Déplacement de M. Gérald Darmanin à la Direction Générale de la Sécurité Intérieure.
Madame la Ministre, Monsieur le Ministre, Madame la présidente de la délégation parlementaire au renseignement (Mme Françoise Dumas), Mesdames et Messieurs les parlementaires, Monsieur le coordonnateur national au renseignement et à la lutte antiterroriste, Monsieur le préfet des Hauts-de-Seine, Monsieur le préfet de police, Messieurs les directeurs généraux, Mesdames et Messieurs les directeurs, Mesdames, Messieurs,
Mercredi prochain s’ouvrira, à Paris, le procès des attentats qui, du 7 au 9 janvier 2015, ont visé la rédaction de Charlie Hebdo, les clients et le personnel du magasin Hyper Casher de la porte de Vincennes ainsi qu’une policière municipale sur la commune de Montrouge. Ces actes ignobles ont fait au total 17 victimes. 17 victimes que la Nation n’oubliera jamais.
Les trois auteurs de ces actes barbares, fanatiques jusqu’à rechercher leur propre mort, ont été neutralisés dans leur projet mortifère par l’action des forces de l’ordre. C’est désormais leur procès et ceux de leurs complices qui s’ouvrent. Le premier à juger des accusés poursuivis dans l’une de ces actions terroristes. Car face à l’idéologie mortifère du terrorisme islamiste, l’État de droit, la République, nos valeurs, vaincront toujours.
L’ouverture de ce procès est l’occasion pour moi de rappeler que la lutte contre le terrorisme islamiste est une grande priorité du Gouvernement. Elle exige de nous une mobilisation totale. Sous l’autorité du Président de la République et du Premier ministre, avec l’engagement de l’ensemble des forces de sécurité et des services de renseignement, avec l’appui de la Justice, nous mènerons un combat sans relâche.
Nous ne renoncerons jamais à traquer ces ennemis de la République. Ceux qui attaquent par la terreur notre mode de vie et nos valeurs : la laïcité, la liberté d’expression, la liberté de conscience. Nous opposerons toujours à cette haine aveugle, l’intransigeance républicaine. Nous répondrons toujours aux projets de séparation et de division par l’unité de la Nation, celle qui rassemble tous les Français, quelles que soient leur religion et leurs convictions.
Et ma venue au siège de la direction générale de la sécurité intérieure, la veille de l’ouverture de ce procès, est l’occasion de rappeler que nos forces œuvrent quotidiennement à la lutte contre le terrorisme. Il faut avant tout rendre hommage au travail remarquable des femmes et des hommes, des forces de sécurité et des services de renseignement, qui mettent tout en œuvre pour protéger les Français et garantir leur sécurité.
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Ce travail quotidien, minutieux, sans relâche, souvent dans l’ombre, a permis de nous doter de tous les moyens et outils juridiques nécessaires pour lutter contre la menace terroriste persistante sur notre territoire. Un chiffre pour illustrer ce bilan : depuis 2013, 61 attentats ont été déjoués, dont 32 depuis 2017. Un projet d’attentat a encore été déjoué au début de cette année.
Ma visite cet après-midi à la DGSI a été l’occasion de faire un point actualisé sur la menace. Et je voudrais insister sur le fait qu’elle demeure à un niveau extrêmement élevé sur notre territoire. Nous devons donc maintenir notre plus grande vigilance même si les préoccupations des Français se sont davantage tournées, ces derniers mois, vers la crise sanitaire, les inquiétudes économiques et l’insécurité du quotidien. Malheureusement, l’actualité récente et la mort au Niger le 9 août dernier de 6 humanitaires Français, ainsi que celle de leurs deux accompagnateurs Nigériens, nous le rappelle.
Depuis le début de l’année, le territoire national a ainsi été touché par trois attentats :
- le 3 janvier à Villejuif,
- le 4 avril à Romans-sur-Isère,
- le 27 avril à Colombes.
Depuis 2017, ce sont dix attaques qui ont abouti sur le territoire national, provoquant la mort de 20 personnes.
Cette menace, elle concerne la France comme elle concerne nos voisins européens. Les attaques au couteau commises à Londres le 29 novembre 2019, le 2 février 2020 et le 20 juin dernier, de même que l’interpellation de plusieurs porteurs de projets terroristes en Allemagne ou en Espagne ces dernières semaines, illustrent l’actualité de la menace terroriste en Europe.
