Un cardinal sur la sellette. L’expression n’aura jamais été aussi appropriée, la sellette désignant ce petit siège du Moyen Âge où l’accusé devait répondre en position d’infériorité. C’est ce qui attend le cardinal Angelo Becciu, 73 ans, qui est l’inculpé phare d’un procès inédit s’ouvrant au Vatican ce mardi, et dont l’issue ne sera pas connue avant des mois. L’accusation porte sur un scandale financier lié à un investissement hasardeux avec des fonds du Saint-Siège – 200 millions d’euros – dans un immeuble situé sur la luxueuse Sloane Avenue de Londres, en 2014.
La méthode François déroute jusque dans son propre camp
Le cardinal d’origine sarde, qui fut le numéro trois du Vatican de 2011 à 2018, n’est pas seul. Dix autres comparaissent à ses côtés, dont neufs Italiens et un Suisse, pour la plupart hommes d’affaires ou financiers.
La responsabilité du cardinal Becciu dans l’affaire de l’immeuble londonien reste cependant à prouver. Selon un seul accusateur interne, il serait intervenu, in extremis, sur ce dossier. Il est surtout accusé pour deux autres dossiers: un prêt qu’il aurait accordé – via une structure ecclésiale – à l’entreprise de bière et boisson de son propre frère, et des fonds alloués à Cécilia Marogna, une pseudo-agent secret qui aurait rendu des services de renseignement au Vatican et qui en aurait profité pour son compte personnel.
Fébrilité de l’institution
Quant au dossier londonien, le montage est complexe: un fonctionnaire laïc du Vatican, conseiller des prélats pour les finances, est acheté par une banque suisse pour apporter des affaires. Il met en contact le Vatican avec un premier homme d’affaires italien qui préconise, en 2014, l’achat de l’immeuble à Londres via un prêt de cette banque suisse. Il surestime la valeur et sous-estime les risques.
«Le Malin profite des crises», dit le pape François
Quand le Vatican réalise le piège en 2018, il se tourne – via le même fonctionnaire véreux – vers un autre affairiste italien pour tenter de sortir de ce guêpier. Celui-ci conseille au Vatican de racheter toute la propriété londonienne. Ce qu’il fait. Mais sans savoir que ce nouveau conseiller est de mèche avec le premier escroc, les deux empochant des commissions. Quant à l’inculpé suisse, qui était chargé du contrôle financier du Vatican, on lui reproche de n’avoir pas décelé cet abus de confiance.
Curieux procès que celui-ci… où le Vatican se retrouve à la fois en position de victime, d’accusateur et de juge. Ce qui n’est pas sans provoquer une certaine fébrilité de l’institution, perceptible à travers son comportement récent. Le 3 juillet, le Saint-Siège a publié – avec une traduction en plusieurs langues par les services de communication du Vatican – de très longs extraits de la requête du tribunal (500 pages) contre les inculpés. La sélection des textes aboutissait à un réquisitoire imparable, médiatiquement parlant, visant à démontrer la culpabilité des inculpés. Bien loin du respect de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction.
«Victime d’un complot»
Autre anomalie relevée par de nombreux observateurs: ces extraits de l’acte d’accusation éludaient avec soin la responsabilité de quatre personnes informées de l’affaire. À commencer par les deux supérieurs du cardinal Becciu: le secrétaire d’État, numéro deux et premier ministre du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, et… le pape François. Mais également le successeur du cardinal Becciu depuis 2018, au troisième poste le plus élevé dans la hiérarchie du Vatican, celui de «substitut», le Vénézuélien Edgar Pena Parra. Et enfin, l’un des collaborateurs de Becciu, Mgr Alberto Perlasca, aujourd’hui gracié parce qu’il a livré des informations clés aux enquêteurs. Ces prélats affirment – le pape est évidemment tenu hors de cause – «avoir été trompés». Mais la connaissance collective du dossier par ses supérieurs sera l’une des lignes de défense de Becciu qui clame son «innocence absolue», se disant «victime d’un complot».
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Troisième fait révélateur du malaise: samedi dernier, le Vatican a publié pour la première fois de son histoire les comptes d’une de ses plus puissantes entités financières. Non pas la «banque du Vatican», l’Institut des œuvres de religion, mais l’Administrazione del patrimonio della sede apostolica (Apsa), en charge de 4 051 immeubles ou propriétés en Italie et 1 120 à l’étranger. À trois jours du procès, il s’agissait de démontrer que cette entité vaticane, pourtant chargée de l’immobilier, n’avait pas été impliquée dans l’affaire de Londres. Cet achat fut géré en direct par la secrétairerie d’État, cœur de la Curie, avec ses fonds propres (environ 600 millions d’euros), un peu comme si Matignon avait agi avec les fonds réservés au premier ministre, à l’insu de Bercy et du ministre des Finances.
Ce surcroît de précautions et de communication révèle à la fois la complexité des rouages internes que ce temps judiciaire va soulever mais aussi les craintes qu’il suscite. Le «procès Becciu» pourrait bien se transformer en «procès du Vatican»…