Sous la direction de François Burgat et Matthieu Rey
CNRS Éditions, 448 p., 26 €
Non, l’islamisme n’est pas soudainement « apparu » au cours des années 1970, quelque part entre l’Iran et l’Afghanistan. Et non, ses formes les plus radicales ne sont pas les seules dignes d’intérêt. Pour analyser de la manière la plus ample possible les mobilisations politiques « au nom de l’islam », la vingtaine d’universitaires ayant contribué à cette somme se sont départis des nombreux clichés qui entachent leur objet d’étude. Bien que courant sur deux siècles, l’aperçu historique global qu’ils livrent évite toute essentialisation et reste toujours accessible.
→ PORTRAIT. Steven Duarte, l’émancipation par l’islamologie
Ces chercheurs – dont certaines sommités comme l’historien Henry Laurens – revendiquent de regarder « ailleurs » que dans le champ de l’islamologie, refusant de se limiter à la seule dimension religieuse de leur sujet. En effet, écrivent-ils, les expressions islamistes ont toujours interagi avec le champ politique. Et selon qu’il s’agisse du Maroc, du Nigeria, de la Palestine, de l’Arabie saoudite ou de l’Indonésie, à l’heure coloniale ou après les indépendances (la plupart des régimes du Tiers-Monde étaient alors devenus militaires), ces mobilisations islamistes se montrèrent tour à tour légalistes, démocratiques, autoritaires ou révolutionnaires.
Une réponse identitaire
La thèse qui sous-tend cet ouvrage collectif est que l’islamisme, depuis le XIXe siècle, se présente comme une réponse identitaire à l’affirmation de l’hégémonie culturelle occidentale. La dynamique réactive étant « au cœur de l’alchimie islamiste », ces mouvements ont cherché à mobiliser des musulmans devenus peu à peu les adeptes d’une culture « perdante ». Même si l’islam a aussi été invoqué, selon les lieux et les époques, pour légitimer la colonisation, comme le souligne Ossilia Saadia dans sa contribution portant sur le début de la période.
→ PORTRAIT. Sami Tchak, la littérature pour religion
L’ouvrage, découpé en cinq parties, suit une évolution chronologique. Se démarquent plusieurs tournants majeurs, notamment l’abolition du califat ottoman en 1924 – qui précipite l’émergence de formes de mobilisation inédites autour de l’islam – ou la révolution islamique iranienne de 1979, qui conduit de nombreux groupuscules à rêver de victoires similaires.
Si l’on peut regretter que la période actuelle ne soit pas explorée plus longuement, le refus d’adopter une perspective défensive ou sécuritaire constitue l’une des originalités de cet ouvrage. De même que l’attention à des pages moins connues de l’histoire de ces courants aujourd’hui si présents dans l’actualité.
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► A lire aussi
Frères musulmans. Le cercle restreint de Lorenzo Vidino
Global watch analysis, 358 p., 22 €
Fondés en 1928 en Égypte, les Frères musulmans, l’un des mouvements islamistes les plus influents au monde, sont présents en Occident depuis la fin des années 1950. C’est à cette implantation – quoique souvent niée par les individus et entités concernés – que ce spécialiste italo-américain de l’islamisme consacre son étude, parue d’abord en anglais aux éditions Columbia University Press.
Elle se fonde sur les témoignages de sept cadres dissidents des réseaux des « Frères » en Europe : tous les ont quitté, pour différentes raisons. Outre des éclairages bienvenus sur la manière dont s’opèrent les adhésions et les départs au sein de la confrérie, ces récits aident à saisir ce qui fait l’attractivité, en particulier auprès des jeunes, de ce « cercle restreint ».
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Comment vaincre l’islamisme
Collectif, sous la dir. de Mohamed Sifaoui
Cerf, 284 p., 22 €
Un « livre-vérité », et même un « livre-programme » pour le prochain quinquennat. Ainsi se présente l’ouvrage dirigé par l’impétueux journaliste Mohamed Sifaoui. Invitant les pouvoirs publics à « assumer la guerre idéologique » face à l’islamisme, cet habitué des plateaux de télévision convie ici dix auteurs, « à la fois théoriciens et praticiens », à livrer leurs pistes pour le combattre efficacement.
Le sociologue Bernard Rougier (proche de Gilles Kepel), la géopoliticienne Amélie Chelly (qui vient de publier chez le même éditeur un foisonnant Dictionnaire des islamismes), ou encore l’historien des religions Jean-François Colosimo dressent certes un bilan « sans concession », mais peinent souvent à formuler des propositions suffisamment concrètes pour répondre à la promesse du titre.
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Le djihadisme
d’Asiem El Difraoui
« Que sais-je ? », PUF, 128 p., 9 €
Du Mali à l’Indonésie, en passant par la Bosnie, le Yémen ou le Pakistan, le djihadisme est devenu, en moins d’un demi-siècle, un phénomène global. Le politologue germano-égyptien Asiem El Difraoui retrace avec rigueur et pédagogie l’histoire de cette mouvance, de l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, au retour des talibans à Kaboul à l’été 2021.
Ce spécialiste de la propagande djihadiste, notamment sur Internet, consacre des pages éclairantes à son sujet de prédilection. Il décrypte aussi les notions de radicalisation et de déradicalisation, si souvent sous les radars de l’actualité ces dernières années. Ce « Que sais-je ? », paru d’abord en 2016, vient d’être réédité, de même que celui d’Anne-Clémentine Larroque sur un thème voisin : Géopolitique des islamismes.
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Le Coran des islamistes. Mystique et politique
d’Olivier Carré
Cerf, 384 p., 25 €
Précurseur des études sur l’islam politique, le politologue Olivier Carré offre un décryptage édifiant de ce qui s’apparente à un « texte-icône » pour les islamistes : À l’Ombre du Coran (Fi Zilal al Quran), rédigé entre 1951 et 1965. Son auteur, Sayyid Qutb, Égyptien exécuté par Nasser en 1966, fut l’un des principaux théoriciens du djihad.
Cette plongée érudite dans son logiciel idéologique en éclaire bien des aspects : une certaine conception de la foi (« agissante » et mystique), le statut des non-musulmans (ennemis de l’Islam par définition), mais aussi des idées sociales et économiques, influencées notamment par le communisme. Publié une première fois en 2004, ce livre référence vient d’être réédité.