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Dans un récent éditorial, le journal le Monde appelait à des sanctions
Quand une église brûle, le journal de la gauche regarde ailleurs. Par Didier Desrimais–
Le Monde demande dans son éditorial du 2 octobreque des « sanctions lourdes » soient prises contre CNews et Éric Zemmour. Tronquant les propos de ce dernier, utilisant les adjectifs les plus sombres (abject, raciste, multirécidiviste, haine, etc.) – qui sont d’ailleurs ceux que le quotidien n’utilise qu’avec la plus extrême parcimonie quand il s’agit de certains individus criminels dont il peine même à indiquer les prénoms – Le Mondeveut la peau de Zemmour. Il n’est pas le seul.
Eric Zemmour se rit des critiques du “Monde”. Il voit l’audience de son émission progresser et poursuit la bataille des idées © Jacques Witt/SIPA Numéro de reportage: 00893237_000004.
France Inter aussi veut la peau de Zemmour. Sonia Devillers l’a ouvertement réclamée au président du CSA, lors d’un tout récent entretien. Rokhaya Diallo réclame la peau de Zemmour, avec des trémolos dans la voix quand elle s’adresse à Christine Kelly. Daniel Schneidermann aussi veut la peau de Zemmour, mais ce n’est pas nouveau. Le journal Libérationveut la peau de Zemmour. Certains Conseils départementaux réclament la peau de Zemmour. Bref, à l’heure où l’on discute du bien-fondé ou non de la chasse à courre, tous les plus « farouches partisans du débat démocratique » sonnent l’hallali et veulent voir la peau de Zemmour leur servir de descente de lit.
En vérité, à l’instar du « pur » sociologue Saint Just de Geoffroy de Lagasnerie, tout ce petit monde veut « reproduire un certain nombre de censures dans l’espace public, un espace où les opinions justes prennent le pouvoir sur les opinions injustes ». Aux justes et aux purs, il faut des figures contraires, des monstresqui justifient l’opération de décapitation des têtes qui dépassent. Zemmour remplit ce rôle.
Il a été rappelé dans ces colonnes que Zemmour, tout outrancier qu’il puisse être, dit des choses qui sont parfois difficiles à contredire. Il dit ce que certains Français vivent tous les jours. Ces Français-là excusent le ton polémique du bretteur parce qu’ils ont l’impression que quelqu’un dans les médias parle enfin de la réalité.
Les journalistes de Téléramarêvent de faire taire celui qu’ils qualifient de « polémiste multirécidiviste ». Le CSA est appelé à remplir ses fonctions sociales sacrificielles vertueuses!
Lorsqu’on a le désir de suivre de près toutes les tendances progressistes de notre époque, il est des journaux sur lesquels il ne faut pas hésiter à se pencher de temps à autre. Il y a Libération (un trésor). Il y a Les Inrocks(une mine). Et il y a, de plus en plus souvent, Télérama.
Ce 27 janvier, la newsletter TéléramaSoiréetitre : « Plaintes devant le CSA, Zemmour vole la vedette à Hanouna. » Le journal précise que le CSA a reçu plus du double de saisines en 2019 comparé à 2018. Grâce à qui, selon le magazine télévisuel ? Grâce au « polémiste multirécidiviste et multirepris de justice » Éric Zemmour (alias « l’icône des réacs »). Il y a un lien qui mène tout droit à l’article du journaliste, Étienne Labrunie, pour ceux qui aimeraient approfondir l’épineux sujet. Comme j’ai un peu de temps devant moi, je m’y rends.
J’apprends d’abord que, contrairement à ce que laisse supposer la newsletter téléramesque, ce n’est pas Zemmour qui a décroché la timbale, mais… Christine Angot. C’est elle qui détient les meilleurs scores de dénonciations auprès du CSA suite à ses propos sur l’esclavage dans l’émission On n’est pas couché(5600 saisines). Elle est suivie de près par une chronique dans La Matinalede LCI qui décrétait que « Non, les profs ne sont pas mal payés ! » (4700 saisines). De justesse Éric Zemmour grimpe donc sur la 3ème marche du podium avec 4300 saisines pour ses propos sur le général Bugeaud, suivi de très très près par Frédéric Fromet pour sa chansonElle a cramé, la cathédrale, braillée sur France Inter (4000 saisines). Comme cet humoriste a refait dernièrement parler de lui en appelant à la sodomisation de Jésus au milieu des ricanements de journalistes franceintéristes, nous devrions le voir prochainement monter sur le podium ! Nous ne savons pas encore ce que Téléramafera de cet athlète, ni quels adjectifs l’hebdomadaire lui accolera (icône des bouffeurs de cathos ? chanteur vulgaire multirécidiviste ?..). Pourtant, c’est « Zemmour(qui) déchaîne les compteurs de l’instance »… sous-titre en début de paragraphe le vigilant journaliste qui regrette que le « polémiste » ait toujours une tribune sur CNews. Liberté d’expression, quand tu nous tiens !
