Lundi dernier, à la suite d’un conflit diplomatique lié au Sahara occidental – Madrid a autorisé fin avril l’hospitalisation d’un leader indépendantiste sahraoui du Front Polisario provoquant l’ire du royaume chérifien – les autorités marocaines ont laissé passer près de 8 000 personnes dans l’enclave espagnole de Ceuta. Un événement inédit alors que le royaume fait office de gendarme frontalier au service de l’Union européenne. Mais comment l’UE gère-t-elle ses frontières ? Sous quels traités et partenariats ? Pourquoi ces accords ne permettent-ils pas d’éviter ce genre de chantages et de dérives ? Décryptage avec Mehdi Alioua, sociologue, enseignant chercheur à Sciences Po Rabat de l’Université Internationale de Rabat et spécialiste des questions migratoires.
Marianne : Quels sont les traités qui encadrent les relations migratoires entre le Maroc et l’Union Européenne ?
Mehdi Alioua : Il n’existe pas de traité spécifique entre l’Union européenne et le Maroc. Tout simplement parce que la gestion des frontières européennes reste une compétence des Etats limitrophes avec les pays hors UE – comme l’Espagne avec le Maroc ou la Bulgarie avec la Turquie. L’UE se doit néanmoins d’aider financièrement ces pays membres dans leur mission.
Entre le Maroc et l’UE il existe en revanche un “partenariat pour la mobilité” signé en 2013. Ce partenariat est seulement déclaratif, il ne relève donc pas du droit international. (Cette coopération a été mise en place pour faciliter les procédures d’octroi des visas notamment pour les hommes d’affaires, les étudiants ou encore les chercheursNDLR). Avec le Maroc, il s’agit aujourd’hui du principal outil officiel de Bruxelles pour limiter l’immigration et accroître sa politique sécuritaire. Il arrive cependant que l’Union européenne signe des accords bi-latéraux avec des pays extérieurs qu’elle paie parfois très cher : je pense notamment à l’accord UE-Turquie de 2016, qui a couté 6 milliards d’euros à Bruxelles pour cogérer les flux migratoires partant des plages turques et limiter les entrées en Europe.
Sur la gestion migratoire, quelles sont les relations entre le Maroc et l’Espagne ?
Il faut d’abord préciser que ces deux pays ont une histoire en commun assez forte et que l’histoire coloniale espagnole a fortement marqué les esprits marocains. Avec l’Espagne, il y a eu en 1992 un traité important qui a introduit à la fois des accords sur les mineurs marocains et les non-ressortissants. En ce qui concerne l’enclave espagnole de Ceuta, située au nord du Maroc, il existe des accords simplement diplomatiques. Rabat est certes aidé par l’UE pour surveiller cette frontière, mais les autorités marocaines consentent surtout à la surveiller pour avoir une bonne relation avec l’Europe. Depuis 2013, pour 200 millions d’euros étalés sur 7 ans, Rabat joue le rôle du gendarme ultra-répressif. Reste que le Maroc prend des risques considérables. Pour ses propres citoyens d’abord, puisqu’en surveillant cette frontière, le royaume subit de fortes pressions de la part de groupes terroristes, sans compter les critiques permanentes des ONG humanitaires qui ternissent régulièrement son image en matière de droits de l’Homme. De fait, si le Maroc se sent maltraité, abandonné ou encore stigmatisé, comme c’est le cas aujourd’hui avec le Sahara occidental, il peut très vite décider de faire pression en omettant de surveiller une partie de la frontière.
Dans quelle mesure cette stratégie européenne d’externalisation du contrôle migratoire est-elle efficace ?
Ces accords permettent à l’UE, qui ne peut contrôler ses frontières, d’avoir une certaine mainmise sur la question migratoire. Mais ils sont problématiques sur plusieurs points. D’abord dans leur esprit, qui consiste à considérer l’immigration comme un phénomène exclusivement néfaste. Ensuite, parce que ces accords bilatéraux continuent de faire des millions de victimes. Rappelons que 80% des personnes qui meurent sur les routes migratoires qui mènent vers l’Europe meurent aux frontières de l’UE. Cela devrait beaucoup plus choquer. Enfin, parce que cette externalisation laisse à des pays comme le Maroc mais plus encore comme la Turquie un levier de pression très puissant en cas de conflit diplomatique.
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