Faut-il pour autant légiférer contre les abus des réseaux virtuels comme s’y essaie le gouvernement français avec la loi Avia de juin 2020 et l’article 24 de la loi Sécurité de novembre 2020 ? Il apparaît que les bobards n’ont jamais tué personne ; quant aux appels à la haine et aux insultes, ils font depuis 1881 l’objet de sanctions pénales très sévères. Reste à les appliquer.
Force est de constater que les mensonges les plus dangereux ne circulent pas sur internet mais sont proférés de façon très officielle par les gouvernements avec le concours des médias institutionnels. La preuve par l’Histoire…
André Larané
Bobards sans conséquence
Né à Harvard en 2004, le réseau facebook compte d’ores et déjà plus d’un milliard d’utilisateurs actifs. Ce sont autant de « communautés » virtuelles réunies par un intérêt commun et au sein desquelles circulent des informations plus ou moins fantaisistes, les fameuses « fake news ». Elles satisfont un public dérouté par la complexité du monde et avide d’explications à sa portée.
Pour retenir l’intérêt des internautes, ces informations doivent surprendre et donc se démarquer des informations communes, sans s’embarrasser de vérifications. Au milieu d’affirmations fantasques, elles doivent aussi contenir des éléments vraisemblables qui les rendent plausibles. Elles doivent surtout répondre aux attentes de la communauté et dire à chacun ce qu’il a envie d’entendre et de croire. Ainsi sont réunis les trois ingrédients des « fake news ».
C’est comme cela qu’après l’attentat islamiste du 11 décembre 2018, à Strasbourg, un quidam a suggéré sur un chat internet que le gouvernement français aurait organisé cet attentat pour en finir avec les Gilets jaunes.
Si cette rumeur complotiste a pu susciter autant d’écho, c’est qu’elle est partie d’un fait objectif : quand ils ont eu connaissance de l’attentat, les gouvernants français ont pu espérer qu’il dissuaderait les Gilets jaunes de poursuivre leur mouvement. Mais de là à supposer que des agents de l’État auraient guidé le bras du terroriste, il y a un abîme d’invraisemblance et de mauvaise foi.
C’est aussi comme cela que des musulmans font circuler avec un certain succès l’idée que Mahomet, nom donné en français au prophète de l’islam, serait une déformation dépréciative de son nom arabe qui remonterait au XVIIIe siècle. La réalité historique est autrement plus simple : Mahomet dérive de Mehmet, nom donné par les Turcs au prophète (les Perses l’appellent quant à eux Mahmoud et les Sahéliens Mamadou).
On peut s’affliger que tant de gens se laissent séduire par des invraisemblances et des mensonges. Mais comment leur en faire reproche ? Cette crédulité traduit le besoin de se rassurer face à un monde hostile ou à tout le moins incompréhensible, parcouru d’informations dérangeantes et contradictoires. La classe politique elle-même donne le mauvais exemple en déformant de façon outrancière les faits d’Histoire, qu’il s’agisse de l’esclavage, dénaturé par la loi Taubira de 2001, ou de la colonisation, qualifiée par Emmanuel Macron de « crime contre l’humanité » à l’égal de la Shoah !
Même aveuglement chez les partisans de Staline et ceux de Mahomet
L’intelligence ne met personne à l’abri de la crédulité… Après la Seconde Guerre mondiale, l’intelligentsia occidentale a témoigné d’un aveuglement maladif vis-à-vis de la réalité soviétique. Ainsi, lors du procès Kravchenko, en 1949, des personnalités aussi réputées que le Prix Nobel Frédéric Joliot-Curie, Louis Aragon, Julien Benda ou encore Vercors sont venues dire à la barre le dégoût que leur inspirait l’accusé, coupable d’avoir médit sur l’Union soviétique.
