L’ annonce, qui « survient un mois après le début de la dégradation de la situation au Sahara occidental », nous apprend le média algérien TSA [des violences ayant éclaté dans la zone tampon de Guerguerat lors d’une manifestation, le Front Polisario s’était retiré de l’accord de cessez-le-feu en vigueur depuis 1991, NDLR] fait du Maroc « le quatrième pays arabe à mettre de côté l’hostilité avec Israël au cours des quatre derniers mois », affirme le quotidien égyptien Al Ahram, après le Soudan, Bahreïn et les Émirats arabes unis.
Des relations pas si nouvelles que ça
Si pour le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, « l’accord est historique », le site du Centre d’études et de consultations mauritanien Essahra rappelle tout de même que « la question de la normalisation des relations entre Rabat et Israël avait été relancée en février dernier à l’occasion d’une visite officielle au Maroc du chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo ». « À l’époque, des médias israéliens assuraient que le Maroc serait prêt à faire un geste en contrepartie d’un soutien américain à la position du Maroc sur le Sahara occidental », assure l’article.
Pour TSA, le rapprochement entre le Maroc et Israël remonte même « à plusieurs années » et se matérialise « notamment dans le domaine économique et commercial ». Ce que confirme un haut diplomate cité par le journal palestinien Al Ayyam : la décision marocaine n’est pas « une question de reconnaissance, mais plutôt de reprise des relations existantes ».
« Des bureaux de liaison ont fonctionné par le passé, pendant six ans, rappelle en effet Le 360. En 1994, le roi Hassan II avait rétabli des relations diplomatiques à un niveau subalterne (comprenez sans ambassadeur). En prenant cette décision, le Maroc était devenu à l’époque le troisième pays – après l’Égypte et la Jordanie — à établir des relations formelles avec l’État hébreu. » Mohammed V les a finalement rompus le 21 octobre 2000, à la suite du déclenchement de la seconde Intifada, « en signe de soutien aux Palestiniens ».
Toujours selon le média marocain, un lien spécial unit tout de même les deux pays, qui repose en grande partie sur la communauté juive marocaine avec laquelle « le Maroc n’a jamais rompu ». « La Constitution de 2011 consacre d’ailleurs par son préambule la richesse et la diversité des composantes spirituelles et culturelles (y compris l’affluent hébraïque) qui forgent l’identité des Marocains », rappelle le média, qui ajoute : « Les Israéliens d’origine marocaine restent, de leur côté, attachés à leur pays et ne s’en cachent pas. » « Certains parmi eux occupent des postes de haut rang dans l’administration israélienne : pas moins de dix ministres du gouvernement de Benyamin Netanyahou, installé en mai dernier, sont d’origine marocaine », précise-t-on. Depuis une vingtaine d’années, c’est également via « des échanges culturels » que s’inscrivent les relations entre le Maroc et Israël.
Au-delà des liens culturels, des ouvertures économiques
Avec la reconnaissance marocaine, des échanges pourraient bien désormais se concrétiser aussi sur le plan économique. Car, hier, « le Royaume a accédé à une vieille demande israélienne : l’établissement d’une liaison aérienne pour le transport des membres de la communauté juive marocaine et des touristes israéliens en provenance et à destination du Maroc », indique Le 360. Mais c’est surtout la reconnaissance de la marocanité du Sahara par les États-Unis – en contrepartie de la normalisation des liens diplomatiques entre le Maroc et Israël – qui promet les plus fortes retombées économiques.
Pour le site d’informations marocain, le Sahara est même un « futur eldorado des investisseurs américains ». Car « malgré sa faible densité de population, la région est riche de ses multiples ressources en poissons et en bétail, en minéraux et en pétrole », explique le journal égyptien Al Shourouk. « La ville de Laâyoune est l’une des villes industrielles les plus importantes de la région, précise-t-on. Les Émirats arabes unis et la Jordanie y ont d’ailleurs récemment annoncé l’ouverture de leurs propres consulats, [pour faciliter] les activités industrielles, de pêche et d’exportation. »
La ville côtière de Dakhla, plus au sud, possède également de nombreux atouts, comme sa zone industrielle portuaire, « dont les revenus constituent une ressource essentielle pour le développement local ». « D’importantes ressources minérales », « du pétrole », mais aussi « un cheptel de bétails de taille – 30 000 chameaux et plusieurs milliers de vaches » font de la région un pôle économique à haut potentiel. Un communiqué du cabinet royal, relayé le 10 décembre par Le 360, annonce d’ailleurs « l’ouverture d’un consulat [américain] à Dakhla, à vocation essentiellement économique, en vue d’encourager les investissements américains et de contribuer au développement économique et social, au profit notamment des habitants des Provinces du Sud ».
Transformer des opportunités pour le Maroc
Pour Omar Belmamoun, qui dirige les activités de Total Eren au Maroc, l’initiative permettra à de grands projets américains de se concrétiser sur le sol marocain. Par exemple, « le vaste plan d’électrification de l’Afrique, Power Africa, doté de 16 milliards de dollars, lancé par l’ancien président Barack Obama ». « En l’absence de projets structurants en Afrique dans le domaine des énergies, le Maroc est mieux placé pour se positionner en tant que hub énergétique entre l’Europe et l’Afrique, explique le haut responsable au site d’informations. L’expertise marocaine et le cadre réglementaire énergétique marocain permettront de combler le manque de projets énergétiques structurants bancables en Afrique subsaharienne. » Avec la reconnaissance américaine du Sahara occidentale, « le Maroc n’est donc plus seulement l’allié géostratégique, mais un sérieux et potentiel allié géo-économique des entreprises américaines qui veulent conquérir des marchés africains et sud-est méditerranéens », affirme pour sa part, au même média, l’économiste Abdelghani Youmni.
