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La secrétaire d’Etat en charge de la lutte contre les discriminations a épinglé, sept entreprises françaises pour « présomption de discrimination à l’embauche »
Marlène Schiappa avait annoncé un plan gouvernemental de lutte contre les discriminations pour faire suite à l’opération de testing sur des grandes entreprises, qui avaient révélé de graves discriminations à l’embauche à l’encontre des personnes ayant un patronyme à consonance étrangère, en mettant en œuvre une politique du « name and shame ». Ce plan a finalement été repoussé aux « calendes grecques » mais la secrétaire d’Etat en charge de la lutte contre les discriminations a tout de même épinglé, jeudi 6 février, sept entreprises françaises – Air France, Accor, Altran, Arkéma, Renault, Rexel et Sopra Steria – pour « présomption de discrimination à l’embauche ».
Les mesures à mettre en œuvre ne manquent pas. Aujourd’hui, cette politique publique n’est pas harmonisée entre le Code pénal et le droit du travail, et souffre d’une complexité grandissante, notamment depuis la multiplication des critères antidiscriminatoires ces dernières années.
Rien ne pourra remplacer un long et patient travail d’éducation
Dès 2014, lors de son audition par les deux rapporteurs du travail de la Commission des lois du Sénat sur le thème de « la lutte contre les discriminations : de l’incitation à l’action », la juriste Gwénaële Calvès suggérait de procéder à une codification de l’ensemble des dispositions relatives aux discriminations, cette codification ayant principalement une visée pédagogique afin d’en améliorer l’accès du plus grand nombre… Si la codification du droit antidiscriminatoire constituerait probablement un progrès, il n’existe pas de solutions miracles pour résoudre le problème des discriminations en France.
Il s’agit en réalité d’un travail de longue haleine, qui demande persévérance à la fois de la part des pouvoirs publics et des acteurs de la société civile. Que ce soit les statistiques dites « ethniques », la « discrimination positive » ou encore l’accès au droit, rien ne pourra remplacer un long et patient travail d’éducation, et ce dès le plus jeune âge, pour combattre ce fléau. Sa plus grande visibilité dans les discours sur l’entreprise, sur les médias, dans la recherche universitaire, au sein des collectivités locales, parmi les syndicats, constitue déjà une avancée considérable.
Les discriminations sévissent effectivement dans de nombreux domaines : à l’embauche, au logement, dans les services… L’accès à l’enseignement supérieur est un moyen très efficace pour lutter contre toutes ces formes de discriminations, à condition de réformer les procédures d’admission, en faveur d’une plus grande égalité des chances.
De fait, l’éducation et la formation des élites semblent constituer des moyens moins controversés que l’accès direct aux ressources, pour des expérimentations en matière de politiques publiques.
Notre modèle républicain de la « discrimination positive » doit être consolidé
Aux États-Unis, la situation est différente : la discrimination envers les personnes issues des minorités ethniques remonte à l’époque de la colonisation et de l’esclavage. Malgré l’abolition de l’esclavage décrétée après la Guerre de Sécession, les pratiques discriminatoires ont persisté dans la société américaine. Si les injustices dérivées de l’appartenance raciale ont diminué, l’émergence des inégalités économiques et sociales a rendu plus complexes les moyens à mettre en place. La « discrimination positive » a constitué donc l’une des réponses apportées à ces inégalités socio-économiques.
En France, il existe une approche dite « républicaine » de la discrimination positive, fondée sur des critères collectifs de nature socio-économiques et/ou géographiques. Comme l’écrit Daniel Sabbagh dans « Analyse comparée des formes et de stratégies de présentation de la discrimination positive » (in Eric Fassin et Jean-Louis Halperin, Discriminations : pratiques, savoirs, politiques, la Documentation française, Paris, 2008), « les dispositifs en vigueur en France demeurent en effet caractérisés par une approche socio-spatiale de la correction des inégalités dans laquelle les populations “issues de l’immigration” n’apparaissent que comme les principaux destinataires de fait des mesures adoptées, de par leur surreprésentation statistique dans les espaces défavorisés. Plus précisément, le principal critère opératoire pour identifier les bénéficiaires immédiats de la discrimination positive à la française n’est pas l’origine, mais le lieu de résidence : les habitants d’une zone désavantagée sur le plan économique sont supposés tirer profit des financements publics supplémentaire accordés à cette zone dans son ensemble ».
Ce modèle républicain de la « discrimination positive » doit, à notre sens, être consolidé et approfondi pour favoriser l’égalité de tous les territoires et renforcer la cohésion sociale. Il ne faudra pas attendre de nouvelles émeutes pour ce faire, et il est possible de considérer qu’il y a urgence.
Espérons simplement que les prochaines échéances électorales ne renverront pas ces réformes, comme à l’accoutumée, à plus tard. Sinon, comme le dit Daniel Sabbagh, « la société française continue(ra), pour une large part, à réduire les discriminations à des préjugés individuels répréhensibles dont viendront un jour à bout l’éducation contre le racisme, les incitations à la diversité et, dans les cas extrêmes ou pour des raisons d’exemplarité, les procédures judiciaires ».
Rédigé par Mehdi Thomas Allal et Asif Arif | Vendredi 7 Février 2020