Ces intellectuels étaient enfermés dans leurs certitudes, inaccessibles au doute cartésien et à la recherche de la vérité. Et face à leurs contradicteurs, ils cherchaient un réconfort au sein de leur groupe. En cela, ils étaient semblables aux islamo-gauchistes d’aujourd’hui, avec des arguments qui rappellent le chaudron de Freud (note) : les actes terroristes n’ont rien à voir avec l’islam ; si des musulmans commettent des actes terroristes, c’est à cause de l’islamophobie et des discriminations dont ils sont victimes ; plutôt que de s’appesantir sur les attentats islamistes, on ferait mieux de s’inquiéter des crimes des suprémacistes blancs…
Au demeurant, quand une information ne contient aucun élément de vraisemblance, elle a vite fait de tourner court. Le 4 mai 2017, le débat de l’entre-deux-tours des présidentielles françaises a donné lieu à une sortie inattendue de la candidate Marine Le Pen, qui a relayé une rumeur propagée sur les réseaux sociaux et lancé à son rival : « J’espère qu’on n’apprendra pas que vous avez un compte offshore aux Bahamas… » Emmanuel Macron a gardé son calme et l’on peut penser que le bobard ne lui a pas fait perdre une voix.
De la même espèce fut la calomnie à l’encontre du leader socialiste Léon Blum, selon laquelle celui-ci mangeait dans de la vaisselle en or. Diffusée par la presse d’extrême-droite dans les années 1930, elle ne séduisit que ses lecteurs et suscita des haussements d’épaule chez les autres car elle ne reposait sur aucun fondement sérieux.
On peut classer dans la même catégorie les rumeurs de la Première Guerre mondiale selon lesquelles par exemple les « Boches » coupaient les mains des enfants. Les citoyens croyaient-ils à ces bobards diffusés par les journaux et les cartes postales ? C’est peu probable car ils ne reposaient sur aucun élément avéré. D’ailleurs, le journaliste Albert Londres eut vite fait de les qualifier de « bourrage de crâne ». Mais on laissait dire car ces bobards remplissaient une fonction symbolique en légitimant l’effort de guerre et la solidarité de tous contre l’ennemi commun. Ils soudaient les membres de la communauté dans la haine de l’adversaire, de la même façon que les « fake news » d’aujourd’hui disent aux gens ce qu’ils ont envie de croire, sans souci de la vraisemblance.
Même en situation de guerre, les bobards, soulignons-le, ne prêtent pas à conséquence et n’ont tué personne, jusqu’à preuve du contraire.
Les demi-vérités tuent
Si les « fake news » n’ont jamais à notre connaissance cassé une réputation, c’est parce qu’elles ne reposent au mieux que sur des allégations. Elles ne convainquent que les convaincus et suscitent chez les autres des haussements d’épaules. Il en va autrement des lettres anonymes d’antan ou des demi-vérités qui circulent aujourd’hui dans la presse et sur internet. Leur violence vient de la part de vérité qui rend leur contenu plausible. Elles peuvent en conséquence causer des torts irréparables aux personnes visées, comme on le voit dans le film Le Corbeau d’Henri-Georges Clouzot (1943).
Les demi-vérités ou demi-calomnies diffusées dans la bonne presse ont, bien avant l’ère internet, brisé des réputations et des vies. Comme les lettres anonymes, elles ont une issue fatale parce qu’elles contiennent une part de vérité qui leur apporte de la vraisemblance. C’est le cas du « prêt gratuit »accordé par l’homme d’affaires Roger-Patrice Pelat en 1986 au ministre Pierre Bérégovoy pour l’achat d’un appartement. Révélé par Le Canard Enchaîné le 1er février 1993, ce prêt existait bien et laissait planer un doute sur la probité du Premier ministre de François Mitterrand alors qu’une enquête approfondie aurait montré l’absence d’intention délictueuse.
Patriote et républicain, qui plus est déprimé par l’échec de son camp aux législatives, Pierre Bérégovoy ne supporta pas que son honneur soit mis en cause. Il se suicida le 1er mai 1993.
