En 1981, vous aviez voté pour François Mitterrand. Pourquoi ce choix, d’autant qu’en 1988, vous avez réitéré, et j’emploie ce terme à dessein ? Sept ans de mitterrandisme ne vous avaient pas suffi ?
C’est tellement ancien, c’est étrange comme question… Déjà, en 1981, j’avais à peine plus de 20 ans, et, comme dirait l’autre, je ne laisserai personne dire que c’est le plus bel âge de la vie, parce qu’on est assez bête à 20 ans. De plus, il faut se replacer dans le contexte. À l’époque, le clivage était social et la question était celle de la répartition des fruits de la croissance. Certes, mon père avait voté pour de Gaulle en 1965, mais je venais d’une famille modeste, de ce qu’on appelle les « classes populaires », ce qui a joué lors de mon vote. Plus tard, c’est cette fibre sociale qui me fera pencher vers le « gaullisme de gauche » et me rapprocher de Philippe Seguin. En 1988, j’avais fait un vote plus personnel. J’avais l’impression – à tort d’ailleurs – que François Mitterrand avait plus la stature d’un homme d’État que Jacques Chirac. De plus, je n’étais pas du tout séduit par le discours thatchérien de Chirac, lequel m’inspirait d’autant moins confiance qu’il avait renoncé, après « l’affaire Malik Oussekine », aux réformes du droit du sol, du Code de la nationalité, etc. Enfin, j’avais engagé ma mue, mais elle n’était pas achevée. Ce qui me fait basculer, c’est d’abord, en 1989, l’affaire des trois jeunes filles voilées de Creil. Là, je comprends que nous n’assimilons plus comme nous l’avons fait au cours des décennies précédentes avec des générations d’immigrés et que la question identitaire va se poser. Moi qui ai connu, dans ma famille, les grand-mères habillées à l’orientale qui avaient décidé de se vêtir à l’occidentale, ou à la française, afin de s’assimiler, je sais ce que signifie le port du voile par ces jeunes filles : l’affirmation d’une réislamisation. Le deuxième événement sera la bataille autour du traité de Maastricht, c’est-à-dire pour ou contre la persistance de la souveraineté nationale. Je suis ressorti complètement transformé politiquement par ce double clivage ; je l’ai raconté dans le Suicide français.
Si je vous ai posé la question, c’est parce qu’il est assez peu connu que vous venez de la gauche, mais aussi parce qu’une grande partie des maux que vous pointez provient des décisions prises durant les années Mitterrand et que vous en êtes en partie responsable par vos votes. Une psychanalyse à deux balles dirait que vous êtes en train de vous racheter…
On pourrait dire aussi que le regroupement familial, décidé en 1976, est la mère de toutes les erreurs, ou faire remonter celles-ci à l’immigration maghrébine des années 1960-1970, et là je ne votais pas. Non, je ne cherche pas à me racheter. J’ai voté comme j’ai voté, je regrette parfois certains choix, mais on ne va pas revenir sur le lait renversé, comme disait Chirac. J’ai d’ailleurs voté pour lui au second tour de la présidentielle de 1995 et je le regrette.
Quelle évolution entre 1981 et maintenant !
Mais c’est ça la vie : on change, on évolue, et la société aussi. Je viens de la gauche, mais aujourd’hui, le clivage majeur est identitaire : est-ce qu’on défend l’identité de la France ou est-ce qu’on accepte qu’elle se noie définitivement dans une autre civilisation ? Dans les années 1980, elle ne se posait pas, même s’il faut bien reconnaître que Jean-Marie Le Pen a eu l’intelligence et la prescience de la poser très vite, et qu’il avait tout à fait raison.
Avez-vous déjà été encarté dans un parti politique ?
Jamais !
Est-ce que vous avez milité, tracté, collé des affiches ?
Non plus, jamais.
Ce qui me fait basculer, c’est d’abord l’affaire des trois jeunes filles voilées de Creil
Lorsque cet entretien paraîtra, peut-être aurez-vous fait acte de candidature à la présidence de la République ; en tout cas, le candidat LR à l’Élysée aura été désigné. Et, quel qu’il soit, il aura été désigné sur une ligne que l’on peut qualifier de droitière. Pensez-vous que vous y êtes pour quelque chose ? […]