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Au-delà de son intensité, j’aimerais rapidement revenir sur les différentes composantes de la menace et leur évaluation par les services.
Le risque terroriste d’origine sunnite demeure la principale menace à laquelle est confronté notre pays, même s’il nous faut être très vigilant à d’autres formes d’action. Des groupuscules radicaux, extrémistes, issus de leurs idéologies séparatistes, peuvent également passer à l’acte. Preuve en est en ce début d’année, au mois de mai, l’arrestation par la DGSI et l’incarcération d’un suprématiste blanc qui projetait des actions violentes contre des lieux de culte.
Malgré la défaite militaire de l’État islamique, grâce à l’action déterminée de la coalition et de nos armées, la composante extérieure de la menace, même si elle a diminué depuis 2015, doit continuer à faire l’objet de toute notre attention. La perpétuation de cette menace est notamment due à la forte capacité de résilience de l’État islamique qui avait anticipé sa défaite en adaptant sa structure, en assumant un retour à la clandestinité, en favorisant l’exfiltration de ses principaux cadres et en faisant évoluer sa stratégie, sa rhétorique de propagande ainsi que ses réseaux financiers et logistiques.
L’État islamique, mais également d’autres organisations terroristes, continuent d’alimenter directement la menace terroriste en générant un risque de menace projetée, lié notamment aux tentatives d’exfiltration de ses combattants – qu’ils soient originaires de France ou tentent de s’y installer de manière irrégulière. Si les flux migratoires se sont réduits par rapport à 2015-2016, et si les dispositifs de criblage mis en place ont été considérablement resserrés en lien notamment avec les préfectures et l’OFPRA, au moins trois affaires ont, depuis octobre 2018, démontré la prégnance de ce risque de relocalisation – la dernière ayant été réalisée par la DGSI en janvier dernier, à Brest.
Mais c’est la menace endogène qui est devenue la plus prégnante et la plus forte. C’est elle qui mobilise le plus l’attention des services de renseignement. Elle est nourrie par la propagande des groupes terroristes, inspirée par les vétérans du Jihad mais également par l’emprise que les tenants d’un islam radical s’efforcent d’avoir dans certains de nos quartiers.
Alors que, jusqu’au printemps, les liens directs entre les porteurs de menace et des membres des organisations jihadistes présents sur zone constituaient le principal danger, les acteurs impliqués dans des projets d’actions violentes sur notre territoire agissent désormais de manière beaucoup plus autonome et, parfois, soudaine. La menace représentée par des individus adeptes d’un islam radical, sensibles à sa propagande, mais non nécessairement membres d’un réseau constitué, devient un défi croissant pour les services de renseignement, qui assurent aujourd’hui le suivi de 8.132 individus inscrits au FSPRT (fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste).
Détecter les individus qui sont susceptibles de passer à l’acte parmi ces profils est une tâche particulièrement difficile et délicate. Pour resserrer encore les mailles du filet, les travaux visant à mieux détecter les comportements susceptibles de révéler un passage à l’acte se poursuivent.
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C’est conscient de la prégnance de cette menace que, depuis 2017 et à la demande du Président de la République, le Gouvernement a œuvré avec une très grande détermination au renforcement des dispositifs de lutte contre la menace terroriste.
Nous l’avons fait en continuant, avec le soutien du Parlement, à augmenter les moyens à la disposition des services spécialisés en matière de lutte antiterroriste, et notamment les services de renseignement. Au total, 1 000 postes supplémentaires ont été créés depuis l’élection du Président de la République. La seule DGSI, après une augmentation historique de ses effectifs de plus de 1.000 entre 2014 et 2017, verra ses moyens augmenter de 1.260 agents supplémentaires dans tout le quinquennat.
Mais les moyens humains ne font pas tout, et les budgets d’investissement et de fonctionnement des services ont également fait l’objet d’un effort sans précédent. Ceux de la DGSI ont par exemple pratiquement doublé entre 2015 et aujourd’hui (passage de 41 millions d’euros en 2015 à 79 millions d’euros en 2019), au bénéfice, notamment, des services techniques de la direction. Le déménagement du service, rendu nécessaire du fait notamment de sa croissance, sera bientôt rendu possible grâce à l’achat par l’État, au début de cette année, d’un terrain sur la commune de Saint-Ouen. Cette opération se chiffre à plus d’1 milliard d’euros.
