Publié le 9 février dans Le Figaro (par Paul-François Paoli)
Il est mort en 1882, à 44 ans mais l’essentiel était fait. Chacun a son idée sur Léon Gambetta. En général on associe son nom à son périple en ballon depuis Paris jusqu’à Tours lors de la guerre de 1870 avec la Prusse. Cette image l’a rendu célèbre au-delà des frontières. Il fallait de l’audace, beaucoup d’audace, pour survoler les lignes allemandes qui enserraient une capitale que la faim et le froid commençaient à tenailler. Gambetta, ministre de l’Intérieur et de la Guerre au sein du gouvernement de défense nationale, va redonner du cœur à une armée démoralisée. La République vient d’être proclamée sur les ruines du second Empire et il veut en être le Danton.
Le 21 septembre 1871, il proclame: «Il y a soixante-dix-neuf ans, nos pères fondaient la République et se juraient à eux-mêmes, en face de l’étranger qui souillait le sol de la patrie, de vivre libre ou de mourir en combattant… Sachons comme eux forcer la victoire en affrontant la mort.» Quelques mois durant, il parvient à galvaniser le pays puis laisse le pouvoir à Adolphe Thiers qui sait la guerre perdue et parvient à obtenir le départ des Allemands après avoir écrasé la Commune.
Grandeur nationale
Gérard Unger nous rappelle dans cet essai très approfondi à quel point Gambetta lui-même, tout progressiste qu’il fut, était étranger à l’idée révolutionnaire et indifférent au sort d’un prolétariat dont il distinguait à peine l’existence. «Il se rapproche de Thiers pour qui en 1871 la République est un fait qui doit être reconnu par tous car elle assure l’ordre et la paix sociale: en tirant sur le peuple durant la Commune, le régime a montré qu’il a cessé d’être révolutionnaire.» La vie de Gambetta nous est restituée de sa scolarité au petit séminaire jusqu’à ses premiers pas dans l’avocature et la politique après une jeunesse étudiante bohème. Une époque qui a vu le positivisme et sa religion du progrès par la science prendre le dessus, avec brutalité parfois, sur la religion catholique qui fut favorisée par l’Empire. L’École obligatoire et laïque qu’il faut instaurer, l’armée qu’il faut restaurer et l’Empire colonial qu’il faut développer pour assurer la grandeur nationale sont les trois objectifs de celui qui se situe à la gauche de Jules Grévy et de Jules Ferry, plus «bourgeois» que lui, mais à la droite de Clemenceau, plus radical.
«Et quant à moi, je me sens l’esprit assez libre pour être le dévot de Jeanne la Lorraine et l’admirateur et le disciple de Voltaire», déclara-t-il lors du centenaire de la mort de celui qui s’est moqué, sa vie durant, de la Pucelle. Inconséquent et fumeux Gambetta? Certains l’ont pensé, comme Jules Vallès qui le traitera de «Danton de pacotille». Pour Gérard Unger, Gambetta veut, ni plus ni moins, «réconcilier les deux France» et parvenir à faire coopérer la bourgeoisie et les classes populaires à travers le culte de la patrie. «C’est cet alliage entre l’idée de patrie, la défense de la République et la volonté d’avoir une armée puissante et populaire qui explique, malgré l’affaire Dreyfus, que la France a été prête psychologiquement, techniquement et matériellement à affronter en 1914 l’agression allemande. Là encore, Gambetta a tenu un rôle majeur en ne laissant pas à la droite nationaliste le monopole du patriotisme.» Quelques décennies plus tard un certain de Gaulle s’en souviendra.
Gambetta. De Gérard Unger, Perrin, 480 p., 25 €. Perrin