Allure de big-bang au Maghreb. En deux tweets, le président des États-Unis a modifié la physionomie politique de la région. Le dix décembre, à 5 : 9 PM, @realDonaldTrump a indiqué qu’il venait de signer « la proclamation de la reconnaissance de la souveraineté marocaine au Sahara occidental ». Une minute après, l’impétueux nous a appris que « nos deux grands amis Israël et Maroc rétablissaient leurs relations diplomatiques ». Peu après, le cabinet du roi Mohammed VI a confirmé et livré une plus ample explication. Le Maroc a ainsi engrangé une importante victoire diplomatique. Celle-ci couronne un cap et une attitude. Dans les capitales voisines, c’est la stupeur. Le statu quo qui fige la région depuis des décennies vient de valser.
Un tabou peut en cacher un autre
Sur le papier, l’annonce des liens renoués entre Tel-Aviv et le Royaume chérifien semble la plus spectaculaire. Pourtant, l’accord sur le Sahara occidental est beaucoup plus significatif. Dans ce conflit sans horizons, toutes les médiations s’étant avérées ineptes, le contexte a été utilisé à plein. Le président Trump, sur le départ, souhaite laisser son nom dans l’Histoire avec son plan de paix pour le monde arabe. Jared Kushner, son gendre, et Mike Pompéo, son secrétaire d’État, n’ont pas lésiné pour tenter d’obtenir l’accord de certains pays.
Des Émirats à Bahreïn, on a noué des liens avec Israël. Le tabou nommé Israël n’a pas été cassé comme un simple vase de Soissons par Rabat. Le communiqué du cabinet royal a réitéré son soutien à la Palestine, prônant une solution à deux États, précisant que l’accord serait circonscrit à trois points : des vols directs, des relations diplomatiques dans « les meilleurs délais », des relations innovantes en économie. L’annonce ne fait qu’officialiser des liens faussement distendus. Une inconnue : l’opinion publique, « la rue » comme on dit, qui est favorable à la cause palestinienne. Le contexte joue pleinement son rôle : le Covid-19 a durement frappé la région, les préoccupations sont économiques et sociales alors que la pandémie n’est pas maîtrisée.
En échange de cette promesse de fiançailles, une décision de poids : Washington reconnaît la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Une zone riche en phosphates dont 72 % des réserves sont au Maroc et au Sahara occidental, en ressources halieutiques aussi… De quoi provoquer la fureur d’Alger, mais en a-t-elle actuellement les moyens diplomatiques ?
Rabat utilise la situation figée en Algérie
« Alger est empêchée », dit-on avec pudeur. Hirak, Covid-19, le président Tebboune qui a disparu depuis plus de quarante jours : la puissance régionale qu’est Alger pâtit d’une gouvernance contestée dans la rue et d’un vide au sommet de l’État. Une situation fantomatique préoccupante quand on connaît le degré de concentration des pouvoirs à la présidence de la République. Une vacance qui coûte des points à la puissance régionale. Pour petit exemple, le dossier libyen. Ramtane Lamamra était pressenti pour devenir le haut représentant en Libye du secrétaire général des Nations unies. Le soft-power algérien n’étant pas au mieux, c’est un Bulgare très compétent qui fait figure de favori. Parmi les alliés, on déplore les absences algériennes.
Alors que le Maroc, sous la houlette de Mohammed VI, fait feu de plusieurs bois. Il a mis en place une diplomatie africaine qui parie sur le long terme. Accords commerciaux, infrastructures, hubs financiers, diplomatie religieuse : l’édification est méthodique. Ses rapports avec les Occidentaux sont de bon aloi. Ses dépenses militaires croissent de façon très importante depuis 2018. Des hélicoptères Apache, des tanks Abram ont été commandés aux Américains.
Quand Alger se caractérise par une mauvaise humeur récurrente, brandit sans cesse « la main de l’étranger », un recours au complot permanent, Rabat cultive ses bonnes relations, les jardine. Idem avec les pays du Golfe. Si le président Tebboune a disparu (aucune image officielle depuis la fin octobre), Mohammed VI est également peu présent en son Royaume. Certains Marocains s’amusent à compter le nombre de jours de présence de Sa Majesté sur le sol national. Les problèmes de santé du roi, pointés par un rapport parlementaire français, demeurent l’un des sujets les plus secrets du Royaume.
Il n’empêche que le Royaume fonctionne, utilise le contexte. Et le fait savoir. Les réactions dans les pays qui composent le Maghreb ont été de faible intensité, mis à part l’Algérie. Désormais, c’est un duel pour le leadership régional qui oppose les deux pays.