Le pape recadre les traditionalistes, craignant la formation d’une Église dans l’Église. Les compromis de Benoit XVI visant à apaiser le climat entre les différentes sensibilités catholiques sont remis en cause de manière absurde. Analyse.
Vendredi 16 juillet, le Vatican a rendu public un motu proprio, du titre de « Traditionis custodes » (Gardien de la Tradition), qui a suscité de vives réactions dans le monde catholique. Un motu proprio, tout d’abord, est un texte législatif, qui vise à organiser l’Église et son fonctionnement. Comme son nom latin l’indique « de mon propre mouvement », il est émis par le pape lui-même et retranscrit donc son entière volonté.
François met fin à un certain esprit de concorde avec les “tradis”
Si cet acte a suscité tant de réactions, c’est qu’il touche au sujet sensible de la messe traditionnelle et qu’il revient sur un autre motu proprio, émis celui-là par Benoit XVI, en 2007, qui avait déjà en son temps fait fortement parler de lui. Depuis le concile Vatican II et la réforme de la liturgie, le rite traditionnel dit extraordinaire ou tridentin – soit la messe en latin – avait été remplacé, ce qui avait créé de fortes contestations. En réaction, Monseigneur Lefebvre avait créé la Fraternité Saint Pie X, qui l’utilise encore. Par la suite, d’autres communautés traditionalistes furent créées, notamment celles dite « Ecclesia Dei ». Leur situation demeurait précaire, car, malgré leur succès, leur état canonique demeurait assez flou. Benoit XVI, qui se distinguait par son esprit de concorde, avait publié en 2007 le motu proprio « Summorum Pontificum », qui, d’une part, reconnaissait entièrement le rite tridentin et le droit de tout prêtre de le célébrer, et, de l’autre, réservait l’autorisation de la célébration au curé du lieu, et non à l’évêque (une bonne part de ces derniers, tenants à divers degrés du courant « moderniste » se montrant résolument hostiles aux « tradis »).
Les nouvelles dispositions de François abrogent complètement celles de Benoît XVI. Le droit d’autoriser les célébrations traditionnelles est réservé à l’évêque, tandis que les prêtres qui souhaiteraient continuer à célébrer l’ancien rite doivent en faire la demande expresse à leur évêque, tandis que pour les prêtres ordonnés après promulgation de ce motu proprio, une consultation de Rome devient nécessaire ! Enfin, il est demandé aux évêques de ne plus accorder des paroisses personnelles aux communautés traditionnelles et de « vérifier » l’opportunité de maintenir celles existant déjà.
Une décision aux justifications profondes
On comprend aisément quelle est la conséquence attendue de ces nouvelles mesures extrêmement étouffantes : la disparition progressive de la forme traditionnelle et des communautés qui y sont attachées. Dans une lettre jointe au texte, le pape François explique aux évêques ses raisons. Ses actes semblent alors bien plus menés par une volonté disciplinaire que doctrinale. Aux oubliettes les considérations de Benoit XVI, le pape théologien, sur « l’enrichissement mutuel » des deux rites et « les justes aspirations » de ceux qui sont attachés à la messe tridentine. François, ici, préfère fustiger sévèrement ceux qui se prennent pour « la vraie Eglise » et n’acceptent pas sa ligne. En tant que garant de l’unité de l’Église, il met au pas ceux qu’il estime sortir du rang. Il prend toutefois le risque de jeter hors de l’Église une partie des fidèles, que l’on présente comme minoritaire, certes, mais très active et dynamique.
En fait, les raisons véritables sont plus profondes. Les communautés traditionalistes -malgré ce que le texte pourrait laisser entendre – sont extrêmement dynamiques. Leur croissance est régulière, leurs églises, peut-être minoritaires à l’échelle de l’Église, sont pleines et se multiplient. Elles sont remplies de familles jeunes et nombreuses qui leur assurent un avenir et laissent présager que leur poids sera de plus en plus important dans l’Église de demain. Du côté des vocations religieuses, elles sont également proportionnellement bien plus dynamiques : certaines années, presque 25% des ordinations, en France, peuvent concerner ces communautés. Des communautés religieuses, ainsi que des actions nombreuses à destination des fidèles (écoles, catéchisme, camps de jeunes…) viennent compléter le tableau. En outre, elles ont une activité missionnaire non négligeable, et attirent un nombre croissant de catholiques, jeunes et pas forcément pratiquants, qui cherchent dans ce rite une sacralité plus profonde. On le remarque d’ailleurs notamment chez les jeunes prêtres et séminaristes diocésains, qui s’y intéressent de plus en plus. Chez cette génération, tant laïcs que clercs, il existe un enrichissement de la forme ordinaire par la forme extraordinaire.