Nous avons également, depuis 2017, veillé à ce que les services, malgré la sortie de l’État d’urgence, gardent la capacité juridique d’agir efficacement, dans le respect de l’État de droit. C’est tout l’objectif de la loi « SILT » adoptée dès l’été 2017.
Les nouveaux dispositifs prévus par cette loi (périmètres de protection, fermeture de lieux de culte diffusant des discours de haine, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance – MICAS – et visites domiciliaires) ont, presque trois ans après leur entrée en vigueur, démontré leur efficacité et leur pertinence. Entendus récemment par les missions de contrôle et de suivi mises en place par l’Assemblée nationale et le Sénat, les principaux acteurs de la lutte antiterroriste en ont confirmé la grande utilité opérationnelle.
Quelques chiffres pour l’illustrer :
- 532 périmètres de protection ont été mis en place,
- 7 lieux de culte ont été fermés,
- 312 mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance ont été notifiées, dont 65 sont actives à ce jour,
- 170 visites domiciliaires ont été réalisées, dont plus d’un tiers a donné lieu à des suites judiciaires sur un fondement terroriste ou de droit commun.
Utilisés de manière ciblée, toujours sous le contrôle du juge, ces dispositifs jouent désormais un rôle essentiel de prévention de la menace terroriste.
Ce travail législatif, il a été conduit dans un échange permanent avec les deux chambres. Je souhaite ici exprimer ma gratitude aux parlementaires, et singulièrement aux membres de la délégation parlementaire au renseignement et des commissions des lois de l’Assemblée Nationale et du Sénat, pour leur engagement dans la rédaction de ces textes. Je souligne ici le souci de dialogue constant qui a toujours animé les parlementaires et leur volonté de comprendre, puis de prendre en compte, les besoins et les contraintes opérationnels des services – dans le respect, bien sûr, de nos compétences respectives.
Je suis certain que c’est animé du même état d’esprit que nous poursuivrons, dans les semaines à venir, les travaux destinés à prolonger transitoirement la durée d’application de ces mesures, puis, dans un second temps, leur évaluation sur le fond en vue de leur pérennisation. Il est essentiel que notre démocratie se donne les moyens, sans naïveté, de défendre ses compatriotes.
C’est dans le même climat de confiance que se sont amorcés les travaux préalables à l’évolution de la loi du 24 juillet 2015 sur le renseignement. Je souhaite là aussi adresser mes remerciements aux parlementaires, et singulièrement à ceux qui ont pris part à la mission d’information mise en place à l’Assemblée nationale sous la présidence du député Guillaume Larrivé, et dont les rapporteurs étaient les députés Loïc Kervran et Jean-Michel Mis.
Pour la révision à venir de ces deux lois, SILT et renseignement, mon état d’esprit est clair : dans le respect absolu de l’État de droit, des libertés fondamentales et des procédures de contrôle mises en place par le législateur sous le contrôle du Conseil constitutionnel, je veillerai à ce que les services aient, durablement, les moyens de prévenir et de lutter contre la menace terroriste.
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Moyens humains, moyens budgétaires, moyens juridiques d’agir : tout cela est essentiel, fondamental. Mais tout cela ne suffit pas. Depuis 2017, face au caractère évolutif et protéiforme de la menace, les services ont également adapté leurs organisations et leurs méthodes de travail vers plus de fluidité, de partage et d’efficacité.
C’est ainsi, au plan judiciaire, qu’a été créé le parquet national antiterroriste au premier semestre 2019.
C’est ainsi, également, au plan des services, que le nouveau dispositif de coordination décidé par le Président de la République pour garantir un échange fluide et permanent, est aujourd’hui pleinement en vigueur.
Après le renforcement des compétences de la CNRLT, dont je salue le responsable en la personne de Laurent Nuñez, le rôle de chef de file de la lutte antiterroriste confié à la DGSI est pleinement effectif depuis le début de l’année 2019. L’état-major permanent, qui rassemble à la DGSI des représentants de l’ensemble des services compétents en matière antiterroriste, a connu une montée en puissance rapide. Cette nouvelle organisation a été parachevée par le transfert de l’UCLAT à la DGSI, intervenu le 2 janvier dernier – UCLAT dont l’une des missions principales est de veiller à la pleine et entière mobilisation des préfets et de leurs services dans le pilotage des groupes d’évaluation départementaux (GED).