Comment ne pas faire le rapprochement avec une autre affaire, le suicide de Roger Salengro ? Ministre de l’Intérieur dans le gouvernement de Léon Blum, il fut accusé d’avoir déserté vingt ans plus tôt, pendant la Grande Guerre. Il est vrai qu’il avait été capturé par l’ennemi mais c’était en tentant de récupérer le corps de l’un de ses compagnons d’armes, avec l’accord de son chef…
Plus loin dans le temps, songeons à la reine Marie-Antoinette, dont les maladresses firent le miel de ses ennemis. Elle avait renoncé, par souci d’économie, à une somptueuse rivière de diamants. Mais les bijoutiers vendirent ensuite ce collier à un soupirant de la reine sans que celle-ci le sût. Le scandale retomba sur elle et ternit à jamais sa réputation. L’affaire du collier lui coûta beaucoup plus que l’accusation d’inceste proférée lors de son procès. Par son outrance, cette accusation sans fondement lui valut au contraire l’indulgence du public… pas assez cependant pour obtenir son acquittement.
Quand la rumeur se fait révolutionnaire
En juillet 1789, au début de la Révolution française, les campagnes françaises ont été parcourues par une vague de rumeurs suivant lesquelles les aristocrates se disposaient à restaurer des droits féodaux tombés en désuétude. Ces rumeurs étaient suscitées par les avanies que subissaient à Versailles les députés des états généraux, ce qui leur donnait une apparence de vérité. Elles étaient aussi amplifiées par le malaise paysan, après deux années de récoltes médiocres.
Elles ont de ce fait conduit à une traînée de violences odieuses contre les nobles, leurs familles et leur biens : la « Grande Peur ». À Versailles, les députés se sont hâtés en conséquence d’abolir les derniers droits féodaux !
Mortelles calomnies
En marge des « fake news » et des rumeurs, il y a les calomnies inspirées par la haine et qui visent à détruire une réputation, voire une vie. La calomnie existe de toute éternité mais facebook l’a encouragée en faisant tomber la barrière qui séparait, il y a peu encore, vie privée et vie publique.
Les réseaux virtuels conduisent des adolescents à exposer leur vie intime sur la Toile à leurs risques et périls et certains en arrivent au suicide quand des partenaires indélicats ou jaloux divulguent des photos ou des vidéos compromettantes. Ces réseaux, improprement appelés « sociaux », conduisent aussi à des appels au meurtre. Le professeur Samuel Paty, assassiné par un jeune islamiste, ou encore Mila, adolescente traquée pour avoir diffusé sur internet des propos maladroits sur l’islam, en ont été les victimes.
La loi française dispose d’un arsenal législatif efficace pour lutter contre ces méfaits qui visent des personnes bien identifiées et non pas un groupe social. Dans son article 226-22, le code pénal prévoit en effet jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende pour la divulgation d’informations portant atteinte à la considération ou à l’intimité d’une personne quelle qu’elle soit. Si la peine était appliquée, il ne fait pas de doute que les drames de Mila ou Samuel Paty auraient été évités. Mais il ne suffit pas d’avoir des lois, encore faut-il avoir la volonté et le courage de les appliquer (note).
Les gouvernants trouvent plus commodes à chaque tragédie d”invoquer l’insuffisance du corpuslégislatif et de promettre de nouveaux textes qui règleront le problème (ainsi l’a-t-on vu avec la discussion surréaliste autour de l’article 24 de la loi de sécurité du 27 novembre 2020, qui, de fait, n’ajoute rien à l’article 226-22).
Le terrorisme n’a pas attendu internet
Soulignons que l’intégrisme islamiste n’a pas attendu internet et facebook pour dévoyer les jeunes générations. La révolution iranienne (1978) et la réaction wahhabite (1979) sont survenues vingt ans avant que la Toile n’investisse la planète. Elles se sont appuyées sur des moyens de communication très ordinaires : livres, presse, cassettes audio-vidéo, radio, etc. Les attentats du 11 septembre 2001 n’ont pas non plus eu besoin d’internet. Ils se sont satisfaits des moyens de communication courants…
Mensonges d’État et propagande
Plus que des rumeurs sans conséquence, plus que des demi-vérités qui peuvent tuer, plus que des appels au meurtre et des calomnies que la justice dédaigne de punir, l’Histoire nous invite à nous méfier des mensonges d’État. Dans leur version la plus commune, ils relèvent de la propagande. Le mensonge est consubstantiel aux régimes dictatoriaux, aussi bien du IIIe Reich que de l’URSS ou de la Chine populaire. Il est d’autant plus néfaste dans les pays qui se veulent démocratiques car il ruine la confiance que les citoyens portent à la classe dirigeante et, par ricochet, donne du crédit aux théories du complot et aux bobards les plus saugrenus.
