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Leur efficacité est-elle avérée ?
Par Cécile Thibertmis
Ces «guérisseurs» seraient capables de soulager des douleurs dues aux brûlures, au zona ou encore aux traitements des cancers.
On les appelle «coupeurs de feu», «barreurs de feu» ou encore «leveurs de maux». Ils officient dans les campagnes, sur un coin de table et, de plus en plus, dans des cabinets bien établis, en ville. Leur pratique trouve ses origines dans des traditions séculaires.
Certains «coupeurs de feu» soufflent sur la brûlure ou passent leurs mains dessus, d’autres récitent des prières (photo d’illustration). /DragonImages – stock.adobe.com
Leur pouvoir ? Un «don», un «secret» qui soulagerait des douleurs dues aux brûlures, au zonaou encore aux traitements des cancers. Ils n’ont pas suivi de cursus médical, mais leur pratique intrigue autant qu’elle inquiète ceux qui ont prêté le serment d’Hippocrate.
«J’ai travaillé pendant une quinzaine d’années en Franche-Comté, une région qui, historiquement, a toujours compté beaucoup de coupeurs de feu. Et j’ai vu de nombreux patients y avoir recours, se souvient le Pr Gilles Crehange, chef du département de radiothérapie à l’Institut Curie. Il n’y a pas d’étude scientifique ayant prouvé un bénéfice clinique, on ne peut donc pas recommander cette démarche. Mais il est vrai que j’ai vu des patients se remettre rapidement de brûlures dues à la radiothérapie. Aujourd’hui, je n’observe plus de différence entre ceux qui vont voir un coupeur de feu et ceux qui n’y vont pas puisque, fort heureusement, la radiothérapie a connu d’importantes avancées technologiqueset provoque très nettement moins de brûlures et d’effets secondaires qu’il y a 15 ans.»
Le plus surprenant a été de découvrir qu’un homme sur deux et un peu plus d’une femme sur deux ont eu recours à un coupeur de feu, c’est énorme
Pr Nicolas Magné, chef du département de radiothérapie de l’Institut de cancérologie Lucien Neuwirth, qui a interrogé 500 personnes traitées pour un cancer
Il n’existe que très peu d’études sur le sujet, «tout juste une vingtaine», d’après le Pr Nicolas Magné, chef du département de radiothérapie de l’Institut de cancérologie Lucien-Neuwirth, près de Saint-Étienne. «Autant dire rien du tout», admet-il. Intrigué par le nombre important de patients qui avaient recours à cette pratique, «en particulier les personnes atteintes d’un cancer du sein», le médecin a lancé une étude. Publiée en 2017 dans la revue Oncotarget, elle a impliqué 350 femmes traitées pour un cancer du sein et 150 hommes soignés pour un cancer de la prostate. «Le plus surprenant a été de découvrir qu’un homme sur deux et un peu plus d’une femme sur deux ont eu recours à un coupeur de feu, c’est énorme», s’exclame le spécialiste. L’étude n’a pas mis en évidence de différence de toxicité aiguë à court terme, ni à long terme entre ceux qui ont consulté un coupeur de feu et ceux qui ne l’ont pas fait. «En revanche, les premiers ont rapporté une meilleure qualité de vie pendant et après le traitement», rapporte le Pr Magné. Un ressenti très subjectif.
Il existe une dizaine de pratiques pour «couper le feu». Certains soufflent sur la brûlure ou passent leurs mains dessus, d’autres récitent des prières, parfois par téléphone, avec une photo de la victime sous les yeux. «J’ai fait mes premiers essais à l’âge de 10 ans. Comme cela donnait des résultats, j’ai continué, et cela fait 40 ans que j’exerce», raconte Brigitte Grimm-Laforest, magnétiseuse à Paris, qui dit avoir reçu un «don» d’un membre de sa famille. «Lorsqu’une personne est brûlée, nous allons chercher cette chaleur et l’enlever, selon un principe de transfert d’énergie», explique-t-elle, tout en reconnaissant l’absence de preuve scientifique de sa pratique.
Une explication parfaitement incompatible avec les principes établis de la science. «L’énergie est très bien définie comme notion physique. Là, le terme est utilisé de manière galvaudée: il s’agit plutôt d’une énergie symbolique empreinte de spiritualité», recadre Nicolas Pinsault, chercheur sur le recours aux thérapies alternatives et maître de conférences à l’université de Grenoble.
La douleur liée à une brûlure suit un schéma précis : elle augmente, atteint un plateau, puis redescend. Mais dans tous les cas, coupeur de feu ou pas, elle aurait spontanément régressé
Nicolas Pinsault, chercheur sur le recours aux thérapies alternatives et maître de conférences à l’université de Grenoble
Et pourtant, certaines personnes peuvent en attester: sur elles, ça a marché. «Il est possible que des patients atteints de cancer attribuent à tort l’absence de toxicité à leur coupeur de feu, alors qu’en réalité, moins de 3% des patients sont touchés par une toxicité importante», explique le Pr Magné. Pour les brûlures, Nicolas Pinsault a également sa petite idée. «La douleur liée à une brûlure suit un schéma précis: elle augmente, atteint un plateau, puis redescend. Mais dans tous les cas, coupeur de feu ou pas, elle aurait spontanément régressé», renchérit-il. «Avec ce genre de pratiques, bien souvent, on va taire ce qui ne marche pas et dire bien fort ce qui a marché», reprend le Pr Magné.
Mais il est bien possible aussi, de l’avis des médecins, qu’il y ait là un puissant effet placebo. «Je pense qu’une grosse partie de l’effet de ces coupeurs de feu est liée à la psyché des patients. Cela provoque un effet psychosomatique qui a retentissement sur le corps. Or on sait que les patients qui ne craignent pas les effets secondaires de leur traitement se portent globalement mieux que les autres». Le simple fait de croire en l’efficacité des coupeurs de feu activerait des mécanismes psychologiques et biologiques impliqués dans l’amélioration des symptômes.
Alors que faire? «Lorsqu’un patient me pose la question, je lui réponds que cela ne me paraît pas utile mais ils sont libres de le faire. Ça ne peut pas compromettre l’efficacité du traitement, raisonne le Pr Crehange de l’Institut Curie. En revanche, je me demande si ça en vaut le prix». Car si certains coupeurs de feu officient gratuitement, ceux qui en ont fait leur activité professionnelle demandent environ 60 euros par séance. «Honnêtement, je n’y vois pas d’intérêt. Mais si les patients ont le sentiment que cela peut leur apporter quelque chose, je ne prends pas d’énergie et de temps à m’y opposer», complète le Pr Magné.
Malgré l’absence de preuve d’efficacité, la pratique se poursuit, en particulier dans le cas du cancer. «L’annonce d’une maladie grave donne à certaines personnes le besoin de penser qu’il y a de l’espoir. Or tout ce qui est magique et ésotérique amène de l’espoir. C’est en partie pour cela que les patients atteints de cancer ont souvent recours aux thérapies alternatives», analyse Nicolas Pinsault. Autre raison qui pourrait expliquer l’engouement pour ces guérisseurs: une difficulté croissante à accéder à un médecin généraliste, en particulier dans les zones rurales.