Cela fait maintenant quatre ans qu’un petit groupe d’hommes armés a pris pour cible un poste de police à Mocímboa da Praia, dans le nord du Mozambique. Cet acte, qui pouvait sembler anodin à l’époque, a marqué le déclenchement d’une insurrection majeure qui a pris pour cible des civils, occupé des territoires et forcé une importante multinationale qui s’apprêtait à extraire du gaz au large des côtes de la province de Cabo Delgado à suspendre ses activités. À ce jour, 3 500 personnes ont été tuées dans ce conflit armé et 745 000 ont été déplacées. L’insurrection a subi un coup d’arrêt cet été après l’intervention des forces armées rwandaises, puis de la mission de la SADC au Mozambique (SAMIM). Le calme relatif qui règne actuellement sur le champ de bataille suscite des interrogations quant à l’efficacité de l’approche militaire et aux prochaines étapes : comment l’insurrection au Mozambique a-t-elle pu se développer de la sorte ? et une intervention militaire internationale est-elle la réponse adéquate pour y mettre fin ?
Le débat actuel, alimenté par les décideurs et les analystes, porte en grande partie sur le pourquoi et le comment de l’insurrection – certains pointant du doigt des influences extérieures, et notamment le terrorisme islamiste transnational ; d’autres évoquant le déficit de développement et la marginalisation des habitants du nord du Mozambique, qui pourrait motiver les jeunes et les pauvres à rejoindre l’insurrection. Si ces aspects ont certainement joué un rôle au Mozambique, il faut également prendre en compte la réponse des autorités et la manière dont elle a contribué à l’escalade du conflit et au renforcement de l’insurrection. Le gouvernement a fait preuve d’ignorance et de déni, ce qui a eu pour effet d’empêcher le parti au pouvoir, le Frelimo, de comprendre la situation et de réfléchir à des solutions. Au lieu de cela, la réponse des autorités – une répression sévère et des atteintes aux droits de l’Homme – a nourri la rébellion. La stabilité actuelle n’est donc, selon toute vraisemblance, que temporaire – ces dernières semaines, on a d’ailleurs constaté une augmentation et une expansion de la violence dans la province voisine de Niassa.
Le conflit a débuté avec la naissance d’une secte religieuse islamique en 2007. Les premières confrontations avec la police locale ont eu lieu en 2015-2016, mais la violence armée n’a réellement commencé qu’en octobre 2017. Le groupe est connu sous le nom d’Al-Shabaab (« Les jeunes » en arabe) ou Ahlu Sunnah Wal-Jamâa. Il a prêté allégeance à l’État islamique en 2018 et a été reconnu comme une branche de la province d’Afrique centrale de l’État islamique en juillet 2019, mais les implications de cette affiliation restent floues.
Alors que la violence a été de basse intensité au début, et principalement dirigée contre les forces de sécurité étatiques, l’insurrection a commencé à cibler davantage les civils à partir de 2019 et a perpétré ces deux dernières années des formes graves de violence, notamment des décapitations.
DES VILLES SOUS LA COUPE DES INSURGÉS
En 2020, la nature de la guerre a complètement changé lorsque le groupe insurgé a occupé certaines villes pendant quelques jours au mois de mars, puis a pris le contrôle de la ville de Moçímboa da Praia en août – et ce durant un an. L’attention internationale portée au conflit a soudainement grimpé en flèche en mars 2021, lorsque Al-Shabaab a mené une opération autrement plus sophistiquée en attaquant la ville de Palma, faisant plusieurs dizaines de morts, parmi lesquels des expatriés employés dans l’usine de traitement de gaz naturel liquéfié appartenant à TotalEnergies. Cette attaque a entraîné une importante mission d’évacuation menée principalement par des hélicoptères de la Dyck Advisory Group (DAG), une société militaire privée sud-africaine soutenant le gouvernement mozambicain, et a suscité un élan régional pour aider le Mozambique à gérer la crise. TotalEnergies a de son côté interrompu temporairement son projet d’exploration gazière en avril.
Les premières analyses portant sur cette insurrection ont souligné le fait que les actions répressives initiales du gouvernement local et des forces de sécurité ont été un facteur contribuant à la radicalisation du conflit vers la violence armée en octobre 2017. Jusqu’au début de l’année 2021, c’étaient les forces de police qui étaient chargées de mater l’insurrection, et notamment la tristement célèbre Unité d’intervention rapide (RIU), accusée d’avoir commis des violences aveugles contre les civils. En janvier 2021, le gouvernement a confié cette tâche à l’armée et a nommé un nouveau commandant militaire – qui est toutefois décédé peu après des suites du Covid-19.
Jusqu’au printemps 2021, le gouvernement s’est refusé à autoriser un déploiement de soldats internationaux et s’est appuyé sur des entreprises privées pour assurer un soutien militaire et logistique à son armée ainsi que des missions de formation bilatérales. Le président Filipe Nyusi [NDLR : issu du Frelimo] a déclaré qu’il était là pour défendre « la souveraineté du Mozambique », en faisant une allusion à l’ingérence étrangère lors de la guerre civile, quand la Rhodésie et l’Afrique du Sud de l’apartheid avaient soutenu le Renamo, alors en guerre contre le Frelimo. Au lieu de cela, Nyusi s’est appuyé sur des partenaires internationaux historiques [NDLR : du Frelimo], mais les résultats ont été mitigés. Le groupe de mercenaires russe Wagner n’est pas resté longtemps : il a quitté le Mozambique en novembre 2019 après un déploiement qui aura tout juste duré deux mois, et qui aura été marqué par une relation conflictuelle avec les autorités mozambicaines quant à la stratégie à mener. En avril 2020, le gouvernement mozambicain a engagé DAG, une société dirigée par le colonel Lionel Dyck, qui avait aidé le Frelimo à combattre les rebelles de la Renamo dans les années 1980. Mais au bout d’un an, le gouvernement n’a pas reconduit la collaboration avec DAG.
