Pour une fois, TSMC délivrera des vaccins plutôt que des puces. Le numéro un mondial des fabricants des semi-conducteurs a annoncé le 12 juillet un don de 10 millions de doses de BioNTech/Pfizer à la population taïwanaise, rattrapée par la pandémie et la pénurie de sérum. Un geste humanitaire rare chiffré à 350 millions de dollars, partagé avec Foxconn, l’autre géant de l’électronique de l’île, dont les usines en Chine continentale assemblent les iPhones.
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Alors que Taïwan subit l’impact sévère du Covid, TSMC continue de prendre des actions tangibles pour assumer sa responsabilité sociale. Nous devons tous émerger plus fort de la pandémie», a déclaré le chairman Mark Liu. Pour Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), la mission est déjà largement accomplie, comme l’indiquent les résultats insolents dopés par la digitalisation accélérée de l’économie mondiale. Le groupe qui fabrique les puces qui animent nos téléphones, ordinateurs, voitures et objets connectés en tous genres, a vu ses revenus bondir de 25 % en 2020 pour atteindre 47 milliards de dollars. Il compte encore accélérer en investissant plus de 100 milliards de dollars dans les trois prochaines années pour augmenter sa production, et répondre à la demande insatiable de la planète pour des puces toujours plus puissantes.
Un tapis rouge américain
Courtisé, mais également pressé par les deux premières puissances mondiales, TSMC doit naviguer avec dextérité dans ce monde en plein bouleversement, mais s’affirme en position de force, à l’heure de la révolution de la 5G, de l’intelligence artificielle, et de la digitalisation. Avec plus de 50 % du marché mondial des fonderies (usines) de semi-conducteurs, le groupe taïwanais est devenu l’une des entreprises névralgiques de l’économie planétaire. «La guerre froide technologique est une opportunité pour TSMC, et son unique rival est Samsung», juge Stephen Ezell, vice-président de l’Information Technology and Innovation Foundation (ITIF), think-tank à Washington.
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L’Amérique déroule le tapis rouge et des subventions massives à l’allié taïwanais pour bâtir une usine de 12 milliards de dollars en Arizona, qui délivrera des puces haut de gamme de 5 nanomètres en 2024, renforçant la sécurité des chaînes d’approvisionnement américaines face à la «menace» chinoise, qui met les bouchées doubles pour combler son retard dans le domaine. Au même moment, TSMC a annoncé un investissement de 2,8 milliards de dollars pour étendre sa production en Chine à Nankin, pour des puces moyenne gamme, faisant froncer les sourcils de Washington. Et il ouvre un centre de recherche au Japon, lui aussi demandeur. Même le commissaire européen Thierry Breton rêve de convaincre le leader d’installer une usine sur le Vieux Continent. «Ils sont au cœur du jeu. Tout le monde les courtise du fait de leur savoir-faire, et ils peuvent jouer sur plusieurs tableaux» explique Mathieu Duchâtel, directeur Asie à l’Institut Montaigne.
La confiance d’Apple
Dans le marché des puces, TSMC possède plusieurs longueurs d’avance sur la concurrence, dans la course à l’infiniment petit. Seul le sud-coréen Samsung peut le suivre sous la barre des 7 nm, pour équiper les smartphones et ordinateurs portables les plus avancés du marché. Le premier rival chinois, SMIC, bute toujours sur le mur des 14 nm, malgré les aides de Pékin. «Il s’agit d’une boîte d’ingénieurs, à la culture très prudente, mais très innovante», résume Duchâtel. TSMC a consacré 3,5 milliards de dollars à la seule R&D en 2020, soit 9 % de ses revenus.
Apple ne s’y trompe pas, et lui a confié la fabrication de sa puce M1, qui équipe sa nouvelle génération de Mac, plus rapide, abandonnant Intel, largué dans la course à la miniaturisation. Apple contribue à elle seule à 25 % des revenus de TSMC, qui lui construit une nouvelle ligne de production à Tainan, dans le sud de l’ancienne Formose, pour livrer dès 2022 la prochaine génération de puce ultra-performantes: des puces de 3 à 2 nm.
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Ce triomphe planétaire consacre le volontarisme visionnaire de Morris Chang, vétéran de Texas Instrument, qui fonda l’entreprise en 1987 pour approvisionner les géants occidentaux de l’électronique, converti au «fabless», au nom de la baisse des coûts. Le diplômé de Stanford retourne au bercail, en surfant sur son carnet d’adresses américain pour développer une industrie pointue alors cachée sous le capot des ordinateurs. Trente et un ans plus tard, le «père de la puce taïwanaise» est décoré du grand cordon azur de l’ordre des Nuages propices, par la présidente Tsai Ing Wen. Son groupe est devenu le bouclier technologique de l’île, capable de cimenter l’alliance avec le protecteur américain, face aux menaces d’invasion chinoise.