Emmanuel Macron relie la période actuelle «à la fin du Moyen Âge et au début de la Renaissance» et se dit confiant. Partagez-vous cette comparaison et son optimisme?
Cette allusion m’a beaucoup fait sourire. Elle m’a rappelé un souvenir de mes études, mon premier cours de littérature en première, c’était aussi la première fois que j’étais assis derrière celle qui est aujourd’hui ma femme. Nous avions face à nous un colosse, un professeur qui faisait partie de ces sentinelles qui n’avaient pas abdiqué le fait de transmettre en refusant la dictature du nivellement par le bas héritée de la période Mitterrand-Lang. Il avait commencé son cours par un livre: Pour en finir avec le Moyen Âge. Écrit par Régine Pernoud, il rappelait tout ce que la France devait à cette période. Une époque qui a été capable de produire tout à la fois Notre-Dame de Paris et l’Agneau mystique de Van Eyck qui inscrit les racines chrétiennes au cœur de la civilisation européenne n’est sûrement pas une époque qu’il faut renier. La Renaissance ne fait pas table rase du passé. C’est l’inverse. C’est une période pendant laquelle Ronsard, Du Bellay, Louise Labé vont puiser la source de leur créativité dans la redécouverte de la culture antique. «Mignonne, allons voir si la rose…», fameux sonnet, est en réalité inspiré d’un poète latin. La Renaissance nous dit donc que si on veut construire sa vitalité on ne peut le faire en détruisant son histoire ni ce que l’on est. Quand le président de la République parle de «déconstruire l’histoire de France», quand il dit qu’il «n’y a pas de culture française», il n’est pas dans la compréhension profonde de ce qu’a été la Renaissance.
Quel est le danger de cette métaphore?
Le vrai danger, c’est de faire croire que cette Renaissance va succéder toute seule, naturellement, au Moyen Âge, sans le moindre effort. Je ne le crois pas et je considère même très dangereux de le faire croire. Ma conviction, c’est que la prochaine élection présidentielle sera un rendez-vous de civilisation. Ma conviction, c’est que la Renaissance ne viendra pas toute seule. Ma conviction, c’est qu’aujourd’hui on n’est pas du tout dans une époque de Renaissance, mais dans une potentielle époque de déconstruction de la France. La question qui se pose pour nous est donc: comment réparer la France? Comment faire en sorte que la France reste la France, qu’elle retrouve son énergie et sa vitalité dans la réaffirmation de ce qu’est notre civilisation?
« Ce qui est au cœur de mon engagement, c’est la conviction qu’il n’y a jamais de fatalité, qu’on peut toujours arrêter le déclin et que le génie français c’est précisément, même au cœur des périodes les plus sombres, d’être capable d’aller chercher l’espoir »
Que voulez-vous dire?
On est entré depuis un certain nombre d’années dans une période où on descend les marches de l’escalier du déclin. Chaque étape va un peu plus loin dans la déconstruction du modèle français. Je refuse l’idée qu’on s’achemine vers un point de non-retour à partir duquel les fils du génie français se seraient à ce point dénoués que nous nous serions perdus. Ce qui est au cœur de mon engagement, c’est la conviction qu’il n’y a jamais de fatalité, qu’on peut toujours arrêter le déclin et que le génie français c’est précisément, même au cœur des périodes les plus sombres, d’être capable d’aller chercher l’espoir. C’est le génie de Bouvines et de Valmy, c’était l’intuition littéraire de Musset, c’est aussi, pour prendre un exemple récent dans un contexte de compétition mondiale sans merci, la capacité d’un groupe comme Dassault Systèmes de faire germer une des plus belles créations françaises en termes de savoir-faire, d’activité et d’innovation de ces dernières années. L’espoir n’est jamais perdu! C’est la caractéristique de la France. Mais, à un moment, il faut agir, il faut arrêter de s’aveugler, et faire ce choix profond de Péguy: voir, avoir le courage de dire ce que l’on voit, pour pouvoir faire.
