Mohammed al-Halboussi (sunnite) est le président du Parlement irakien, un des trois piliers du pouvoir aux côtés du premier ministre (chiite) et du président de la République (kurde). Il a répondu au Figarolors de sa visite en France, la semaine dernière.
LE FIGARO. – Daech représente-t-il toujours une menace pour l’Irak?
Mohammed AL-HALBOUSSI. – Certainement. Daech est d’abord une idéologie. Nous l’avons vaincue militairement, mais sa pensée demeure. L’État islamique, qui a encore des cellules dans le désert, peut revenir dans les villes. Pour l’anéantir, il faut continuer de lutter contre les raisons de son émergence. Nous devons poursuivre les bandes armées de Daech et en même temps renforcer les forces de sécurité irakiennes, sans oublier d’améliorer la situation économique pour que la population trouve du travail et voit le bout du tunnel. Dans ce combat, nous avons besoin des amis de l’Irak.
Comment évaluez-vous le danger posé par les milices chiites pro-iraniennes, qui défient l’autorité de l’État et attaquent les soldats américains?
Elles constituent un autre danger. C’est l’État qui doit nous gouverner, pas une tendance sectaire. Si on permet à une tendance sectaire de gouverner ou de détenir des armes, ses victimes chercheront à leur tour à s’en doter, et on retombera dans les erreurs du passé avec Daech.
L’État et le premier ministre Moustapha al-Kazemi, ont-ils les moyens de lutter contre ces milices?
L’État n’a pas les moyens de lutter contre les milices qui ne lui obéissent pas. La capacité d’action de nos forces de sécurité n’a pas été suffisamment renforcée depuis notre victoire contre Daech en 2017. La raison d’être de ces milices, qui ont participé à la guerre contre Daech, est de protéger les régions où elles sont déployées. Elles y trouvent le soutien de certains partis politiques et d’acteurs hors de nos frontières. Elles prétendent poursuivre Daech, ce qui est parfois vrai. Mais dans certaines parties du territoire, comme dans la région d’al-Anbar, elles sont là, en fait, pour soutenir le régime syrien.
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Nous n’avons besoin d’aucune force en dehors de celles sous l’autorité de l’État. La stabilité d’un Irak souverain ne peut se concevoir que sous le drapeau irakien. Quant au premier ministre, il a besoin de temps et de soutien. Les problèmes de l’Irak sont liés à la situation régionale: leur solution requiert une solution pour toute la région.
Les négociations entre l’Iran et l’Arabie saoudite qui se sont tenues à Bagdad ont-elles eu des conséquences positives pour l’Irak?
Pour l’instant, il n’y a pas eu d’impact, ni positif, ni négatif.
Quelles retombées attendez-vous d’un accord américano-iranien sur le nucléaire à Vienne?
C’est une question très importante. Il faut absolument que le dossier irakien soit intégré aux négociations entre l’Iran et les grandes puissances. Les accrochages entre l’Occident et l’Iran se produisent souvent en Irak. Pourquoi l’Irak serait-il exclu des discussions entre les deux parties? Que l’Irak soit présent aux négociations ou alors qu’on éloigne l’Irak des problèmes de la région!
Avez-vous constaté un changement de comportement de l’Iran en Irak depuis la mort de leur chef militaire Qassem Soleimani à Bagdad?
La politique iranienne ne dépend pas d’une personne. Peut-être que Soleimani jouait un rôle plus grand que son successeur parce qu’il avait une expérience et une connaissance profondes des politiciens irakiens. Mais l’Iran, qui opère à partir d’un système, conserve une grande influence en Irak. Le monde, à commencer par les États-Unis de George Bush en 2003, lui a laissé jouer ce rôle. Aujourd’hui, les pays arabes voisins de l’Irak pensent que leurs intérêts chez nous sont limités. Mais un Irak fort, c’est une protection pour toute la région. Tout dommage contre ce rempart est une catastrophe pour ses voisins. Avant de s’étendre au Moyen-Orient, le terrorisme de Daech a commencé en Irak, et les problèmes sectaires aussi.
Après le vote au Parlement d’une loi demandant le départ des troupes américaines d’Irak et un début de retrait, le reliquat des forces américaines va-t-il rester?
Les députés sunnites et leurs homologues kurdes, dont les régions étaient sous l’influence directe de Daech, n’ont pas voté le retrait des forces américaines. L’Irak a encore besoin des forces américaines et de la coalition internationale anti-Daech. Aujourd’hui, tout retrait non calculé de cette coalition aggraverait la menace d’un retour de Daech dans certaines régions. Nos frères chiites ont des armes.
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Ils croient qu’avec ces armes, ils peuvent affronter les menaces. Mais nous, dans les régions libérées de Daech, nous sommes une population désarmée. Nous cherchons notre sécurité via l’État, la coalition internationale et nos amis. Mais nous craignons que l’arme des autres soit utilisée à la place de l’État.
L’Otan peut-elle remplacer les États-Unis militairement?
J’ai entendu parler de cette proposition. Quelle que soit sa forme, une présence internationale renforce la sécurité dans la région. Nous n’acceptons pas de laisser le terrain aux forces étrangères non désirées ou à d’autres que l’État irakien. L’Irak est composé de chiites, de sunnites et de Kurdes. Les Kurdes ont leur région autonome, ils ont une sécurité autonome. Leur autonomie peut être un modèle pour les sunnites. Les chiites ont leurs troupes et leurs armes, alors que les sunnites sont une population désarmée dans un Moyen-Orient majoritairement sunnite. Je n’appelle jamais les sunnites à s’armer, mais je refuse de vivre dans une situation où l’arme est portée par d’autres. Les sunnites cherchent la paix. Mais l’oppression dont ils sont victimes peut déboucher sur une explosion.
Qu’attendez-vous de la France?
J’attends que la France soutienne l’Irak militairement et économiquement et qu’elle renforce sa présence. L’Irak a besoin d’être aidé par ses amis. Nous avons des projets dans le domaine des services et de l’énergie, nous avons besoin de l’expérience française. J’ai demandé à la France de soutenir un Irak fort. Il n’y aura pas de solution au Moyen-Orient sans un soutien à un Irak fort, en tant qu’État.