Nous avons tous besoin d’être aimés. Mais que faire lorsque ce désir devient constant et obsessionnel? Sommes-nous alors «dépendants affectifs»? Gare à l’autodiagnostic! «Nous employons aisément cette formule pour évoquer des difficultés relationnelles , explique Nicolas Neveux, psychiatre et auteur du site e-psychiatrie.fr . Mais ce n’est pas un terme officiel. Seul le “trouble de personnalité dépendante” est défini dans le DSM-5 par un “besoin général et excessif d’être pris en charge qui conduit à un comportement soumis et à une peur de la séparation”.» Cette maladie, qui répond à des critères précis, fait partie des troubles de la personnalité ; à ce titre, elle nécessite un traitement thérapeutique et éventuellement pharmacologique.
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Mais alors, de quoi souffrent ceux qui vivent une relation un peu excessive, sans remplir ces critères précis qui les feraient entrer dans la maladie? «D’un trouble fréquemment rencontré, chez les femmes comme chez les hommes, qui se manifeste au sein d’une relation souvent sentimentale, mais aussi professionnelle, familiale ou amicale» , observe le psychiatre. À l’origine, une émotion naturelle et même utile, puisque c’est elle qui nous prévient en cas de danger: la peur. Celle «de perdre l’autre , précise Geneviève Krebs, coach et auteur de Dépendance affective: six étapes pour se prendre en main et agir (Eyrolles). Nous craignons son rejet ou son abandon, alors que nous avons besoin de lui. Dans une logique de survie, consciente ou non, nous faisons tout pour être apprécié, en espérant être aimé, et pouvoir rester en sécurité».
«Combler carence affective»
Cette anxiété entraîne son lot d’émotions parasites (tristesse, colère) et de pensées incohérentes («Je ne suis pas à la hauteur», «Personne ne m’aime»). «Elle finit par entraîner des comportements peu adaptés à la réalité de la situation , constate la thérapeute. Ce peut être l’évitement: nous n’osons contredire personne, évitons de prendre des décisions, de peur de nous tromper, de déplaire ou de souffrir ; le surinvestissement: nous nous sacrifions pour satisfaire l’autre, même s’il ne demande rien, afin de demeurer son sauveur ou son préféré ; le contrôle: nous le surveillons, exigeons sa présence, lui envoyons 50 messages par jour.»
D’où vient cette insécurité qui nous fait perdre la tête et la «prendre» à l’autre? Parfois de l’enfance. «Nous avons peut-être souffert d’un manque d’affection, réel ou perçu comme tel , avance Geneviève Krebs. Adultes, nous demandons à l’entourage de combler cette carence affective, en nous rassurant sans cesse.» Mais un trop-plein pendant l’enfance peut engendrer les mêmes excès: quand nous avons été surprotégés, nous n’avons pas eu l’occasion de compter sur nos propres ressources pour développer notre capacité à être seul. Nicolas Neveux évoque aussi l’importance de notre apprentissage: «Être en relation est une compétence sociale qui s’acquiert au fil du temps. Une jeune personne, sans grande expérience, a plus de chances d’être dépendant affectif simplement parce qu’elle ne sait pas encore bien qui elle est, quelles sont ses limites, ce qu’elle peut ou non attendre de l’autre.»
Le problème est que ces constantes demandes de réassurance sont un puits sans fond: l’entourage aura beau y répondre, nous prouver qu’il nous aime, la faille ne sera pas comblée. C’est donc à nous de nous y atteler et de construire un sentiment de sécurité intérieure qui ne repose plus uniquement sur l’autre. «Mettre à jour notre histoire pour comprendre notre fonctionnement est une première étape , conseille Geneviève Krebs. Nous reconnecter à qui nous sommes pour définir nos désirs, nos valeurs et nos besoins sera la seconde.» Des besoins que nous pouvons apprendre à nourrir seul. Par exemple, s’il nous prend l’envie d’envoyer un 51e message à l’être aimé, envisageons ce que nous pouvons faire nous-mêmes pour apaiser l’inquiétude: prendre un bain, aller courir, ouvrir un livre ou regarder Netflix?
Il s’agit aussi de laisser l’autre souffler. «Reconnaître nos schémas comportementaux nous permettra d’en expérimenter d’autres qui nous apporteront davantage d’équilibre dans la vie.» Au lieu de dire oui à tout par peur du conflit, par exemple, nous pourrions apprendre à nous affirmer avec calme et respect. En osant agir différemment, nous nous rendrons compte que nos craintes par anticipation sont souvent fantasmées, et nous découvrirons des ressources insoupçonnées. Ce ne sera pas très confortable, certes, et parfois nous échouerons. Mais nous comprendrons que c’est possible. Et nous pourrons nous féliciter de nos progrès en matière d’autonomie.
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En revanche, si nos relations deviennent toxiques , il nous faudra demander de l’aide. «Le risque de la dépendance affective est de ne plus vivre en fonction de soi mais de l’autre , explique Nicolas Neveux. Et de tout accepter, y compris une forme de violence morale ou physique pour éviter de perdre ce qui semble vital. Il y a également un risque d’isolement quand notre comportement frôle le chantage ou l’agressivité et que l’entourage n’en peut plus.» Une forme de dépression ou des troubles anxieux peuvent surgir, tant il est épuisant de toujours craindre le pire et de ne jamais nous sentir en sécurité. D’autres dépendances, à l’alcool , à la nourriture, au travail peuvent émerger. C’est alors que la fragilité devient une pathologie et qu’une psychothérapie doit impérativement être envisagée.
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