On l’a vu en France avec la gestion de l’épidémie de Covid-19 au printemps 2020, avec des ministres expliquant doctement à la télévision que les masques étaient inutiles, avant de les rendre obligatoires. On l’a vu aussi avec le « nuage de Tchernobyl ». Le 26 avril 1986, l’explosion de la centrale nucléaire de Tchernobyl a entraîné des mesures urgentes de prévention partout en Europe. Partout… sauf en France. Le président Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac ne tenant pas à affoler la population ni se mettre à dos le lobby nucléaire, il s’en est suivi une politique de désinformation qui relève du mensonge d’État…
Le 28 avril 1986, alors que le nuage radioactif se déplaçait vers l’Europe occidentale, le professeur Pellerin tenait un discours rassurant à la télévision : « Ça ne menace personne actuellement sauf dans le voisinage immédiat de l’usine et encore c’est surtout dans l’usine que les Russes ont admis qu’il y avait des personnes lésées. » Deux jours plus tard, le mensonge d’État s’enclenchait véritablement à travers les informations fournies par la météo nationale et répercutées par la présentatrice d’Antenne 2 : « En France, l’anticyclone des Açores restera suffisamment puissant pour offrir une véritable barrière de protection ; il bloque en effet toutes les perturbations venant de l’Est. » C’était la fameuse théorie du nuage de Tchernobyl s’arrêtant à la frontière française qui prend corps. On sait aujourd’hui qu’il n’en a rien été et que la France a été affectée comme ses voisins immédiats.
Plus sordide fut le mensonge du gouvernement espagnol relatif à l’attentat de la gare d’Atocha, le 11 mars 2004. Ce jour-là, plusieurs bombes tuèrent 191 personnes et en ont blessé deux mille. Très embarrassé du fait de son engagement en Irak, le Président du Conseil José Maria Aznar attribua le crime aux Basques de l’ETA, bien que ceux-ci n’aient jamais pratiqué d’attentat de masse et s’en soient tenus à des attentats ciblés. L’enquête conduisit plus tard à l’arrestation de 29 islamistes en lien avec al-Qaida… et à la défaite du Premier ministre et de son parti.
Entre propagande de guerre et autojustification, l’affaire Jessica Lynch relève du même niveau de mensonge que précédemment. Elle débuta le 23 mars 2003 quand la soldate Jessica Lynch fut capturée par les forces irakiennes. Dès le mois suivant, les médias américains, aussitôt relayés dans le monde entier, relatèrent son calvaire et sa libération épique : après avoir résisté jusqu’à l’épuisement de ses munitions, elle aurait été blessée par balle, poignardée, brutalisée par un officier irakien etc.
Une semaine après, des unités d’élite américaines investissaient l’hôpital de Nassiriya où elle était retenue et la ramenaient au Koweit. Une vidéo diligemment fournie par la Maison Blanche enregistrait l’exploit pour la postérité.
Las, dès le 9 avril 2003, les forces américaines ayant envahi l’Irak, des journalistes sourcilleux se rendirent à l’hôpital de Nassiriya et découvrirent une réalité très différente : la jeune fille avait été capturée après être tombée de son camion ; gravement blessée dans sa chute, elle avait été soignée le mieux possible par les médecins irakiens.
Ceux-ci avaient ensuite tenté de la restituer aux Américains mais avaient dû rebrousser chemin sous un feu nourri. Enfin, quand le commando américain investit l’hôpital, il n’eut pas à combattre, les soldats ennemis s’étant retirés depuis déjà plusieurs heures. La vidéo de la Maison Blanche était un montage façon Hollywood.