À quand faites-vous remonter ce déclin de la France?
Pour moi, il commence, et Georges Pompidou l’avait très bien compris, en 1968. Après Mai 68, on substitue, à la volonté de transmettre des repères et des valeurs, une démarche de déconstruction avec pour seul horizon le consumérisme. La seconde étape du déclin est le décrochage économique enclenché par François Mitterrand avec une succession de décisions absurdes comme la retraite à 60 ans, quand tous les autres pays faisaient l’inverse, la mise en place du système de l’assistanat avec le RMI, la spirale diabolique de la dette publique. La gauche l’a fait, la droite a été incapable de le corriger. Il y a vingt ans, la France avait moins de dette, moins de chômage, et un excédent commercial supérieur à l’Allemagne. Aujourd’hui, nous avons le plus faible niveau de travail par habitant dans l’Union européenne, le plus d’impôts de l’OCDE, nous avons détruit le plus d’emplois industriels, le déficit commercial le plus important en Europe et les résultats parmi les pires de toute l’Europe en enseignement des mathématiques et de la lecture. Toute l’histoire de ma famille et de mon engagement, c’est le refus du déclin. Je viens d’une famille d’entrepreneurs dans les tanneries et le textile, qui se sont battus jusqu’au bout face à la concurrence chinoise ; mes grands-parents me disaient: «Si tu fais de la politique, fais-le pour arrêter le déclin.»
Comment la France peut-elle surmonter ce déclin?
Il faut un changement complet d’approche. Il faut en finir avec les programmes qui comprennent des centaines de mesures, se concentrer sur quelques priorités simples avec quelques repères, quelques valeurs de bon sens mais appliquées de manière extrêmement déterminées. Il y a pour moi trois priorités fondamentales:
– Le travail. C’est la valeur cardinale d’un pays. Il faut le revaloriser. Ce ne sont pas les Français qui ont perdu le sens du travail, c’est le travail qui a perdu son sens avec le développement de l’assistanat. Il faut faire l’inverse. Je me bats depuis des années, j’ai été attaqué pour avoir dénoncé le «cancer» de l’assistanat, je n’ai jamais lâché sur ce sujet. C’est le mal central de notre pays. Pour le corriger, il faut plus de liberté à l’intérieur de notre pays et plus de protection à l’extérieur. Il faut favoriser une logique de souveraineté et de travail permettant de valoriser ce qui est produit en France.
– L’argent public. Il n’y a pas d’argent magique, encore moins de «quoi qu’il en coûte». On ne peut pas parler de développement durable si la première chose que l’on fait est de laisser une dette énorme à nos enfants. En cinq ans, dans notre région, on a montré qu’on était capable de faire des économies. On a fait d’Auvergne-Rhône-Alpes la région la mieux gérée de France: aucune augmentation d’impôts, une baisse très importante des dépenses de fonctionnement. Il ne peut y avoir de baisse de la fiscalité sans baisse de la dépense publique. Il n’y a pas de miracle.
– L’immigration. L’issue est très claire: il faut arrêter l’immigration le temps d’assimiler ceux qui sont chez nous. Si on continue à accueillir chaque année des records de réfugiés, d’immigration clandestine, sans réagir, il sera impossible d’intégrer. J’insiste sur un point: tout ceci n’est pas insurmontable. Cela nécessite juste de se concentrer sur quelques sujets, de faire preuve de bon sens et de détermination. Nous avons montré dans nos régions que c’était possible de le faire, sans mettre le pays à feu et à sang.
« La démocratie, plus qu’aucun autre régime, exige l’exercice de l’autorité »
Saint-John Perse
Comment restaurer l’autorité de l’État?
