Conscient du danger, l’État n’est pas inactif contre les imams étrangers franchissant la ligne rouge. Mais ce combat est long et complexe.
«Nous devons expulser tous [les] imams radicalisés». Près de cinq ans après cette annonce de Manuel Valls, le 14 novembre 2015, les prêcheurs de haine ciblent toujours les mécréants, les «mauvais» musulmans, les femmes impudiques, impures ou trop peu soumises…
Le 3 décembre dernier, devant la commission d’enquête sénatoriale «sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre», de vives critiques étaient formulées. Youssef Chiheb, professeur associé à l’université Paris-XIII, directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement et chargé de mission au Service central du renseignement territorial (SCRT) de 2015 à 2017, soulignait alors «la lourdeur et les entraves faites aux procédures d’expulsion des imams qui prêchent la haine dans les mosquées […] Il a fallu six mois pour expulser un seul imam, alors que plus d’une centaine étaient dans le viseur du SCRT et devaient quitter le territoire national».
Cécité et accommodements
Dans les villes de France, une question embarrasse souvent les élus: à partir de quel moment un imam peut-il être qualifié de radical? Un flou propice à la cécité ou aux accommodements. L’attentat de la Préfecture de police, perpétré par Mickaël Harpon le 3 octobre, a placé sous les feux de l’actualité trois religieux «sulfureux», qui ne sont pas poursuivis mais dont les comportements interrogent. Le premier est un imam marocain officiant dans la salle de prière de Gonesse fréquentée par Mickaël Harpon. Fiché S, l’homme était, en 2015, licencié de la mosquée de Sarcelles et visé par une obligation de quitter la France (OQTF), mesure non appliquée. L’imam parle de problèmes personnels mais, localement, on souligne que les «anciens» de Sarcelles réprouvaient sa radicalité et que l’OQTF n’était pas le fait du hasard. En octobre 2019, après le drame de la Préfecture, le maire PS de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, déclarait: «suite à ma demande, l’Association des musulmans de Gonesse (AMG) a négocié avec [l’imam], avec qui elle est liée par un contrat de travail, une rupture conventionnelle. L’imam n’assurera plus les prières quotidiennes.»
Un licenciement contesté
Pourtant, l’intéressé est toujours en poste. Le licenciement a été contesté par une partie des fidèles et le président de l’AMG a donné sa démission en novembre dernier. L’ancien président a repris du service en précisant à la mairie que l’imam serait licencié «si des faits lui sont reprochés». Jean-Pierre Blazy a précisé devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’affaire Harpon qu’il n’avait eu connaissance d’«aucune remontée sur des pratiques qui ne seraient pas conformes aux règles de l’exercice de la religion musulmane dans le cadre de la République».
Dans une vidéo en français, on entend l’imam asséner que «les mécréants vont en enfer» et expliquer en substance qu’une femme ne doit pas porter de pantalon pour éviter la colère d’Allah. Des mots dont on peut se demander s’ils sont conformes «à l’exercice de la religion musulmane dans le cadre de la République». Autres religieux apparus dans le sillage de Mickaël Harpon: deux imams guadeloupéens. Deux hommes surveillés par les services de renseignement et considérés comme des «idéologues». Deux imams sulfureux mais bien français, et donc non expulsables.
Un combat long et complexe
Conscient du danger, l’État n’est pourtant pas inactif contre les imams étrangers franchissant la ligne rouge. Mais ce combat est long et complexe. Il a fallu des mois et aller jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme pour expulser, en 2018, un imam algérien de 63 ans installé à Marseille, arrivé en 1981 et père de sept enfants. Référence du salafisme en France, l’homme animait un réseau de mosquées dans les Bouches-du-Rhône et au-delà. Des dizaines de prêches, de 2013 à 2017, dans lesquels il attaquait juifs et mécréants, ont dû être recueillis et traduits. En 2012, il a fallu l’intervention de deux ministres de l’Intérieur, Claude Guéant et Manuel Valls, pour expulser un imam tunisien, animateur d’une mosquée radicale et s’en prenant aux juifs et aux femmes adultères. Une commission avait émis un avis défavorable car «son expulsion porterait atteinte à sa vie familiale»…