Hollywood, justement, se prête à bien d’autres formes de propagande que l’on peut juger plus anodines. Par exemple l’héroïsation des soldats américains dans la Seconde Guerre mondiale. Parmi les exemples les plus culottés, relevons le film U-571 (2000). Il raconte la capture en 1942 d’un sous-marin allemand. Grâce à sa machine Enigma, les Alliés allaient pouvoir décrypter les échanges radio de l’armée ennemie. L’exploit est véridique à ce détail près qu’il a été commis par la Royal Navy et non par la marine américaine comme dans le film !
Nécessités de la guerre
On peut admettre que les nécessités de la guerre justifient le mensonge. Tous les coups sont permis quand il s’agit d’économiser la vie de ses soldats et de s’assurer la victoire. C’est le Lusitania, présenté par les Américains comme un paquebot civil alors qu’il était chargé d’armes et d’explosifs à destination des Alliés. Coulé par un sous-marin allemand en 1915, il allait servir, deux ans plus tard, de prétexte à l’entrée en guerre des États-Unis aux côtés des Alliés. C’est Fortitude en 1944, une très belle opération d’intoxication destinée à faire croire aux Allemands que le débarquement allié aurait lieu dans le Pas-de-Calais.
Moins justifiable est l’argumentaire du président Truman relayé par la presse occidentale à propos d’Hiroshima et Nagasaki, selon lequel ces drames auraient évité le sacrifice d’un million de soldats américains… alors que dans toute la guerre du Pacifique, quand le Japon était au meilleur de sa forme, les États-Unis n’avaient perdu qu’une centaine de milliers d’hommes. Ce ne sont pas les bombes atomiques qui ont contraint les Japonais à la capitulation. On sait que ceux-ci étaient disposés à se rendre dès avant le bombardement d’Hiroshima, à la seule condition que leur empereur soit maintenu en place. En lâchant des bombes atomiques sur le Japon, les dirigeants américains ont surtout voulu impressionner leur allié et néanmoins rival, l’Union soviétique, dans la perspective des conflits à venir.
Cela nous amène à la catégorie la plus redoutable des mensonges d’État…
Mensonges d’État et crimes de guerre
Plus grave que tout en matière de mensonge et de fausses nouvelles, c’est quand celles-ci ont pour objectif une guerre d’agression. Là, comme on dit dans les Tontons flingueurs, c’est du lourd ! On est très loin des « fake news » de quelques tordus d’internet.
Nous avons relevé deux cas de la sorte dans l’Histoire européenne. Faut-il s’en étonner ? Ils nous viennent de deux grands dirigeants réputés pour leur dureté : Bonaparte et Bismarck.
En 1797, le général Bonaparte, vainqueur des Autrichiens en Italie, cherche une contrepartie à leur offrir en échange de la cession de la Belgique. Pourquoi pas la République de Venise ? Le problème est que Venise s’est jusque-là prudemment tenue à l’écart des coalitions contre la France et rien ne saurait justifier sa disparition en tant qu’État souverain.
Qu’à cela ne tienne ! Un agent secret au service de Bonaparte produit un faux appel du Grand Conseil de Venise à l’adresse des habitants de Vérone pour qu’ils se soulèvent contre la garnison française établie dans la ville. Le soulèvement ne réussit que trop bien et 400 soldats français qui étaient soignés dans l’hôpital local sont massacrés par la populace. C’en est assez pour que Bonaparte adresse un ultimatum à la paisible Sérénissime et occupe son territoire. Il peut dès lors la livrer sur un plateau aux Autrichiens et signer avec eux le traité de Campoformio.
