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Patrick Weil, De la laïcité en France, Grasset, 2021, 162 pages, 14 €.
Vincent Peillon, Une théologie laïque ? PUF, 2021, 128 pages, 12 €.
Michel Seymour, Raison, déraison et religion. Plaidoyer pour une laïcité ouverte, Écosociété, « Théorie », n° 11, 2021, 288 pages, 20 €.
À l’occasion de la journée anniversaire du vote de la loi du 9 décembre 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, devenue, à la faveur de nos autorités républicaines, la Journée de la laïcité, et au lendemain du vote de la Loi confortant le respect des principes de la République (24 août 2021), il n’est pas inutile de faire un retour sur la production éditoriale sur le sujet. Sans pouvoir être exhaustif en raison du foisonnement d’ouvrages qui paraissent à propos de la laïcité chaque année, il est intéressant de revenir sur trois d’entre eux, parmi les plus récents. Les deux premiers, ceux de l’historien Patrick Weil et du philosophe Vincent Peillon s’attachent à l’exploration de la réflexion française sur la laïcité telle qu’elle s’est élaborée dans notre pays au tournant des XIXe et XXe siècles et a abouti à la forme spécifique de notre modèle actuel. Le troisième, émanant d’un philosophe canadien, Michel Seymour, propose une réflexion plus générale sur le concept de laïcité dans le contexte de la promulgation, très controversée outre-Atlantique, de la loi québécoise sur la laïcité de l’État (Loi 21 de 2019, validée par la Cour supérieure du Québec en avril 2021).
Dans un court opuscule, sobrement intitulé De la laïcité en France, Patrick Weil propose un parcours historico-philosophique de l’histoire de la liberté de conscience et d’expression en France, au lendemain du terrible attentat ayant coûté la vie à Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie qui avait consacré une heure de son programme d’enseignement moral et civique à ces deux libertés fondamentales. Afin d’éclairer un débat dont il déplore qu’il soit devenu si confus de nos jours, l’auteur s’attache à rappeler ainsi les quelques années décisives qui ont amené la République française à instaurer le dispositif légal de la séparation des Églises et de l’État. Faisant le point sur les décisions de principe et les batailles qui ont été menées par un gouvernement déterminé pour leur bonne application, il montre combien le législateur avait déjà finement envisagé toutes les situations potentiellement conflictuelles et, surtout, y avait apporté une réponse à la fois équilibrée et juste. Les cinq premiers chapitres rappellent le contexte dans lequel s’est déroulé cette politique de laïcisation et montre combien les deux premiers articles de la loi ont été à la fois une rupture franche d’avec la situation concordataire précédente et une avancée remarquable dans la garantie des libertés individuelles des Français. Il résume de façon claire et convaincante les différents espaces d’application de la laïcité : neutralité dans l’espaces de l’État, liberté complète dans les espaces cultuels et l’espace privé, et négociation dans les espaces publics civils. Il rappelle enfin que la loi de 1905 est aussi une loi de police des cultes, qui avait prévu la sanction de tel ou tel débordement de la loi, tant au niveau de l’État que des cultes eux-mêmes. Dans les chapitre suivants, l’auteur développe les conséquences de cette nouvelle réglementation sur la pratique religieuse en France, de la fin de la première guerre mondiale à nos jours, à travers les questions sensibles qui agitent l’école, le contrôle des mouvements dits sectaires, la place de l’islam et des musulmans dans la République. A chaque question soulevée, il montre de manière claire et dépassionnée que la solution existe déjà dans le dispositif légal plus que centenaire. Et c’est bien le message que l’auteur veut faire passer : les dérives religieuses d’aujourd’hui peuvent être facilement régulées par la loi de 1905, sans avoir besoin de recourir à l’inflation législative actuelle, superfétatoire, attentatoire aux libertés et possiblement discriminatoire.
