Les Européens avaient pris date en octobre. Sans mouvement d’Ankara, ils seraient contraints de prendre, en décembre, de nouvelles sanctions contre la Turquie. C’était, répétait-on à l’Élysée, «une question de crédibilité» . Les Vingt-Sept ont mis jeudi soir leur menace à exécution . «L’Europe a démontré sa capacité à faire preuve de fermeté à l’égard de la Turquie en adoptant des sanctions afin qu’elle mette fin à ses actions unilatérales en Méditerranée orientale» , s’est félicité Emmanuel Macron, à l’issue du sommet européen.
Au terme de trois heures de discussions nourries, interrompues à plusieurs reprises pour parler de l’autre sujet difficile de la soirée qu’est l’objectif climat en 2030 , les Vingt-Sept ont choisi d’actionner le levier des sanctions individuelles qui viseront très probablement des responsables des opérations d’exploration gazière menées dans les eaux chypriotes et grecques. Il s’agit donc tout au plus d’étoffer la liste existante des mesures restrictives. Ce sera au haut représentant des Affaires étrangères, Josep Borrell , de proposer une liste de noms aux ministres européens des Affaires étrangères et à ceux-ci de faire leur choix dans les prochaines semaines. Cette liste est probablement déjà prête tant la Commission n’en finit pas d’explorer la question turque.
Au regard des provocations d’Ankara, l’UE aurait peut-être pu taper un peu plus fort. «C’est assez pathétique que l’on arrive à si peu de résultats alors qu’il y a autant de dommages. Mais c’est comme ça que marche l’UE, à coups de compromis» , se désole Marc Pierini, spécialiste de la Turquie. «Deux messages contradictoires sont envoyés à la Turquie. Des sanctions ont été adoptées et c’est un message politique très important. Mais elles sont tellement minimales, que le signal politique est inverse» , regrette-t-il encore. Autant dire que Recep Tayyip Erdogan voyait juste lorsqu’il indiquait, avant la réunion des Européens, qu’il ne s’inquiétait «pas vraiment» .
Interminables discussions
Il n’a pourtant pas été si facile pour les Européens d’arriver à un tel résultat. Il semble que Charles Michel , le président du Conseil européen, ait un temps envisagé d’écarter l’option des sanctions tant l’unanimité lui semblait hors d’atteinte. Jeudi, durant le dîner des Vingt-Sept, l’Italie, l’Espagne et Malte – ainsi que l’Allemagne dans une moindre mesure – ont fait valoir qu’une étape supplémentaire était sans doute préférable avant de prononcer de nouvelles sanctions.
Ce à quoi les leaders d’autres pays – Autriche, Pays-Bas, Irlande, Luxembourg, Danemark – ont répondu qu’il fallait désormais aller de l’avant. «Si nous avons pu avancer, raconte un diplomate, c’est parce que tout le monde a reconnu que non seulement la main tendue par les Européens n’avait pas été saisie par Ankara et qu’en plus, la Turquie avait aggravé son cas en poursuivant les actions menées contre la Grèce et Chypre, mais aussi en Libye et au Haut-Karabakh. Sans parler des provocations verbales et des tentatives de déstabilisation. Personne n’a contesté cela.»
L’idée est de serrer la vis progressivement
Josep Borrell, haut représentant de l’Union pour les Affaires étrangères
Une fois adopté le principe des sanctions, d’interminables discussions ont suivi pour déterminer leur champ et définir les étapes suivantes visant à maintenir – ou pas – la pression sur Erdogan. Le président français a parlé vendredi matin d’«un processus progressif mais exigeant» . Josep Borrell est plus explicite «L’idée, a-t-il écrit sur Twitter,est de serrer la vis progressivement.»
De nouvelles discussions à vingt-sept sont prévues en mars. D’ici là, la Commission devra établir un rapport consacré aux relations entre l’UE et Ankara au plan politique, économique et commercial. «Il y a beaucoup d’infractions de la Turquie sur l’Union douanière» , met en garde un diplomate. Charge à la Commission aussi de préciser l’ensemble des sanctions envisageables, susceptibles de toucher cette fois des secteurs économiques et non plus seulement des individus.
Épinglé par l’UE, Erdogan se tourne vers le Caucase
Comme en octobre, les Vingt-Sept continuent, dans le même temps, à tendre la main à Ankara. C’est le souhait de nombreux États membres, dont la Grèce qui tient aussi à la désescalade avec ce voisin imprévisible . Les Européens ont donc trois mois devant eux. D’ici là, Joe Biden sera installé à la Maison-Blanche et aura sans aucun doute commencé à réfléchir au problème turc. Marc Pierini s’amuse de ce calendrier: «Selon la formule américaine, on peut dire que les Vingt-Sept ont poussé jeudi la canette un peu plus loin dans la rue.»