L’autre cas est mieux connu des Français (faut-il s’en étonner ?). En 1870, le chancelier Bismarck ambitionne de réaliser l’unité de l’Allemagne autour de la Prusse par une guerre commune contre la France. Pour cela, iI se saisit d’une banale querelle diplomatique à propos de la succession sur le trône d’Espagne et propose la candidature d’un prince prussien. Le roi Guillaume 1er, qui ne veut pas de querelle avec la France, réprouve cette candidature. L’ambassadeur de France à Berlin commet la maladresse de lui demander confirmation de son refus à Ems, où le roi prend les eaux.
Bismarck va habilement caviarder la dépêche qui fait état de cette rencontre avant de la livrer à la presse. Irritées par le ton insultant de la dépêche d’Ems, les opinions publiques française et allemandes vont se déchaîner et conduire en trois jours à la déclaration de guerre tant souhaitée. Il en résultera trois guerres franco-allemandes, dont deux mondiales (note).
Les autres affaires nous viennent des États-Unis. Cela commence en 1845 quand le président James Polk ordonne à une patrouille américaine de pénétrer sur le territoire mexicain. La patrouille est interceptée par l’armée mexicaine. Il s’ensuit des morts des deux côtés et le président appelle aussitôt le Congrès à voter une « guerre commencée par le Mexique ». Ce sera une promenade militaire qui se soldera par l’annexion du Nouveau-Mexique, de l’Arizona, de la Californie etc. Excusez du peu. De tous les membres du Congrès, Abraham Lincoln sera le seul à protester. Il y perdra son siège.
Rebelote en 1898 pour s’emparer de Cuba et des dernières colonies espagnoles. Un cuirassé ayant explosé en rade de la Havane, la presse américaine, dont le célèbre William Randolph Hearst (« Citizen Kane ») accuse les Espagnols d’avoir déposé une bombe sur le navire. Il s’ensuit une nouvelle promenade militaire… et l’on apprendra bien plus tard que le cuirassé a été victime d’une banale explosion de chaudière.
D’une nature mensongère légèrement différente est l’insurrection « spontanée » déclenchée en 1903 dans la ville de Panamá, alors sous souveraineté colombienne, pour amener l’isthme à se rendre indépendant. Ainsi les États-Unis ont-ils pu assurer leur mainmise sur le territoire du futur canal.
On peut aussi classer parmi les mensonges d’État l’incident qui a conduit le Japon à envahir la Mandchourie en 1931, même si l’initiateur du mensonge n’était pas un gouvernant mais un simple général, Kanji Ishiwara. Celui-ci fait sauter le 18 septembre 1931 une voie ferrée de Mandchourie, à quelques centaines de mètres d’une garnison chinoise et juste avant le passage d’un train. Quand les soldats chinois, alarmés par l’explosion, arrivent sur les lieux, ils sont accueillis par des rafales de mitrailleuse. Sans attendre, Ishiwara informe Tokyo que les Chinois auraient fait sauter la ligne et tenté d’attaquer un train japonais. Lui-même lance derechef ses troupes à la conquête de la Mandchourie. Le gouvernement japonais, pris au piège, ne peut qu’agréer l’initiative du général, lequel devient aussitôt un héros national !
Plus près de nous, la prétendue attaque de deux destroyers dans le golfe du Tonkin en août 1964 a fourni au président Lyndon B. Johnson le prétexte à des raids aériens sur le Nord-Vietnam. Avec au final, une décennie plus tard, une humiliation dont le pays aura le plus grand mal à se remettre.
En 1985, pour justifier une intervention armée contre les sandinistes, un mouvement d’extrême-gauche porté au pouvoir par les électeurs nicaraguayens, le secrétaire d’État américain George Schultz osait affirmer devant le Congrès : « Le Nicaragua est un cancer qui s’insinue dans notre territoire, il applique les doctrines de Mein Kampf et menace de prendre le contrôle de tout l’hémisphère ».
Enfin, chacun garde en mémoire les mensonges qui ont accompagné la guerre du Golfe en 1991, avec le récit par une infirmière koweitienne, devant le Congrès américain, des sévices des troupes irakiennes et notamment du meurtre de nourrissons dans les maternités. Retransmis sur toutes les chaînes de télévision, ce « témoignage » a permis de mobiliser l’opinion internationale contre Saddam Hussein. Il s’est avéré plus tard que cette « infirmière » n’était autre que la fille de l’ambassadeur koweïtien à Washington.