Il y a une très belle phrase de Saint-John Perse qui dit: «La démocratie, plus qu’aucun autre régime, exige l’exercice de l’autorité.» C’est profondément juste. Quand on se pose cette question, quand on a arrêté un délinquant, c’est déjà trop tard. L’autorité, ça veut dire qu’on ne cède pas face aux zadistes. L’autorité, ça veut dire qu’on ne négocie rien sur l’autorité du professeur. L’autorité, ça veut dire qu’on ne va pas en Algérie pour s’excuser de l’histoire française. L’autorité, ça veut dire qu’on ne commémore pas Napoléon ou Colbert avec une pince à sucre en s’excusant d’honorer les héros de notre mémoire. L’autorité, ça veut dire que l’État ne renonce pas à appliquer ses propres lois et ne démissionne pas face aux activistes pro-immigration clandestine. L’autorité, ça veut dire qu’on ne laisse pas les puissances étrangères financer les mosquées sur notre territoire. Tout abandon, toute concession lézarde l’édifice de l’autorité. C’est un ensemble qui permet de donner du poids à la parole politique, de lui donner du crédit, de l’autorité. Tout petit recul se traduit à l’arrivée par des fissures que l’on n’arrive plus à colmater. Le sursaut commence par assumer le mot même d’autorité. Or, en ce moment, l’extrême gauche, les Verts et parfois même la République en marche veulent substituer à ce terme celui de résilience. Moi je crois à l’autorité.
Comment redonner confiance dans l’action politique, sur la sécurité?
Ma région est voisine de la Suisse. Ce n’est pas pour rien que Rousseau, en réfléchissant sur la démocratie française, s’est tourné vers le fonctionnement des cantons suisses. C’est un pays dans lequel on considère que la plus petite incivilité ne doit pas être tolérée, dans lequel la police est très présente, dans lequel on apprend le respect des règles de la vie en commun dès le plus jeune âge, à l’école primaire, et dans lequel les enfants ont des notes permettant de valoriser ceux qui respectent les règles communes. C’est un pays dans lequel on n’hésite pas à prononcer des sanctions pécuniaires immédiates pour tous ceux qui commettent des infractions. Alors que chez nous, on considère maintenant normal qu’on brûle des voitures le 14 juillet ou qu’on tire au mortier contre des gendarmeries ou des commissariats! C’est extrêmement reposant et rassurant de voir qu’il n’y a pas de fatalité à l’installation de la délinquance et de l’insécurité. C’est une leçon pleine d’espoir donnée par la Suisse. Il faut donc des amendes dès la première incivilité, une suppression des aides pour ceux qui ne respectent pas les lois de la République, ce que nous sommes en train de mettre en place dans ma région, l’expulsion des étrangers qui ne respectent pas notre mode de vie, un soutien total à nos forces de l’ordre. Ce qui n’a pas toujours été le cas, notamment quand le président de la République a repris le terme de «violences policières». À force de capitulations successives, on a laissé s’installer l’idée, qu’au fond, il n’y avait rien à faire. C’est faux. Des pays arrivent à tenir une concorde civile, une vie en commun et un respect des règles.
« La droite doit arrêter de renoncer à ce qu’elle est »
Comment faire revenir l’électorat de droite parti chez Macron voire chez Le Pen?
La droite doit faire très attention. La question n’est pas de prendre des postures de tactiques politiciennes en essayant de draguer un coup LREM, un coup le RN. Il faut se situer au niveau de l’engagement que je rappelais: le rendez-vous de civilisation de la présidentielle de 2022. Les électeurs attendent de la droite qu’elle porte l’intégralité de ses idées. Vous savez à quel point je me suis toujours battu sur cette ligne: la droite doit arrêter de renoncer à ce qu’elle est. La droite française est attendue sur l’économie et sur le régalien. Je ne suis pas intéressé en soi par le fait que la droite gagne cette présidentielle. Si c’est pour proposer un quinquennat radical-socialiste, ça n’a aucun intérêt ; nous ne ferons que descendre une marche de plus dans l’histoire du déclin français. Les derniers présidents de la République ont été élus par opposition à leur adversaire:Hollande contre Sarkozy, Macron contre Le Pen. Il est temps de retrouver un président de la République élu sur la base d’un projet. Pour moi, ce projet est très clair: il faut réparer la France.
