Elle y allait à reculons. Début août, Anne (le prénom a été changé à sa demande) a pris rendez-vous pour faire vacciner son mari et ses ados. « Il y a une forte pression de l’école, des camarades, une pression sociétale sur les enfants », déplore cette abonnée de longue date à La Vie, qui réside en Ille-et-Vilaine.
Quelques heures avant la piqûre, trop inquiète, elle a annulé : « Je ne suis pas rassurée, je me pose beaucoup de questions. » Consultante indépendante, diplômée de Sciences Po, la quadragénaire dit explorer les études scientifiques. À la lumière de ses lectures, aucun membre de la famille ne s’est finalement fait vacciner.
Sur les réseaux sociaux, où pullulent les fausses informations, quelques questions reviennent sans cesse : pourquoi les laboratoires et les gouvernements poussent-ils à ce point les vaccins ? Par cupidité ou par incapacité à mettre au point un traitement ? Pourquoi certaines molécules existantes (les très controversées hydroxychloroquine et ivermectine, notamment) ne sont-elles pas utilisées alors qu’elles sont connues depuis longtemps et peu coûteuses ? Pourquoi empêche-t-on les médecins de les prescrire ? Anne relaie ce discours. Quand on lui oppose qu’il est teinté de complotisme, proche des articles publiés sur le site covido-sceptique ReInfoCovid, antivax et antipasse, elle s’en défend : « Je ne suis pas une énervée ! » Elle n’a participé à aucune manifestation cet été. Elle est juste « inquiète ».
Appréhensions et interrogations
Comme elle, une vingtaine de lecteurs de La Vie, pourtant éloignés de la sphère complotiste, nous ont écrit pour nous faire part de leurs appréhensions et de leurs interrogations, à la fois sur les effets du vaccin contre le Covid et sur l’absence de traitements. C’est pourquoi nous avons questionné de nombreux scientifiques, le collectif Du côté de la science, le directeur de l’unité Virus et immunité de l’Institut Pasteur ainsi que le département chargé des vaccins et des traitements anti-infectieux de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) pour faire un état des lieux des thérapeutiques existantes et de celles à venir.
Depuis 2020, on dénombre environ 3300 essais cliniques portant sur la recherche d’un traitement contre le Covid-19, dont 1600 sont en cours. Chercheurs, firmes de biotechnologie, laboratoires pharmaceutiques… la concurrence est rude entre les très nombreux candidats en quête d’un remède. « La différence avec les autres maladies, c’est qu’il y a beaucoup d’argent pour la recherche,commente Franck Clarot, médecin et cofondateur du collectif Du côté de la science. Le défi est mondial. De plus, il y a d’énormes débouchés économiques. C’est une chance pour trouver plus vite. »
Il faut rappeler la difficulté de mettre au point un médicament contre un virus. « De nombreuses maladies virales, antérieures au Covid, n’ont toujours pas de traitements », souligne Éric Billy, chercheur en immuno-oncologie à Strasbourg. C’est le cas des oreillons, de la rougeole et de la grippe, contre lesquels existent des vaccins, mais pas de thérapeutique. Contre le sida, des médicaments ont été découverts après de nombreuses années de recherche. S’ils permettent de rendre la charge virale indétectable et intransmissible, ils ne sont pas pour autant curatifs.
Quant à l’herpès ou au zona, on en guérit la résurgence, mais on ne parvient pas non plus à extraire le virus de l’organisme. « La composante intra cellulaire d’un virus rend difficile la découverte d’un médicament », explique Franck Clarot, qui rappelle, à toutes fins utiles, la différence entre un virus et une bactérie : le premier pénètre à l’intérieur des cellules pour s’y multiplier ; la deuxième reste extracellulaire, mais se diffuse dans le milieu où elle se niche (poumon, vessie, liquide encéphalo-rachidien, etc.) et peut donc être traitée par antibiotiques. « Le Covid-19, comme d’autres virus, est en constante évolution, il essaye d’échapper aux défenses de l’organisme, ce qui explique la difficulté à trouver un médicament », renchérit Alban Dhanani, pharmacien, directeur adjoint du département chargé des vaccins et des traitements anti-infectieux à l’ANSM.
Effets délétères sur le débat et la santé
Des remèdes « miracle », il y en a eu des quantités depuis le début de la crise sanitaire. Dans l’urgence, de nombreuses molécules déjà existantes et autorisées par les agences de santé dans le traitement d’autres pathologies ont été testées contre le coronavirus. Il en fut ainsi de l’hydroxychloroquine, promue par Didier Raoult, avec des effets extrêmement délétères sur le débat public et la santé de certains malades. Idem pour des cocktails de zinc, de vitamine D, pour l’azithromycine (antibiotique) et l’ivermectine (antiparasitaire).
Parmi les molécules repositionnées contre le Covid, la fluvoxamine (antidépresseur) montre une diminution du risque d’hospitalisation, selon un essai clinique sur un grand nombre de patients, au Canada. Mais ces résultats n’ont pas encore été validés par un comité de lecture ni publiés dans un journal scientifique : pas de quoi se réjouir trop vite.