Le dictateur irakien, auquel on attribuait sans sourciller la « quatrième armée du monde » (sic), était encore quelques mois plus tôt un allié de l’Occident contre l’Iran et l’on fermait les yeux sur ses attaques à l’arme chimique contre son propre peuple !
Last but not least, en avril 2003, Washington et Londres sont entrés à nouveau en guerre contre l’Irak au motif que le régime de Saddam Hussein aurait détenu des « armes de destruction massive » dangereuses pour la paix du monde. Le Secrétaire d’État Colin Powell s’est prêté au jeu en montrant au Conseil de Sécurité de l’ONU, le 5 février 2003, une ampoule de poudre blanche supposée être de l’anthrax (dangereux poison) comme preuve de l’existence de ces armes.
La suite a prouvé de façon certaine que ces armes n’existaient pas ou avaient été détruites depuis belle lurette. De ce grossier mensonge d’État a résulté la ruine de tout le Moyen-Orient, du Pakistan à l’Égypte, et le réveil de la guerre séculaire entre chiites et sunnites.
Raison garder
L’Histoire et l’actualité montrent que la liberté d’expression et la vérité sont davantage menacés par les dirigeants de certains États, fussent-ils démocratiques, que par les bobards qui circulent sur internet et ailleurs.
Quel crédit accorder à la Maison Blanche quand, tant de fois, les présidents américains ont été pris en flagrant délit de mensonge sur des questions stratégiques ? En matière de commerce et de finance (négociations sur le CETA par exemple), quelle confiance accorder à l’Union européenne, adepte de l’omerta et des manœuvres de couloir ? Ces mensonges d’État et ces silences contribuent aux rumeurs de complots et nourrissent les « fake news ». L’antidote pourrait se trouver dans une absolue liberté d’expression (hormis la diffamation et l’insulte).
Si les médias se montraient ouverts au débat et à la critique, s’ils acceptaient d’aborder les sujets qui fâchent, s’ils se gardaient de diaboliser les opposants à la ligne officielle, on peut légitimement penser qu’il n’y aurait plus d’espace pour les « fake news ». Mais nous en sommes encore loin. Un exemple parmi d’autres, qui nous a particulièrement frappé : Le Monde du 20 mars 2017 a pu consacrer un dossier très étoffé sur l’antisémitisme dans la France d’aujourd’hui sans écrire une seule fois les mots islamiste, islamisme, islam, musulman, etc. Troublant déni de réalité, sachant que le nouvel antisémitisme est massivement le fait de certains musulmans.
Il n’y a pas de vérité factuelle !
Il est illusoire de croire comme la rédaction du Monde en l’existence d’une vérité factuelle (fact newsen américain). L’important dans une information n’est pas l’exactitude du fait mais l’interprétation qu’on en fait. Exemple :
Le fait : en 2016, il y a eu en France trois mille cinq cents morts sur les routes du fait d’accidents de la circulation.
• Selon les relevés officiels du ministère de l’Intérieur, le chiffre exact est de 3 569 ; la donnée ci-dessus est donc formellement erronée !
• C’est un chiffre cinq fois plus bas que celui de 1974, alors que la circulation était bien moindre qu’aujourd’hui et la population moins nombreuse. Il traduit une prodigieuse amélioration de nos conditions de vie même s’il demeure toujours trop élevé.
• Il est encore nettement plus élevé qu’en Grande-Bretagne, à conditions comparables. Il traduit le manque de courage de nos différents gouvernements depuis un demi-siècle face aux lobbies de l’automobile.
• C’est un chiffre en augmentation quasi-constante depuis 5 ans, après une baisse quasi-régulière pendant quatre décennies. Il signe l’échec du quinquennat de François Hollande.
Voilà comment on peut émettre quatre avis radicalement différents et aussi « objectifs » les uns que les autres à partir d’un même énoncé factuel.