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Le philosophe Yves Michaud coauteur avec Sébastien Clerc de « Parler de religion en classe ».
Dun côté, le noble et très français concept de laïcité ; de l’autre, une réalité minée par la question religieuse. C’est pour combler le vide que Sébastien Clerc, professeur de français et d’histoire-géographie, et Yves Michaud, philosophe, ont rédigé un guide à destination des enseignants pour Parler de religion en classe (Belin Éducation). Le premier, à travers son expérience, démontre qu’il est possible de traiter du sujet en évitant le piège des croyances. Le second livre aux professeurs un «lexique républicain des religions».
Dans Parler de religion en classe, vous proposez aux enseignants d’entrer dans le sujet par un autre chemin que celui de la laïcité. Pourquoi ?
Yves MICHAUD. Agiter le drapeau de la laïcité, c’est déjà s’engager sur une voie périlleuse. La laïcité est une spécificité française difficile à appréhender. Pourquoi ne pas parler de séparation de l’Église et de l’État? Mais nous avons en France une forte tradition laïcarde ! Aujourd’hui, cette laïcité est appréhendée par les enfants musulmans comme de l’islamophobie, un moyen pour le gouvernement de détruire l’islam.
Après les attentats de 2015, une Journée de la laïcité a été instaurée dans les écoles. Est-ce pertinent ?
Je serais d’avis de parler d’une «journée républicaine». Une journée de la laïcité, c’est lunaire. Personne n’y comprend rien. En 2017, j’ai donné des cours de philosophie dans un collège de Gennevilliers. J’ai découvert un corps enseignant très jeune, très motivé, plutôt bien formé. Pour eux, la laïcité est abstraite, mais les problèmes, très concrets. Au moment de l’Aïd, il n’y a personne dans l’établissement, en dehors de la principale.
Comment, alors, aborder le sujet en classe ?
Nous proposons aux enseignants une approche anthropologique du fait religieux. Aujourd’hui, l’enseignement du fait religieux n’est pas au point. Dans les faits, il est confié aux seuls professeurs d’histoire et de français. Et il est historique. Avec une approche purement historique, soit on entre dans le détail des religions, au risque de tomber dans une incroyable complexité, soit on passe tout en revue, et l’on tombe dans le simplisme, contribuant, ainsi, à la progression de l’ignorance.
Sébastien Clerc fait le constat d’«analphabétisme religieux» des élèves. Et les enseignants ?
J’ai constaté cet analphabétisme lorsque je donnais des cours de philosophie pour adolescents au collège Herriot, à Maison-Alfort, entre 2003 et 2006. J’avais peu de musulmans, davantage de juifs, de catholiques, de sans-religion. Quand je leur ai parlé du film La Passion du Christ, leur question a été: «C’est gore, monsieur?» Ces élèves sont aujourd’hui des parents, des professeurs! Les chrétiens ont perdu la notion de rite. A contrario, la force de l’islam tient à son approche très rituelle. Sur les cinq piliers, un seul relève de la croyance, et il tient en une phrase. On se convertit en un clic!
Depuis le rapport Debray qui, en 2002, a insisté sur la nécessité d’enseigner le fait religieux, les choses ont peu progressé. Pourquoi, selon vous ?
La formation des enseignants sur ce point est quasi inexistante. Quant au rapport Debray, il porte une parole monothéiste, venue d’en haut, ce qui n’est pas, selon moi, la bonne approche.
Vous avez effectivement pris le parti de sortir des religions monothéistes. Pour quelles raisons ?
Beaucoup de musulmans noirs sont animistes. Sébastien Clerc l’a constaté dans ses classes. Le Coran, lui, fait souvent allusion aux «Djinns», les esprits. L’animisme intéresse les jeunes élèves. Avec cette accroche, ils ne restent pas bloqués sur l’islam. Si l’on parle de monothéisme, c’est vite vu: d’abord le judaïsme, puis le christianisme, et enfin l’islam… Il n’y a plus à discuter.
Début 2018, le président Macron a annoncé vouloir relancer l’enseignement du fait religieux. Qu’attendez-vous de lui ?
Nous attendons son discours sur la laïcité. Il me semble que, notamment sous l’influence de son ministre de l’Éducation, le président a pris la mesure de la complexité des choses. Au départ, je pense qu’il a une vision assez communautariste et libérale des choses. Celle qui fut jadis la mienne. J’ai longtemps cru en un communautarisme doux.
Vous ne croyez plus au «communautarisme doux» ?
Je suis très influencé par la philosophie anglaise des XVIIe et XVIIIe siècles, qui fait toute sa place au droit à la différence. Un voile, un bonnet jamaïcain ou de matelot, pour moi, c’est du folklore. Mais aujourd’hui, certains signes sont un mode de pression et d’endoctrinement. Il faut marquer les limites autour des valeurs républicaines.
Dans l’ouvrage, vous écrivez que l’islam, comme les autres religions monothéistes doit intégrer les principes de la République. Où en sommes-nous ?
Loin, de par la nature de l’islam. L’islam est antirépublicain sur deux points: la supériorité de la charia sur le droit positif et le crime d’apostasie. Dans les années récentes, j’ai beaucoup travaillé au Maghreb, avec des intellectuels, des féministes, qui essaient de faire bouger les choses. J’ai découvert des croyants estimant que seulement 5 % de la charia était acceptable. Ces gens m’ont fait comprendre à quel point nous étions laxistes.