Valérie Pécresse vient d’annoncer au Figaro sa candidature à la présidentielle , quand annoncerez-vous à votre tour la vôtre?
Un espoir s’est levé avec les élections régionales. Le danger est de se retrouver à nouveau à être la droite la plus bête du monde, rongée par ses divisions. J’en ai payé le prix. Je l’ai toujours assumé en restant fidèle à ma famille politique. J’ai fait, à l’approche de cette échéance présidentielle, le choix du collectif. Je veux tenter jusqu’au bout cette chance de pouvoir rassembler. C’est ce qui nous amène à travailler ensemble avec Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, Michel Barnier. Toute candidature précipitée n’aide pas au collectif. C’est dans cet ordre, le collectif, puis la candidature, qu’il faut faire les choses.
Que dites-vous à Xavier Bertrand qui ne veut pas entendre parler de cette primaire?
S’asseoir ensemble, débattre ensemble, gagner ensemble, ça n’est pas une option, c’est un devoir pour tout le monde.
«J’ai fait le choix du collectif», assure Laurent Wauquiez, ici avec Philippe Juvin, Michel Barnier, Valérie Pécresse, Bruno Retailleau, le 20 juillet. LUDOVIC MARIN/AFP
«L’attente, et le doute, sont immenses chez les électeurs»
Quelles leçons avez-vous tirées des résultats du premier tour des régionales et départementales?
Elles ont montré qu’il y avait une immense attente à droite. Et un espoir de ne pas enfermer la démocratie française dans un faux choix, coincée entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen. Elle impose donc une grande responsabilité à tous les élus de la droite. Dans ma région Auvergne-Rhône-Alpes, je n’ai pas seulement voulu gagner, j’ai voulu gagner sur un cap clair. Avec des valeurs assumées, sur la sécurité, sur la bonne gestion de l’argent public, sur le travail, sur le refus du communautarisme. J’ai voulu que ces valeurs se traduisent en paroles tenues et en actes. Ce résultat montre aussi la force d’une politique qui se construit à partir du terrain dans une capacité à faire avancer vraiment les choses, par contraste avec un pays étouffé par un centralisme parisien. Gagner une élection n’est pas un but. Gagner avec une vision politique, une capacité à montrer que la politique est encore capable de faire des choses, voilà ce qui compte.
Comment expliquer l’abstention élevée malgré les enjeux?
Il faut être lucide. En même temps qu’il y a une immense attente, il y a un immense doute. Celui-ci s’explique par un effondrement moral de la politique. L’écrivain russe Gogol parlerait d’âmes mortes: des politiques trahissent, changent de conviction, se vendent pour des postes. À l’approche de scrutins, des personnalités opèrent des virages surprenants sur le plan des idées: au lendemain des municipales, certains se sont remis à peindre en vert la totalité de leur programme ; à l’approche de la présidentielle, certains bombent le torse sur la sécurité et l’immigration, les mêmes qui, il y a trois ou quatre ans, fustigeaient le moindre propos un peu lucide sur ces questions. La réponse à l’abstention passe par des personnalités solides et constantes. C’est sans doute une des leçons que j’ai apprises dans les épreuves: dans ces moments, il y a toujours la tentation de se renier, de se soumettre aux nouvelles modes médiatiques, d’aller un peu plus dans le sens du vent. J’ai appris au contraire l’importance d’être dans la défense de ses idées, dans la durée et dans le maintien de ses convictions. Ce que Churchill disait très bien: «de la constance, dans la victoire comme dans l’adversité ». C’est cette colonne vertébrale qui manque aujourd’hui à la politique.
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