Ces instances nationales et locales sont essentielles pour garantir la fluidité de l’échange d’informations entre services, à laquelle je veillerai tout particulièrement.
Modernisé, fluidifié, simplifié, le cadre d’échanges entre services a permis à ces derniers de se concentrer sur la prise en compte renforcée de certains profils à risque.
Des dispositifs particuliers ont d’abord été mis en œuvre pour renforcer la prise en compte de la menace carcérale, dans sa triple composante : menace pour l’environnement carcéral ; menace projetée depuis les lieux de détention ; menace diffuse et à long terme nourrie par le prosélytisme religieux émanant d’individus en détention.
A ce jour, 505 détenus terroristes islamistes en lien avec la mouvance islamiste, dits « TIS », sont actuellement recensés, auxquels s’ajoutent 702 détenus de droit commun susceptibles de radicalisation.
En réponse à cette menace, le dispositif de suivi des individus incarcérés s’est sensiblement renforcé au cours des dernières années : création et montée en puissance du service national du renseignement pénitentiaire, le SNRP ; collaboration étroite et de confiance entre DGSI / SNRP ; mise en place d’un dispositif de suivi systématique des sortants de prison, piloté par l’UCLAT ; adaptation des modalités de détention en fonction des profils de personnes radicalisées.
Le défi sécuritaire est majeur pour les services de renseignement. En 2020, les prévisions de libération sont évaluées à 45 détenus condamnés pour des faits d’association de malfaiteurs terroristes, elles feront l’objet d’un suivi particulièrement attentif. Ce chiffre connaîtra une nouvelle hausse en 2021 avec la sortie prévisionnelle de 63 terroristes islamistes condamnés. Vis-à-vis de ces profils, l’engagement des services, qui peuvent compter sur un certain nombre de dispositifs législatifs à commencer ceux de la loi SILT, est allé croissant ces dernières années. Au cours d’une réunion spécifique cet après-midi, je leur ai confirmé que le suivi des sortants de prison devait constituer l’une de leurs priorités, si ce n’est leur priorité.
A la suite des odieux attentats qui ont touché la préfecture de police, le dispositif de suivi des individus exerçant une profession sensible, et notamment des agents publics exerçant des missions de souveraineté a été renforcé. A la demande du Président de la République, les agents de la préfecture de police qui étaient chargés des enquêtes de suivi ont été transférés à la DGSI. Par ailleurs, la périodicité des réunions du groupe de suivi des policiers radicalisés s’est accrue, dans une logique d’entrave systématique des profils le justifiant.
Autre sujet d’action prioritaire, enfin : la situation de l’ensemble des individus étrangers inscrits au FSPRT du fait de leur possible radicalisation. Depuis 2018, 423 d’entre eux ont été éloignés du territoire national. J’ai demandé aux préfets de continuer à être particulièrement vigilants sur ce sujet et de systématiquement veiller personnellement à la bonne mise en œuvre des procédures d’éloignement.
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Mesdames et Messieurs, telles sont, les priorités qui me guideront et guideront les services dans leur engagement constant contre le terrorisme.
La radicalisation est la dérive sectaire de la religion. L’immense majorité de nos concitoyens croyants vivent leur foi en parfaite harmonie avec les valeurs de la République. Ils sont les premiers à pleurer le dévoiement insupportable de leurs engagements spirituels.
Ils n’ont rien à voir avec les assassins qui ne souhaitent pas simplement assassiner des juifs, des journalistes, des chrétiens, des policiers et des militaires de confession musulmane, par je ne sais quelle conviction mortifère. Ils veulent assassiner notre héritage culturel, l’identité de notre pays et exterminer notre modèle de société et nos modes de vie.
Se donner les moyens de réduire à néant le terrorisme islamiste, c’est défendre la liberté du monde et des siècles de culture française, qui sont intimement liés l’un à l’autre. La France a été particulièrement touchée car la France représente sans doute ce qu’il y a de plus insupportable pour les terroristes : l’ouverture aux autres, la fraternité, l’émancipation des femmes, l’amour des juifs de France, le long manteau d’églises et la promotion d’un islam sécularisé.
Je veux dire ici, à chaque agent qui combat le terrorisme : la Nation est reconnaissante.