Mise au point rapide : on peut ne pas partager toutes les opinions ou analyses de Zemmour. On peut ne pas partager celles de Badiou (exemple extrême). Je ne suis pas sûr d’adhérer à quelque idée que ce soit de nombre de personnes auxquelles, pourtant, j’aimerais que reste acquise la possibilité de s’exprimer.
Zemmour est devenu ce qu’on peut appeler un bouc émissaire. Téléramaen a fait sa tête de Turc préférée (cette expression sera bientôt interdite, profitez-en !)
Un bouc émissaire, ça sert à quoi ? Si je veux en croire René Girard, ça sert d’abord à se ripoliner la conscience et à neutraliser la violence d’un groupe. J’en tue un pour qu’on ne s’entretue pas tous. Il faut par conséquent mettre en scène un sacrifice, la ritualisation du meurtre (symbolique) d’un d’entre nous qui remplira quand même quelques conditions préalables :
– la victime doit être à la fois assez distante du groupe pour pouvoir être sacrifiée (personne ne doit se sentir visé par cette brutalité) et assez proche pour que la catharsis fonctionne.
– le groupe doit ignorer que le bouc émissaire est innocent (par tous les moyens possibles, jusqu’au déni de la réalité, jusqu’au mensonge, jusqu’à la surcharge accusatrice).
– le bouc émissaire doit présenter des qualités ou défauts extrêmes : riche/pauvre, vice/vertu, intelligence/débilité, force/faiblesse.
– la victime doit être en partie consentante.
Je vous laisse regarder de près si Zemmour remplit toutes les conditions requises pour être une presque parfaite « victime expiatoire » ou bouc émissaire. J’ai ma petite idée mais je ne veux influencer personne.
Le sacrifice a donc deux vertus essentielles : il libère l’agressivité collective et il ressoude la communauté autour d’une paix retrouvée – mais toujours fragile, d’où la nécessité de reconduire régulièrement l’opération sacrificielle. René Girard analyse ce phénomène en reconnaissant que s’il est pragmatiquement efficace, il est moralement scandaleux parce qu’il repose sur un mensonge collectif (ou déni de réalité) qui arrange le groupe. Il faut un coupable. Un seul, pour que le groupe agressif et tout aussi coupable puisse se « nettoyer ».
C’est pourquoi le CSA, comme tout organe réceptacle de toutes les dénonciations et délations possibles, a de beaux jours devant lui : groupes ou communautés (national, politique, LGBT, féministe, animaliste,…) ne peuvent suppléer leur agressivité revendicatrice et identitaire que par de nombreux sacrifices dont ils sont les initiateurs. Il est à craindre que la ritualisation d’une mise à mort symbolique passant rapidement de mode (et croulant sous le nombre – 70 000 plaintes auprès du CSA en 2019 !), des moyens de moins en moins symboliques et de plus en plus expéditifs soient employés par tous ceux qui pensent être les détenteurs de la Vérité. Ça s’est déjà vu – à petite échelle cela conduit régulièrement à la chambre correctionnelle, au limogeage, à la mort sociale. À grande échelle, ça a porté les jolis noms de Révolution culturelle ou deGrandes purges.
Alors que je finis d’écrire ce papier, je tombe sur celui d’Olivier Milot, toujours dans Télérama, même jour, même newsletter, intitulé Les propos racistes et antisémites en forte augmentation, et Zemmour est toujours sur CNews.(sic) C’est superbe ! En quelques lignes le journaliste nous rappelle que les « faits racistes et xénophobes » et les « faits antisémites » ont fortement progressé, et que, pourtant, CNews continue d’employer Zemmour. « Difficile de ne pas faire le rapprochement », nous assène Olivier Milot dans un raccourci fulgurant et d’une hauteur de vue stratosphérique.