L’Algérie « groggy »…
De l’autre côté de la frontière, en revanche, les conséquences pourraient être beaucoup moins heureuses. Pour le quotidien algérien El Khabar, « la décision de Trump menace les relations algéro-américaines ». Sarah Yerkes, membre du programme Moyen-Orient du Carnegie Endowment for International Peace, et dont les propos ont été initialement publiés dans le New York Times, soutient que « la décision du président américain Donald Trump de soutenir la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental est susceptible de provoquer des frictions avec l’Algérie et de compromettre gravement les relations » entre les deux pays.
« Ce que l’Algérie craignait le plus au monde est finalement arrivé », renchérit Le 360 dans son article « Reconnaissance de la marocanité du Sahara par les USA : le tandem Algérie-Polisario groggy ». « Comme on peut l’imaginer, la stupeur et le désespoir du régime algérien sont à leur comble », affirme le média pour qui « l’homme malade du Maghreb doit prendre le train en marche, et faire définitivement le deuil d’un État fantôme qui lui aurait servi de marchepied vers l’Atlantique ».
Algérie patriotique pour sa part s’inquiète davantage de « l’officialisation du couple Maroc-Israël », une décision par laquelle « l’ennemi s’approche de l’Algérie ». « Israël s’est donc définitivement implanté au Maghreb et rien ne dit que la Mauritanie n’emboîtera pas le pas au Maroc dans les semaines ou les mois à venir ». Pour le média, le constat est préoccupant : « l’Algérie se verra ainsi coincée entre un voisin à l’ouest qui offre à Tel-Aviv l’opportunité d’officialiser sa présence en Afrique du Nord et de s’y enraciner, une Libye morcelée et en proie aux convoitises de puissances étrangères qui se livrent une guerre par procuration, et un Sahel pris en étau entre les groupes terroristes et l’armée française », écrit-il.
… et la Palestine « déçue »
Au Proche Orient, aussi, la décision marocaine inquiète, bien que Mohammed VI ait assuré dans un communiqué relayé par Le Matin d’Algérie que « ces mesures n’affectaient en aucune manière l’engagement permanent et soutenu du Maroc en faveur de la cause palestinienne juste ». Ainsi, d’après le quotidien palestinien Al Ayyam, « les factions palestiniennes condamnent la décision du Maroc ». Pour le Front populaire de libération de la Palestine, ce 10 décembre est « un jour noir dans l’histoire du peuple palestinien ». Pour le Hamas, qui s’exprime par la voix de son porte-parole Hazem Qassem, « la normalisation encourage l’occupant à continuer de nier les droits de notre peuple ».
Et selon Palestine Chronicle, « la nouvelle est arrivée comme une autre déception pour les Palestiniens qui regardent leurs anciens alliés arabes rejoindre le camp israélien alors que les Palestiniens restent sous occupation militaire israélienne ». « Jusque récemment, la stratégie politique arabe officielle à l’égard de la Palestine reposait sur l’idée qu’aucune normalisation ou reconnaissance d’Israël ne précéderait jamais la fin de l’occupation israélienne de la Palestine et l’établissement d’un État palestinien, explique le site. À en juger par les nombreuses décisions en faveur de la normalisation, cette maxime ne semble plus en vigueur. » Dans la lignée de la position officielle, Le 360 assure que la décision du Maroc « ne remet nullement en cause l’engagement du Maroc pour la défense de la cause palestinienne, si chère à tous les Marocains ». Pour le média en ligne, la normalisation des relations avec Israël « ne fait que refléter le soutien du Maroc à une solution fondée sur deux États vivant côte à côte, dans la paix et la sécurité ».
Pour certains médias algériens, le départ de Donald Trump en janvier prochain, et l’arrivée au pouvoir du démocrate Joe Biden, pourrait bien changer la donne, et mettre des bâtons dans les roues à cette relation naissante. « La décision de Trump n’est à ce stade qu’une déclaration sur laquelle Biden peut facilement revenir, et soutenir un règlement négocié par les Nations unies », écrit El Khabar. Pour le journal, « la décision de Trump met les États-Unis en désaccord avec l’opinion publique mondiale et menace de transformer le conflit en guerre ouverte […], voire en conflit régional, qui pourrait ouvrir des portes à des groupes terroristes d’Afrique de l’Ouest ». Dans une moindre mesure, le journal en ligne marocain Le Desk le reconnaît : l’initiative américaine est « une patate chaude pour les démocrates ». « En signant une proclamation présidentielle reconnaissant la souveraineté marocaine sur le Sahara, Donald Trump met la future administration démocrate dans une situation difficile », admet-il. L’équipe de Joe Biden reviendra-t-elle sur la décision de son prédécesseur ? « Il n’y a rien d’irréversible », pense le média algérien TSA.