Dans une vidéo mise en ligne par «Mediapart», huit femmes accablent le candidat à la présidentielle, dont l’une pour la première fois. Les agressions sexuelles et comportements inappropriés se seraient déroulés entre 1999 et 2019. Aucune plainte n’a cependant été déposée pour l’instant.
Alors qu’il comptait profiter de la Journée internationale des droits des femmes pour faire sa promotion auprès de l’électorat féminin, Eric Zemmour a constaté mardi la publication d’une nouvelle enquête de Mediapart, dans laquelle il est à nouveau accusé de «comportements inappropriés et agressions sexuelles» quand il était chroniqueur au Figaro. Dans cette vidéo de trente-six minutesmise en ligne dans la matinée, huit femmes accusent le candidat d’extrême droite à la présidentielle, l’une d’elles pour la première fois, certaines s’exprimant à visage découvert, ce qu’elles n’avaient pas fait jusqu’à présent. Les faits qui lui sont reprochés, et pour lesquels aucune plainte n’a pour l’instant été déposée, se sont déroulés entre 1999 et 2019, selon les victimes déclarées.
L’entourage d’Eric Zemmour a jugé «minable» la publication de l’enquête vidéo. Malgré les témoignages exclusifs et l’épais dossier qui les accompagnent, dans une investigation qui a duré plusieurs mois, les proches de Zemmour considèrent que Mediapart «recycle» des témoignages «déjà sortis l’an dernier» dans le but de «faire un coup le jour de la Journée des droits de la femme», ce qu’ils jugent «minable à cinq semaines du premier tour».
Deux premiers articles, sortis en 2021, avaient recueilli des témoignages glaçants de femmes qui accusent Eric Zemmour de «comportements inappropriés et d’agressions sexuelles».
«La stagiaire, ça sert à quoi à ton avis ?»
Devenue ingénieure, Claire, 37 ans aujourd’hui, raconte à Mediapart un bref stage effectué à la rédaction du Figaro en 2002, alors qu’elle est à peine âgée de 18 ans. Appelée par Eric Zemmour dans son bureau, celui qu’elle considère alors comme «une star», lui demande de l’aide pour régler un «problème avec [son] ordinateur». Alors qu’elle cherche la solution, elle se rend compte qu’il lui caresse le dos avec sa main «de bas en haut». Quand elle demande «Qu’est-ce que vous faites ?», il lui répond : «Mais tu es stagiaire, non ? La stagiaire, ça sert à quoi à ton avis ?» Mise au courant de l’incident, la référente de Claire, Pascale Sauvage, alors collègue d’Eric Zemmour au Figaro, rapporte en avoir parlé à l’ancien journaliste. «Je lui ai dit, tu ne touches pas à la stagiaire. Tu lui as fait des avances et ça la met mal à l’aise.» Il lui répond : «Si maintenant, on ne peut plus draguer les stagiaires… Les stagiaires, c’est quand même fait pour faire des pipes et du café.» «Il m’a dit ça, je suis sûre», affirme Pascale Sauvage à Mediapart.
Une autre ancienne stagiaire, Séverine, l’accuse de «propositions très crues de relations sexuelles» en 1999 et de l’avoir «bloquée contre la paroi de l’ascenseur et embrassée de force sur la bouche». Elle explique que la scène a eu lieu après un café, en pleine journée. La jeune femme est allée trouver Eric Zemmour, qu’elle avait interviewé deux ans plus tôt dans le cadre de ses études à Sciences-Po et de son mémoire de fin d’année, pour le saluer. Il lui propose un verre, qu’elle accepte parce que Zemmour est pour elle «une référence des journalistes politiques». «Très vite, ça dévie et il rentre dans des propositions de relations sexuelles», raconte-t-elle. Séverine signifie qu’elle n’est pas intéressée, mais il insiste : «Il rapproche son visage, et me regarde fixement, puis pose sa main sur ma cuisse et me dit qu’il est en mesure de m’aider pour le début de ma carrière.» Plus tard, elle et Zemmour retournent à la rédaction. «On monte dans l’ascenseur ensemble et je n’attends qu’une chose, c’est que la situation s’achève. On est chacun d’un côté de l’ascenseur, mais le temps qu’il arrive à son étage, il me prend avec ses mains, il me bloque contre la paroi et il m’embrasse de force sur la bouche. J’ai à peine le temps de réaliser ce qui s’est passé.»
«Valeurs masculines»
Anne, elle, 26 ans à l’époque des faits, retrouve un jour Zemmour pour un rendez-vous professionnel. Elle lui a envoyé son CV pour un stage. Mais les choses ne se déroulent pas comme elle s’y attendait. «Il me parle pas du tout politique, il me drague, il me relève ma mèche sur les yeux, il me touche la main. Je panique. En partant, je le remercie pour le café, il me dit “Vous allez me remercier autrement.” Et là il m’embrasse de force et il me fourre sa langue dans la bouche»,relate-t-elle. «Quand on part, il recommence, rebelote, il me refourre sa langue dans ma bouche.» Plus tard, alors qu’il propose un nouveau rendez-vous à la jeune femme «et plus si affinités», elle refuse et il répond : «Vous n’avez rien compris, ma petite. C’est comme ça que ça se passe dans le journalisme.»C’est dans son journal intime qu’Anne raconte les détails de sa rencontre avec ce «super journaliste» dans un café parisien.
Parmi les autres témoignages, Gaëlle Lenfant, ancienne responsable aux droits des femmes du Parti socialiste, accuse aussi l’ancien éditorialiste de l’avoir «embrassée de force» lors d’une université d’été du PS à La Rochelle, au début des années 2000. Elle s’était exprimée le 24 avril à ce sujet sur Facebook. «Je me suis trouvée tellement sidérée que je n’ai rien pu faire d’autre que le repousser et m’enfuir en courant»,relatait Gaëlle Lenfant, alors «jeune militante».
Eric Zemmour n’a pas souhaité faire de commentaires auprès de Mediapart. Mardi soir, pour la Journée internationale des droits des femmes, son équipe organise à Paris un meeting des «femmes avec Zemmour», composé exclusivement de supportrices ayant pour objectif de minimiser les accusations à son encontre et ses positions misogynes régulières. Le leader de Reconquête doit prendre la parole durant cet événement. Crédité de 11 à 13 % des intentions de vote au premier tour, il a du mal à convaincre l’électorat féminin et tente de répondre aux critiques à un mois du premier tour. Lundi soir, sur LCI, le candidat à la présidentielle a souligné vouloir un «équilibre» entre «valeurs masculines» et «féminines» dans la société. Interrogé sur le virilisme du président russe Vladimir Poutine, qu’il admire, il a expliqué que, selon lui, l’excès de «valeurs féminines» (comme «la paix») pouvait générer «une faiblesse de la société par rapport à des sociétés plus viriles».
Interrogé sur France 2, le 9 décembre, sur les faits d’agressions qui lui sont reprochés, celui qui considère que le mouvement de libération de la parole des femmes #MeToo «est un mouvement d’éradication de l’homme», avait éludé ainsi : «Je n’ai pas à répondre. Parce que cela relève de ma vie privée. Ces femmes-là m’accusent comme ça, sans aucune preuve, c’est parole contre parole.» Ces paroles ont désormais des voix, et pour certaines des visages.