Des communautés perméables aux discours identitaires ?
C’est peut-être le réel fond du problème. Une phrase de la lettre pontificale, est, à cet égard, révélatrice. Le pape indique qu’il agit à « la demande » des évêques. En effet, en France particulièrement, a été rendue par la conférence des évêques de France une enquête sur l’application du motu proprio, qui en dressait un constat apocalyptique. À la croire, les églises seraient vides – mais dans le même texte ils s’inquiétaient que leurs prêtres et les jeunes de leurs diocèses soient tentés par ce rite – les communautés seraient composées de vieux nostalgiques, les prêtres seraient mal formés et ces communautés seraient d’ailleurs perméables aux discours identitaires…
Malgré les apaisements de Benoit XVI qui avaient permis une relative cohabitation, certains conflits doctrinaux, relatifs à Vatican II ne sont pas réglés. Les tenants du courant moderniste, en relative perte de vitesse, mais qui occupent encore les postes de direction, se sentent menacés par la croissance du mouvement traditionaliste. Ils contre-attaquent pour imposer leur ligne, pourtant dénoncée par les critiques comme responsable de l’effondrement de la pratique religieuse, n’hésitant pas ainsi à persister dans l’échec. Les attaques sur les questions identitaires, dans le rapport des évêques, ne sont pas anodines. C’est l’Église du « sans-frontiérisme », celle qui valide l’immigration de masse et ne s’oppose pas à l’islamisation de l’Europe qui s’attaque à l’Église traditionnelle. En quelque sorte, c’est l’Église de la synodalité, du décolonialisme et du paupérisme, face à l’Église du sacré, de l’identité chrétienne assumée et de l’évangélisation. Les « tradis » sont certes encore minoritaires, mais on ne leur pardonne pas leur succès, qui montre l’échec du projet ecclésial élaboré dans les années 60. Les évêques (qui viennent d’ailleurs de valider le passe sanitaire) ont été, dans leur grande majorité, particulièrement inactifs durant la crise Covid face aux mesures empêchant le culte public. Signe de leur vitalité, ce sont les « tradis » que se sont mobilisés. Cela ne leur a pas été pardonné.
Un pape peu concerné par le destin de l’Europe
Quoiqu’il en soit, ce motu proprio a surpris les mouvements traditionnels qui y ont vu le retour de la « guerre liturgique ». Or ces communautés, organisées, nombreuses et motivées, profondément attachées au rite traditionnel, n’envisagent pas un docile retour dans les rangs comme semble le vouloir le texte. Depuis une semaine, les déclarations s’enchaînent, réaffirmant la plupart du temps leur fidélité à Rome, mais s’inquiétant pour l’avenir. Les cartes sont dans les mains de l’épiscopat, qui peut choisir de complètement marginaliser les « tradis », ou alors, plus courageusement, de les soutenir. On sait que le courage dans l’ordre épiscopal est une vertu assez rare… Quoi qu’il en soit, le pari papal ne risque guère d’être couronné de succès.
Pour un texte qui voulait garantir l’unité de l’Église, on peut s’interroger sur sa réussite. À moins que le projet soit de jeter complètement les communautés traditionalistes en dehors de l’Église ? On sait que le sud-américain François est très préoccupé par les questions sociales et assez peu par les questions liturgiques. On sait qu’il connaît mal l’Europe, ne se sent que peu concerné par la question de son identité chrétienne et est peu lucide sur l’islam conquérant. Mais tout de même. L’image de l’Église est entachée et la pratique s’effondre. Le recteur de Notre-Dame, Mgr Chauvet, soulignait que depuis la fin du premier confinement, on constatait une baisse d’environ 30% des fréquentations dominicales. Les caisses des diocèses sont vides (encore une fois, suite au confinement, la baisse des dons a été catastrophique). Alors quel est l’intérêt de se débarrasser d’une partie du clergé et des fidèles parmi les plus jeunes, formés et engagés, et de se couper de certaines de ses communautés les plus dynamiques ? Un aveu de faiblesse ?