Des maisons détruites, des animaux carbonisés, des forêts et des terres agricoles en cendres et des silhouettes qui se devinent au milieu des nuages de fumée. Branches d’arbres à la main et col de tee-shirt remonté sur le nez, elles tentent désespérément d’éteindre les flammes qui ravagent leurs villages.
Ces scènes apocalyptiques se multiplient dans le nord de l’Algérie. Des photos et des vidéos impressionnantes circulent dans les médias et sur les réseaux sociaux depuis lundi après-midi, date à laquelle une série d’incendies s’est déclenchée dans le pays le plus étendu et le plus peuplé du Maghreb.
D’El Tarf, près de la frontière tunisienne, à Tizi Ouzou, à moins de cent kilomètres de la capitale algérienne, les départs de feu se répartissent sur plusieurs wilayas [l’équivalent des préfectures en France – ndlr ] et enflamment le nord-est du pays. Sur Twitter , la protection civile en dénombre 99 dans 16 wilayas différentes.
Sur place, les habitants sont sous le choc, et se sentent démunis. Yasmine Deghoul, 22 ans, habite à Ath Yenni, une commune de la wilaya de Tizi Ouzou, en Kabylie. L’étudiante raconte la détresse et la tristesse que vivent les personnes sinistrées depuis deux jours. La voix tremblante au téléphone, elle peine à trouver les mots : « Notre maison a entièrement brûlé, heureusement qu’il n’y avait personne à l’intérieur. »
Elle prend une longue respiration, puis poursuit : « J’ai du mal à réaliser, du mal à parler de ce qui se passe en ce moment. Mon cousin est mort brûlé. On est tous traumatisés. » Le bilan humain s’alourdit au fil des heures. Au moins 69 personnes, dont 28 militaires mobilisés pour éteindre les feux, ont perdu la vie, selon les dernières déclarations des autorités locales.
Les hôpitaux débordés
Les hôpitaux, déjà dépassés par la nouvelle vague du Covid-19, sont surchargés et manquent de moyens humains et matériels. « Des grands brûlés sont installés dans des chapiteaux. Ils ont juste des climatiseurs aménagés sur place. Il n’y a nulle part ailleurs où les mettre. C’est la catastrophe ! » , déplore auprès de Mediapart une docteure du centre hospitalier de Tizi Ouzou qui préfère rester anonyme.
Bloquée chez elle, elle n’a pas pu se rendre au travail depuis lundi. « J’habite à une heure de route de l’hôpital, c’est impossible de faire le trajet. Tout le chemin est en feu depuis trois jours » , regrette-t-elle. Au manque de personnel s’ajoute celui des équipements : « Il n’y a plus de médicaments et de matériel pour soigner les brûlures. On a besoin de compresses, de tulles gras, de Biafine… »
Face à cette situation, celles et ceux dont les maisons ont été épargnées préfèrent soigner leurs proches à domicile. « Mais c’est difficile aussi parce qu’il n’y a pas d’eau depuis une vingtaine de jours, les coupures d’électricité sont régulières, il n’y a pas de gaz… » , énumère la docteure.
Mobilisation citoyenne
Pour pallier ces manques, comme ils l’ont fait pour procurer de l’oxygène aux malades du Covid-19, les Algériennes et les Algériens de tout le pays et au sein de la diaspora s’unissent pour venir en aide aux sinistrés des incendies. Matelas, vêtements, médicaments, nourriture… des dons de toutes natures sont envoyés dans les wilayas touchées. « On s’est regroupés spontanément hier pour aider comme on peut à notre échelle » , raconte Koceila Kelloud, 26 ans, entre deux collectes.
Avec un groupe d’amis, le jeune homme réceptionne les colis arrivés d’Alger puis les redistribue auprès des victimes à Tizi Ouzou. Il précise que « ce sont des citoyens qui envoient tous ces dons, ce sont aussi eux qui mettent à disposition leur logement, leur hôtel et leur salle des fêtes pour héberger ceux qui n’ont plus de toit » .
L’organisation se fait principalement via les réseaux sociaux. Notamment sur Facebook, où des chaînes de solidarité se montent, et des annuaires sont improvisés avec des adresses où se rendre et des numéros de téléphone à contacter pour les besoins de première nécessité.
Je n’ai jamais vu une aussi forte mobilisation. Des gens qui n’ont jamais mis les pieds en Kabylie prennent spontanément leur fourgon et acheminent des dons vers les villages brûlés !
Sidali Kouidri Filali, écrivain et militant algérien.
« Je n’ai jamais vu une aussi forte mobilisation. Des gens qui n’ont jamais mis les pieds en Kabylie prennent spontanément leur fourgon et acheminent des dons vers les villages brûlés ! » , s’émeut Sidali Filali Kouidri, écrivain algérois et militant de longue date.
Le quadragénaire a passé la journée à coordonner des opérations d’envoi de dons depuis Alger. Il se réjouit du grand élan de solidarité dans un pays où l’on parle souvent de régionalisme et de tensions avec la Kabylie. « Dans des moments comme celui-ci, tout cela disparaît et ça fait plaisir. »
L’activiste pointe toutefois la lenteur de l’État algérien face aux incendies. « C’est super d’avoir la mobilisation populaire mais ça signifie aussi que c’est nous qui faisons tout ça à la place de l’État ! , s’emporte-t-il. C’est pareil pour le Covid. Je ne suis pas médecin, mais maintenant, je connais tous les types de concentrateurs d’oxygène, car on s’est mobilisés pour en trouver. Ce n’est pas normal ! »
Une réponse étatique trop lente
De son côté, le gouvernement a décrété trois jours de deuil national et évoque une piste criminelle pour expliquer les origines de l’incendie. La radio publique algérienne a annoncé mardi l’arrestation de quatre « pyromanes » suspectés d’être impliqués dans les différents feux qui brûlent le nord-est du pays.
Mercredi, une partie de la population de Larbaâ Nath Irathen, près de Tizi Ouzou, a lynché à mort un « pyromane présumé » , comme le rapporte le site d’information TSA. Une scène atroce, filmée et partagée sur les réseaux sociaux, qui inquiète les personnes sur place. « Je ne comprends pas comment ça a pu se dérouler sous les yeux des policiers » , confie à Mediapart un témoin de la scène, encore sous le choc. « Ça commence à parler de vengeance, y compris de la part des proches de cette victime. Même si les autorités réussissent à maîtriser les feux, il va falloir gérer les violences qui suivront, car ça risque d’exploser » , s’inquiète-t-il.
Pour aider à éteindre les feux, le gouvernement algérien, critiqué pour son silence face aux incendies, a annoncé affréter deux avions bombardiers d’eau auprès de l’Union européenne. Ils seront déployés à partir du jeudi 12 août dans les wilayas où se sont déclarés les incendies. Une décision jugée tardive par plusieurs organisations locales qui, depuis plusieurs jours, exhortent l’État à faire appel à l’aide internationale pour affréter des Canadair, appareils dont la protection civile algérienne ne dispose pas.