« La réalité scientifique, c’est qu’aucun de ces traitements n’a d’efficacité sur l’évolution de la maladie, argumente Florian Zores, cardiologue et membre du Côté de la science. Des études bien menées, de qualité et avec un consensus scientifique, l’ont montré. Le fait qu’un médicament soit efficace dans d’autres pathologies et déjà utilisé depuis de nombreuses années ne garantit pas du tout qu’il soit efficace et sûr dans une nouvelle maladie comme le Covid. »
Sans un protocole strict (deux groupes comparatifs, créés de manière aléatoire, un critère de jugement pertinent), on peut faire face à une efficacité artificielle de la molécule, crier trop vite eurêka et finalement nourrir de faux espoirs qui alimentent les interrogations, le doute à l’égard des scientifiques, voire le complotisme… « Il faut être prudent dans l’analyse des études précliniques et cliniques, renchérit Olivier Schwartz, de l’Institut Pasteur. Un médicament peut avoir un effet dans un tube à essai, sur un animal, mais ne pas fonctionner sur l’humain… »
Un an et demi après l’apparition de la maladie, il existe des thérapeutiques pour les gens hospitalisés dans un état grave, qui sont bien mieux pris en charge qu’au début de la crise. Oxygénothérapie, corticoïdes, anticytokiniques, anticoagulants… une panoplie de médicaments améliore l’état du patient. Mais on ne sait pas encore soigner directement le virus. Un grand espoir réside dans le développement des anticorps monoclonaux (voir encadré). L’Union européenne en a d’ailleurs précommandé 220 000 doses. Développés, entre autres, par Roche, AstraZeneca et Lilly France, ces anticorps neutralisants empêchent le virus d’entrer dans les cellules du malade.
Toutefois, malgré son efficacité, cette biomolécule présente de nombreuses difficultés : elle reste coûteuse, difficile à produire, et elle risque de manquer d’efficacité face aux variants. Par ailleurs, elle nécessite un repérage et un diagnostic très précoces. Pour l’heure, elle n’est utilisée qu’en prophylaxie ou en post-exposition, chez les personnes les plus fragiles, immunodéprimées, qui ne répondent pas aux vaccins et risquent de développer une forme grave – soit un petit groupe de patients. Elle doit être injectée en intraveineuse, en milieu hospitalier, sous surveillance, avant que le virus n’ait eu le temps de se multiplier. Cette logistique paraît rédhibitoire pour une utilisation grand public et massive de ce traitement.
Faire preuve de patience
À l’Institut Pasteur, Olivier Schwartz reste toutefois optimiste quant à la découverte d’un traitement spécifique au Covid, efficace et facile d’usage : « De nombreux labos travaillent sur de petites molécules antivirales qui bloquent la multiplication du virus dans l’organisme dès le début. » Pfizer développe actuellement un « inhibiteur de protéase » (la protéase étant l’élément du virus qui lui permet de se multiplier dans le corps) dont la fonction est de bloquer le Covid dès qu’on est infecté. L’essai clinique n’en est qu’à la phase 1 et ne concerne que quelques dizaines de volontaires. Il faut faire preuve de patience.
Selon l’ANSM, le développement des anticorps monoclonaux est au stade le plus avancé. Ils devraient bénéficier d’une autorisation de mise sur le marché dès cet automne. Quant aux antiviraux de Pfizer et de Roche, entre autres laboratoires, il faudra attendre fin 2021 ou début 2022. « Le médicament sera complémentaire du vaccin : d’une part car il peut y avoir une réduction de l’efficacité du vaccin en raison des variants. D’autre part car il faudra bien traiter les personnes non vaccinées. Enfin, il faut trouver une solution pour les personnes immunodéprimées qui ne répondent pas aux vaccins, quels qu’ils soient, » précise Alban Dhanani.
En attendant, la vaccination permet toujours de bloquer le virus : « Le vaccin mime l’infection sans qu’on en ait les inconvénients, défend Eric Billy. Elle induit la réponse immunitaire sans endommager le corps. »
Les anticorps monoclonaux, qu’est-ce ?
Les anticorps dits « monoclonaux » sont l’une des pistes sérieuses pour traiter le Covid-19. Selon le Vidal, ce sont « des anticorps fabriqués par des cellules en culture pour traiter des maladies spécifiques ». En France, plus de 30 anticorps monoclonaux sont commercialisés pour traiter des maladies inflammatoires chroniques, comme la maladie de Crohn, la polyarthrite rhumatoïde, le psoriasis, des cancers et d’éventuels rejets de greffe. Ils ont révolutionné la prise en charge de nombreuses maladies. Leur dénomination se termine par « mab » (pour « Monoclonal AntiBodies ») : casirivimab, indevimab, par exemple, pour traiter le Covid. Pour l’heure, dans des cas très spécifiques et sans autre solution thérapeutique, ils peuvent être prescrits, en « accès précoce » (ce qui est permis par la loi), en attendant l’autorisation de mise sur le marché cet automne, selon l’ANSM.