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Alexis de Tocqueville compte parmi les plus grands penseurs modernes, dans la continuité de Montesquieu. C’est avec Karl Marx, mais dans un registre opposé, l’un des deux visionnaires qui ont entrevu les défis de l’ère industrielle et forgé notre perception du monde.
Tocqueville s’est lancé dans l’écriture pour se faire un nom en politique (à l’exemple d’Adolphe Thiers) mais sa carrière a tourné court et c’est en définitive son chef-d’oeuvre de jeunesse, La Démocratie en Amérique (1835-1840) et son ouvrage de maturité, L’Ancien Régime et la Révolution (1856), qui ont fait sa gloire.
C’est Tocqueville qui a révélé les Américains à eux-mêmes. Aussi reste-t-il très connu aux États-Unis. C’est lui aussi qui a entrevu l’avènement de la démocratie et les menaces qui pèsent aujourd’hui sur elle. C’est enfin lui qui a donné sens à la Révolution et, le premier, perçu les inconvénients de la centralisation à la française.
L’oeuvre de Tocqueville demeure plus que jamais vivante et d’actualité. Elle mérite d’être lue et savourée par tous les amateurs de belle prose et de grandes idées. Les passionnés de récits d’aventures, d’enquêtes anthropologiques et d’envolées lyriques apprécieront La Démocratie en Amérique . Mais pour débuter, je ne saurais trop recommander les analyses lumineuses et plus concises de L’Ancien Régime et la Révolution …
Alexis de Tocqueville naît à Paris, le 29 juillet 1805, dans la famille d’un comte qui sera préfet sous la Restauration. Il est par sa mère l’arrière-petit-fils de Malesherbes , un magistrat qui paya de sa vie l’honneur d’avoir défendu Louis XVI. Il effectue des études de droit qui l’orientent vers la magistrature et débute sa carrière en 1827 comme juge auditeur au tribunal de Versailles.
Au lendemain des Trois Glorieuses de 1830, Alexis de Tocqueville souhaite prendre du champ avec la politique française. C’est ainsi qu’il part aux États-Unis avec son ami Gustave de Beaumont pour un voyage d’études sur le système pénitentiaire.
Les deux hommes parcourent le pays pendant dix mois et regagnent la France au printemps 1832. L’année suivante, après avoir démissionné de la magistrature pour raisons politiques, Tocqueville séjourne brièvement en Angleterre où il complète ses informations sur les systèmes démocratiques.
De ses notes de voyage, il tire la matière de son premier ouvrage, La Démocratie en Amérique , dont le premier tome est publié en 1835. Le style est élégant et le contenu un régal pour l’esprit. Le succès est immédiat. La publication du deuxième tome, en avril 1840, vaut à son auteur d’être élu à l’Académie française .
Le premier tome de La Démocratie en Amérique traite de l’Amérique pionnière du président Andrew Jackson. Dans le deuxième tome, l’auteur élargit son propos au phénomène démocratique et à son avenir probable.
Tocqueville montre que l’État de droit et les libertés individuelles sont les moteurs indispensables du progrès économique et social. Il craint toutefois que le mouvement démocratique et l’individualisme ne conduisent à terme à une atomisation de la société et ne débouchent sur l’avènement d’un État despotique.
Par l’acuité de ses vues, Tocqueville figure parmi les écrivains français les plus connus aux États-Unis et c’est dans ce pays que se rencontrent encore aujourd’hui les meilleurs spécialistes de son oeuvre. Parmi de multiples citations qui portent à la réflexion, on peut retenir celle-ci, qui résonne encore avec une singulière actualité : « Les nations de nos jours ne sauraient faire que dans leur sein les conditions ne soient pas égales ; mais il dépend d’elles que l’égalité les conduise à la servitude ou à la liberté, aux lumières ou à la barbarie, à la prospérité ou aux misères » .
Tocqueville s’engage dans l’action politique de terrain en devenant le député de sa cirsconscrition normande. Il se montre très actif, multipliant les rapports sur l’Algérie, la réforme pénitentiaire ou encore l’abolition de l’esclavage.
Visionnaire, il annonce à la tribune de l’assemblée, en janvier 1848, une explosion sociale que rien ne laisse paraître : « Regardez ce qui se passe au sein de ces classes ouvrières, qui, aujourd’hui, je le reconnais, sont tranquilles… ; mais ne voyez-vous pas que leurs passions, de politiques, sont devenues sociales ? »
Après l’abdication du roi en février 1848, Tocqueville participe à la commission qui rédige la Constitution de la IIe République. Le 2 juin 1849, il devient ministre des Affaires étrangères du gouvernement provisoire et doit s’occuper de l’intervention des troupes françaises à Rome, dans le but de protéger le pape contre les assauts des nationalistes italiens. Son recueil de Souvenirs apporte un éclairage intéressant sur cette période troublée.