L’AVEUGLEMENT DU GOUVERNEMENT
Ce n’est qu’après l’attaque traumatisante de Palma en mars 2021 que le gouvernement a changé de cap et a accepté le déploiement de militaires internationaux pour combattre l’insurrection. En juillet, les Rwandais ont envoyé des troupes dans le nord du Mozambique. La mission de la SADC a été lancée en août. Lors d’une opération militairement et symboliquement importante, début août, les forces armées rwandaises et mozambicaines ont repris Mocímboa da Praia aux insurgés.
Toutefois, de nombreux analystes s’accordent à dire que le succès des forces internationales n’est que temporaire, car les causes profondes du conflit n’ont pas été abordées et les insurgés – comme toutes les guérillas du monde – se sont dispersés pour pouvoir se regrouper et attaquer ailleurs. Les réfugiés ont commencé à retourner dans leur région d’origine et les organisations d’aide internationale ont promis de les soutenir et de financer des projets de développement. Mais cela fonctionnera-t-il ?
Dès le début, le gouvernement mozambicain n’a semblé s’intéresser à aucune des nombreuses thèses développées par les chercheurs sur les origines de l’insurrection. Au contraire, il a mis des bâtons dans les roues des chercheurs qui souhaitaient s’entretenir avec des responsables, des militants et des personnes déplacées. Il a en outre procédé à l’arrestation de journalistes locaux et expulsé un journaliste britannique qui couvrait l’insurrection. Quant au président Nyusi, il a accusé divers groupes armés nationaux et étrangers d’être derrière ces attaques, et il a qualifié les insurgés de « criminels », de « bandits irrationnels et cupides » et enfin de « terroristes », les associant ainsi au terrorisme transnational. Cette perspective est notamment soutenue par le Rwanda, car elle permet de justifier son intervention militaire au Mozambique – une intervention qui a suscité de nombreux soupçons.
De leur côté, les États-Unis ont désigné Al-Shabaab comme une organisation terroriste étrangère affiliée à l’État islamique en mars 2021 – une mesure qui, selon de nombreux observateurs, ne contribuera pas forcément à résoudre le conflit, d’autant que les recherches sont encore trop peu nombreuses pour déterminer avec certitude les liens qui existent entre l’insurrection et le terrorisme islamiste transnational.
ASSURER LA SÉCURITÉ DES PROJETS GAZIERS
La réponse contre-insurrectionnelle du Mozambique a également suscité de nombreuses critiques, car elle n’a pas permis de protéger les civils. Les problèmes de coordination entre le DAG et les forces terrestres mozambicaines ont entraîné des pertes civiles et des victimes parmi les forces de sécurité mozambicaines. Lorsque les forces gouvernementales ont repris Palma en mars, elles ont pillé et vandalisé des entreprises privées, notamment des banques, ainsi que des résidences. Amnesty International a accusé des entités privées, comme le DAG, ainsi que les forces armées étatiques, de violations des droits humains, et la police de harcèlement et d’extorsion. Dans ce contexte, la population civile ne fait pas confiance à l’État et aux forces de sécurité censées les protéger.
Le gouvernement admet que le conflit armé n’est pas encore terminé. Mais il ne reconnaît pas sa propre responsabilité dans l’escalade des violences. Avant le déploiement de troupes étrangères au Mozambique, des observateurs avaient mis en garde contre la tentation de répondre à la rébellion en sollicitant des forces armées non-responsables et soulignaient au contraire la nécessité de réfléchir à des solutions à long terme. Mais une grande partie de la réponse du gouvernement est liée aux intérêts des entreprises pétrolières et gazières, comme l’illustre le récent remaniement ministériel intervenu après une réunion avec les dirigeants d’Exxon au cours de laquelle ces derniers ont indiqué qu’ils ne reprendraient leurs activités que lorsque la situation sécuritaire se serait améliorée. Lors de la Journée des forces armées en septembre 2021, le président Nyusi a déclaré que la priorité était d’assurer la sécurité des projets gaziers.
Dans l’ensemble, le gouvernement a non seulement occulté les origines de l’insurrection de Cabo Delgado, mais aussi la réponse qui y a été apportée. La transparence autour de la stratégie contre-insurrectionnelle du gouvernement fait défaut. Les contrats avec les sociétés de sécurité privées ne sont pas rendus publics. Et le Parlement n’a pas eu son mot à dire quant au déploiement des troupes étrangères. Ce n’est donc pas un hasard si une récente note de l’ISS recommande de reconstruire complètement les institutions étatiques de la région et de les libérer de la corruption. Un État nouveau et différent est nécessaire pour gérer les problèmes complexes de la région, mais est-ce possible sous le régime actuel ?