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Bouteflika est parti sans gloire.
Figure majeure de l’indépendance et président depuis 1999, le chef de l’Etat algérien, symbole fantomatique d’un pouvoir sclérosé, a annoncé lundi son départ du pouvoir après six semaines de défilés gigantesques. Du diplomate séduisant au dirigeant contesté, il aura marqué l’histoire de son pays durant soixante ans.
Décembre 2007, Nicolas Sarkozy et Abdelaziz Bouteflika en visite à Constantine. Photo Gilles Bassignace. Gamma-Rapho. Getty Images
Abdelaziz Boute-flika, jusqu’ici accroché comme une momie à son fauteuil de gra-bataire présiden-tiel, vient d’en être chassé par une insurrection populaire et paci-fique, qui a vu l’armée céder à la rue pour garder l’essen-tiel. Rien n’est joué.
La coalition opa-que des militaires et des prévaricateurs du FLN fera tout pour rester en place. Mais elle a dû baisser pour la première fois la garde et débarquer l’un des siens pour sauver les autres. Résultat fragile mais résultat tout de même. L’avenir s’entrouvre pour l’Algérie.
Abdelaziz Bouteflika avait un rêve : mourir au pouvoir comme son ami et mentor, Houari Boumédiène. S’écrouler sur la scène comme Molière : une vanité de comédien qui sied bien à cet homme qui fut le diplomate virevoltant des années glorieuses de l’Algérie indépendante avant d’en devenir le septième président, en 1999, et finalement d’incarner physiquement, ces dernières années, la décrépitude d’un Etat sclérosé. Après six semaines de contestation populaire, la présidence algérienne a finalement annoncé lundi qu’il quittera le pouvoir d’ici au 28 avril, date officielle de la fin de son quatrième mandat, au-delà de laquelle Bouteflika aurait été illégitime selon la Constitution. L’Etat algérien devra ensuite organiser des élections dans un délai de 90 jours, période maximum d’intérim prévue en cas de démission. Dans cet intervalle, c’est Abdelkader Bensalah, 77 ans, le président du Conseil de la nation, la Chambre haute du Parlement algérien, qui assurera les fonctions de chef d’Etat. Ce proche de Bouteflika, qui occupe le poste depuis 2002, devrait verrouiller la transition. D’après le communiqué de la présidence, Abdelaziz Bouteflika prendra pour sa part «des mesures pour assurer la continuité du fonctionnement des institutions de l’Etat durant la période de transition» avant de quitter le pouvoir.
«Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a notifié officiellement au président du Conseil constitutionnel, sa décision de mettre fin à son mandat en qualité de président de la République, a-t-on appris mardi auprès de la présidence de la République ».
C’est par cette dépêche de l’agence officielle APS que les Algériens ont appris, ce mardi 2 avril à 19h43, la démission de leur président après 20 ans de règne sans partage, marqué par une dérive autoritaire et un bilan chaotique dans presque tous les secteurs.
Bouteflika est parti sans gloire. Il n’a même pas eu l’occasion – le droit ?- de s’adresser une dernière fois à son peuple.
Le chef de l’État a perdu l’usage de la parole depuis plusieurs années. Quant aux lettres qu’il avait l’habitude d’adresser aux Algériens, l’armée venait de lui signifiait qu’elle n’avait aucune valeur, car rédigée par une « bande » qui a usurpé la fonction de président de la République. Bouteflika a donc démissionné comme un simple fonctionnaire en adressant une lettre au Conseil constitutionnel.
Ce mardi est un jour historique. Pour la première fois depuis l’indépendance, les Algériens, mobilisés à travers tout le pays, ont réussi a poussé leur président vers la sortie. Certes, l’implication de l’armée ces derniers jours a contribué à accélérer les choses. Mais la victoire reste avant tout celle des Algériens. Sans leur mobilisation, l’armée aurait sans doute laissé faire un cinquième mandat.
Ce mardi mérite d’être fêté comme un jour de victoire pour les Algériens. Mais cette victoire n’est qu’une étape. Il reste le plus important : imposer une vraie transition démocratique.
Le peuple doit rester mobilisé, notamment en manifestant massivement vendredi. Ce sera l’occasion de fêter le départ de Bouteflika et de rappeler ses revendications. L’armée doit rester sur sa ligne réaffirmée aujourd’hui par Ahmed Gaid Salah : aux côtés du peuple. Elle ne doit pas chercher à imposer sa transition ni ses hommes. Une telle option est porteuse de risques. L’armée le sait très bien.
Ainsi la démocratie qu’on dénigre quand on en bénéficie continue de faire rêver ceux qui en sont privés. Elle est comme l’air des villes. On se plaint qu’elle est polluée. Mais si cet air vient à manquer, on étouffe.