Une nouvelle pierre sur le chemin de la «réconciliation ». Ou, à tout le moins, une énième tentative d’avancer en ce sens. Malgré une absence quasi-totale de résultat dans son entreprise de «réparer » les mémoires «fracturées » des deux rives de la Méditerranée, Emmanuel Macron ne désespère pas d’atteindre l’objectif ambitieux qu’il s’est fixé. Celui de mettre un terme à près de soixante ans de défiance mutuelle entre l’Algérie et la France. Une relation compliquée qui provoque des poussées de tension régulières sur la scène diplomatique – comme cela a encore été le cas début octobre, avec le rappel de l’ambassadeur algérien et l’interdiction de survol du territoire aux avions militaires ralliant le Sahel. Mais dont les répercussions se traduisent surtout sur le plan intérieur. D’une part parce que le refus du voisin maghrébin de jouer le jeu des obligations de quitter le territoire empêche les reconduites à la frontière, et aggrave ce faisant le défi migratoire de l’Hexagone – Paris a récemment réduit de moitié la délivrance de visas en guise de mesure de rétorsion. D’autre part parce qu’Alger entretient, selon les mots de l’historien Benjamin Stora repris par Emmanuel Macron, une «rente mémorielle » qui alimente les difficultés d’intégration des populations immigrées, et le refus de la troisième génération d’épouser certaines valeurs tricolores.
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Partant de ce constat, le président de la République a semblé opter, ces derniers mois, pour durcir le ton. Dénonçant hors micro une «histoire officielle » qui serait selon lui «totalement réécrite » par un «système politico-militaire », il a accusé en privé ses homologues de «ne pas s’appuyer sur des vérités » mais sur «un discours qui repose sur une haine de la France ». Le tout une semaine seulement après avoir publiquement demandé «pardon » aux harkis , et leur avoir promis un texte de loi pour «graver dans le marbre » la «singularité » et la «spécificité » de leur histoire.
Fidèle à son traditionnel «en même temps», le chef de l’État a toutefois décidé de ne pas en rester là. Comme pour rééquilibrer sa démarche, et ne pas se laisser enfermer dans une posture unique – quitte à complexifier encore davantage la perception de son rapport à cette question -, il a approuvé vendredi l’ouverture anticipée des «archives sur les enquêtes judiciaires de gendarmerie et de police qui ont rapport avec la guerre d’Algérie » (1954-1962). «Il faut avoir le courage de regarder la vérité historique en face », a ainsi martelé la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, sur RMC/BFMTV , se félicitant d’une décision prise «avec quinze ans d’avance ». «On ne construit pas un roman national sur le mensonge », a ajouté la transfuge de la droite, disant vouloir opposer la réalité des faits aux récits des «falsificateurs ». Au risque, selon elle, de lever le voile sur un passé peu glorieux pour la France, en révélant, preuves à l’appui, que l’armée aurait bel et bien eu recours à de la torture à l’époque. «C’est l’intérêt du pays que de le reconnaître », a-t-elle estimé, appelant toutefois à «contextualiser » des méthodes remontant à «un certain nombre d’années ». «C’est un travail de vérité indispensable, et je veux qu’il se fasse dans l’apaisement », a abondé Emmanuel Macron dans la foulée, en marge de sa conférence de presse conjointe avec le nouveau chancelier allemand, Olaf Scholz.
Le 60e anniversaire des accord d’Évian sera commémoré le 19 mars 2022
À l’Élysée, on ne nie d’ailleurs pas la dimension politique de ce choix. «Nous n’avons pas peur de la vérité, nous », lâche Bruno Roger-Petit au Figaro , dans une charge à peine voilée contre Éric Zemmour. Chargé des questions de mémoire auprès d’Emmanuel Macron, le conseiller du président fait allusion aux propos maintes fois répétés du candidat nationaliste, qui s’entête à affirmer que le maréchal Pétain aurait «sauvé des Juifs français » durant la Seconde Guerre mondiale. «Avec cette ouverture des archives – qui a été, comme tout le reste, initiée, décidée, organisée et suivie par le président -, on découvrira ou on redécouvrira aussi des comportements exemplaires… Comme ceux des officiers Jacques Chirac et Jean-Pierre Chevènement au moment du putsch des généraux, par exemple ! », ajoute Bruno Roger-Petit. «Malgré quelques erreurs et certaines contradictions, la France a toujours continué d’avancer sur la voie du progrès humain, et elle continuera de le faire », conclut-on de même source.
Cette initiative est a priori l’avant-dernière dans le programme de l’exécutif. La prochaine doit être la commémoration du soixantième anniversaire des accords d’Évian, le 19 mars 2022. La cérémonie, qui sera présidée par le chef de l’État, interviendra moins d’un mois avant le premier tour de l’élection présidentielle. Les mots d’Emmanuel Macron, qui a promis de ne plus céder ni à «l’excuse » ni à «la repentance » dans son approche de la guerre d’Algérie – après avoir qualifié la colonisation de «crime contre l’humanité » en 2017 -, y seront particulièrement scrutés. Par l’opposition, notamment de droite. Mais aussi par une partie des électeurs.
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