque musulman ». Néanmoins, au-delà du discours élogieux, les musulmans n’ont que rarement su réserver au savoir la place qu’il mérite.
De nos jours, le monde musulman bat les records des taux d’analphabétisme, des défaillances du système éducatif et de l’échec scientifique, avec tout ce que cela engendre en termes de développement ou de sous-développement.
Toute tentative de réforme dans le monde musulman passe inexorablement par la réhabilitation et la généralisation de l’école. Bâtir un système éducatif moderne, ouvert et égalitaire est une condition sine qua non pour amorcer une nouvelle renaissance du monde musulman.
Hélas l’état d’esprit qui prévaut parmi les musulmans se trouve à des années-lumière de cette vision, au mépris même des enseignements de la religion que le musulman prétend incarner.
INNOVATION
L’histoire du monde musulman avec l’innovation est des plus étonnantes. Le concept même de l’innovation est un concept très moderne qui n’a cessé d’évoluer depuis des décennies.
Dans son acceptation la plus récente et la plus répandue, le terme « innovation » désigne toutes les idées et les actions qui contribuent au renouveau et au progrès de la société humaine.
En observant l’état du monde musulman, on se rend compte très vite de son aversion immense à l’égard de l’innovation. D’ailleurs une question qui semble évidente vient à l’esprit : Qu’est-ce qui peut bien rapprocher un produit d’une histoire ancienne (le monde musulman) et un concept très moderne (l’innovation) ?
La réponse, qui semble tout aussi évidente, est qu’a priori rien, absolument rien, ne laisse penser à un lien quelconque.
L’histoire atteste, autant que le présent, que le monde musulman est en général farouchement hostile au changement ; le changement ayant le plus souvent été assimilé à l’hérésie. La résistance au changement et le rejet de l’innovation semblent ainsi émaner de facto des préceptes religieux.
La surprise est pourtant grande d’apprendre que l’innovation est un concept qui existe dans l’héritage arabo-islamique et qu’il remonte aux origines même de l’Islam. Sauf que ce concept fut dévoyé, comme ce fut le cas d’autres principes, notamment la liberté, le savoir et… le Jihad.
En arabe, le mot Ijtihâd a exactement le même sens que le terme « innovation » dans sa définition la plus récente. Et Al Moujtahid signifie en arabe « L’innovateur ». En fait Ijtihâd et « innovation » sont identiques à un détail près. Le terme moderne « innovation » est un terme neutre ou laïque, tandis que l’Ijtihâd traduit un acte de foi en Islam. Donc à part ce décalage de nature culturelle, les deux termes se confondent.
Le mot Ijtihâd n’apparaît pas explicitement dans le Coran. Par contre, il est évoqué dans la tradition du prophète de l’Islam. Une analyse minutieuse et objective établit, d’un point de vue religieux, deux règles fondamentales.
La première est que L’Ijtihâd est une obligation de tout musulman, c’est-à-dire chaque croyant doit assumer son rôle de Moujtahid ou innovateur ; la deuxième règle est que l’effort d’Ijtihâddoit viser tous les domaines et porter sur tous les aspects de la vie humaine.
Hélas, la conception de l’Ijtihâd qui s’est confortablement et durablement installée aux fins fonds de la culture des musulmans est tout autre chose. La vision conservatrice de la religion définit le terme Ijtihâd comme étant (source Wikipédia) « l’effort de réflexion que les oulémas ou muftis (savants de l’Islam) et les juristes musulmans entreprennent pour interpréter les textes fondateurs de l’islam et en déduire le droit musulman ou pour informer le musulman de la nature d’une action (licite, illicite, réprouvée…)». Ainsi l’Ijtihâd est confiné au seul champ religieux au mépris des autres espaces de la vie humaine, et le titre de Moujtahiddevient le monopole d’une frange très réduite d’oulémas ou savants de l’Islam, excluant la grande majorité des croyants.
Cette obsession de tout réduire au facteur religieux rappelle un sort identique réservé à une autre valeur fondamentale : le savoir. La science et le savoir sont vénérés dans les textes religieux ; or, contrairement à toute logique, l’interprétation la plus répandue des textes réduit le concept du savoir aux connaissances qui gravitent autour de la religion.
Ainsi les oulémas traduisent souvent l’obligation d’apprendre comme une injonction de maîtriser le savoir, la pensée et la jurisprudence religieux, excluant de fait les autres formes du savoir.
CONCLUSION
En somme, la restriction de la liberté, la négligence du savoir et le dévoiement du concept de l’innovation en terre d’Islam ont produit, au fil de l’histoire, une entité atrophiée sur le plan de la civilisation : le monde musulman.
Une nuance de taille s’impose ! Le monde musulman a certes connu son heure de gloire lorsque la civilisation islamique était à son apogée entre les VIIIe et XIIIe siècles. A cette époque, les musulmans ont pu atteindre, grâce à un mélange subtil de liberté, de savoir et d’innovation, un niveau de progrès humain et civilisationnel des plus riches de l’histoire.
L’épopée n’a pas duré longtemps, car aussitôt suivie d’une période de repli et de décadence qui se prolonge jusqu’à notre époque. L’explication de ce parcours est que le monde musulman a su, à un moment de son histoire, associer de façon harmonieuse liberté, savoir et innovation, sauf que cette démarche est plus le fruit d’une action spontanée et inconsciente que le résultat d’une approche méthodique et d’une réflexion mûrie.
Le monde musulman a raté son rendez-vous avec l’histoire, car il s’est montré incapable d’intégrer la liberté, le savoir et l’innovation dans son système de valeurs et d’élever les trois principes, pourtant présents dans son héritage religieux, au rang de dogme culturel individuel et collectif.