Dans un non moins court ouvrage, l’ancien ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon revient de manière brillante et convaincante sur les conceptions spirituelles qui se combinent à des formes plus ou moins subtiles d’anticléricalisme chez les grands philosophes républicains de la fin du XIXe siècle. Rappelant l’opposition entre deux générations, celle encore très spiritualiste de 1848 (d’Edgar Quinet à Louis Blanc en passant par Jules Simon et Victor Hugo) et la suivante, plus positiviste et scientiste (de Camille Pelletan à Jules Ferry), il montre tout ce qui les distingue, en particulier dans l’appréhension de la place du religieux dans l’espace politique et publique. Revenant en particulier sur la personnalité riche et complexe de Jean Jaurès, le leader socialiste de l’époque, il montre combien ce dernier est bien loin de l’image convenue qui a été projetée sur lui par ses successeurs. Il rappelle ainsi que ce dernier a été l’un des artisans convaincus de la nécessité d’une loi de séparation des Églises et de l’État, qui soit à la fois juste, équitable et surtout respectueuse des croyances de ses concitoyens. Ce combat s’éclaire par le fait que les philosophes républicains tels que Jean Jaurès ou le penseur socialiste – plus oublié – Pierre Leroux avaient développé une véritable théologique laïque, à travers le développement d’une christologie très particulière. Celle-ci fait du personnage de Jésus le « divin représentant de l’humanité à son époque », celui qui, en renonçant à sa divinité, révèle que la puissance de sa sainteté est offerte à tous. Il peut se révéler comme l’une des figures puissantes de l’histoire, comme un modèle pour une véritable morale laïque, qui se fonderait dans le socialisme, nouvelle foi laïque. L’exhumation de celle-ci, presque mystique, exhume ainsi une partie de la pensée républicaine, qui s’est vivement opposée aux partisans d’une destruction radicale de la religion chrétienne lors des persécutions combistes précédant la loi d’apaisement de 1905. Le grand mérite de cet ouvrage suggestif est enfin de restituer toute sa complexité philosophique et pratique au concept de laïcité, trop souvent exagérément simplifié dans les débats actuels.
Le gros ouvrage de Michel Seymour élargit quant à lui largement le spectre de l’étude de la laïcité, à la fois dans le temps et dans l’espace. Prenant comme point de départ les réflexions de Charles Taylor, ce philosophe canadien, auteur du très commenté L’âge séculier (2007 ; traduction française au Seuil, 2011), il convoque la pensée de plusieurs philosophes du politique et de la sécularisation afin de « ménager une voie médiane entre le républicanisme jacobin et le libéralisme individualiste et, plus généralement, entre le modèle assimilationniste français et le modèle multiculturaliste canadien ». Le propos de l’auteur est ambitieux. Il veut à la fois mieux éclairer les différentes théories philosophiques émises à propos de la place du religieux et de la gestion du pluralisme dans les sociétés modernes et proposer, sous la forme d’un essai engagé dans les débats contemporains, une solution raisonnable et universalisable à ces sociétés plurielles. Persuadé que la réflexion théorique peut beaucoup apporter aux problèmes pratiques rencontrés par nos sociétés (du sexisme au racisme y compris l’islamophobie, etc…), il souhaite fournir un réservoir d’arguments solides aux contempteurs de la théorie du « clash des civilisations ». Plaidant pour une réconciliation dialectique entre tenants de la société libérale et ceux d’une société communautarienne, il s’attache à démonter les préjugés qui fondent ces deux projets concurrents de la société. En décrivant leurs fondements philosophiques, politiques ou religieux et en les prenant au sérieux, il veut ainsi contribuer à une meilleure compréhension de nos débats en cours, qui s’attachent généralement et de manière quasi obsessionnelle au signe visible du religieux dans l’espace public. Sa réflexion particulièrement décentrée en fait un ouvrage de référence qui peut nous permettre d’élargir le débat, bien au-delà de celui auquel nous condamnent nos œillères identitaires et nationales.