Beyrouth
Des villageois qui neutralisent et désarment des combattants du Hezbollah avant de les remettre à l’armée libanaise? La scène est sans précédent. Elle a pourtant eu lieu, vendredi 6 août à Chouaya, une bourgade druze dans le Liban-Sud, où les miliciens du parti de Dieu ont été attaqués alors qu’ils menaient une opération contre Israël. Selon Hassan Nasrallah, qui s’exprimait samedi 7 août, il s’agissait de répliquer de manière «appropriée et proportionnée» à l’aviation israélienne, qui avait bombardé la veille des«zones ouvertes» du territoire libanais, une première depuis 2014. «Nous avons frappé depuis ce secteur car nous ne pouvions pas atteindre nos cibles d’un autre point. Autrement, nous l’aurions fait», a-t-il justifié. Le village se situe en effet hors de la zone d’opérations de la Finul et fait face aux Fermes de Chebaa, territoire contesté entre le Liban, la Syrie et Israël, en direction duquel le Hezbollah a lancé sa volée de missiles. Les deux belligérants ont pu ensuite revenir au statu quo ante.
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Comme souvent au Liban, l’escarmouche de Chouaya s’est vite transformée en incident communautaire, faisant craindre la réédition des «événements de 2008», quand le Parti de Dieu a pris de force le contrôle de Beyrouth. À l’époque, ses combattants avaient affronté, armes au poing, les autres communautés, druzes et sunnites en particulier. Le cas est d’autant plus présent dans les esprits que les tensions communautaires se multiplient. Début août, à Khaldé, une ville à l’entrée de la banlieue sud de Beyrouth, des combats à l’arme automatique et aux roquettes RPG ont opposé des membres d’une tribu arabe sunnite à des partisans de la milice chiite. Ces clashs ont fait trois morts et plusieurs blessés côté Hezbollah avant que l’armée n’intervienne. «Il ne s’agit pas de simples incidents sécuritaires, explique Hussam Itani, journaliste au quotidien Asharq al-Awsat. Cela reflète l’état d’esprit de larges segments de la population libanaise.»
«Iran out»
Le mouvement chiite pro-iranien se trouve en effet confronté à une contestation grandissante. Cette opposition vient certes de ses adversaires politiques, qui mènent une campagne de dénigrement dans la perspective des élections législatives de 2022. «On entend ainsi lui faire porter la responsabilité de la présence du nitrate au port de Beyrouth, de la crise politique voire économique», rappelle l’analyste Michel Naufal. Mais ces crispations font aussi écho au malaise de nombreux Libanais qui se sentent de plus en plus «pris en otage entre l’Iran et les États-Unis», relève Amine Kammourieh de la chaîne de télévision al-Jadeed.
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Quelle qu’en soit l’origine, cette rhétorique était en tous les cas très présente lors de la commémoration de la catastrophe du 4 août 2020. «Iran out» («l’Iran dehors»),
lisait-on sur un calicot porté sur plusieurs kilomètres par une vingtaine d’activistes, tandis que d’autres scandaient: «Hezbollah, terroriste!» Pour cette frange de la population, le parti de Dieu n’incarne plus la résistance contre Israël. Il représente plus certainement la «manzoumé», l’appareil milicien qui a mis la main sur l’État libanais et bloque tout changement politique. «Trop concentré sur les enjeux internationaux, le Hezbollah a ignoré la réalité libanaise, alors qu’il en est aujourd’hui l’un des principaux décisionnaires. Comment peut-il défendre sa logique d’affrontement avec Israël et ne rien faire pour débloquer la formation d’un gouvernement libanais?», s’interroge Amine Kammourieh. Pour l’éditorialiste d’al-Jadeed, la milice chiite, qui n’assume pas sa position dominante sur la scène libanaise, n’a pas suffisamment fait pression sur ses alliés, en premier lieu le Courant patriotique libre (CPL), dont est issu le président de la
République, Michel Aoun, afin d’accélérer la formation d’un nouveau gouvernement, laissant le pays se précipiter vers l’abîme.
Mais si la milice chiite tarde à agir, c’est aussi que la stratégie de stigmatisation s’avère ingénieuse pour les partis traditionnels, dont il fait partie, même s’il conserve certaines spécificités. Incapables de proposer une alternative politique, elle leur permet de jouer sur les divisions entre pro et anti-Hezbollah – au risque de raviver les vieux démons de la guerre civile – pour mieux désamorcer toute contestation du régime lui-même. «On assiste au suicide collectif du peuple libanais,conclut, très pessimiste, Amine Kammourieh. Que dire de plus?»