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C’est formidable, la mobilisation est générale.
La mort de Gaïd Salah rebat les cartes en Algérie
Ils n’attendaient plus grand-chose de leurs concitoyens et ont été surpris par le mouvement de contestation anti-Bouteflika. Depuis, Kamel Daoud, Boualem Sansal, Yasmina Khadra, Mohamed Sifaoui et d’autres tentent de dépasser leurs divisions et de nouer le dialogue.
L’écrivain Kamel Daoud à Oran, le 14 juillet, 2019
Kamel Daoud commence par avaler un Doliprane 1 000. Arrivé la veille de sa ville d’Oran, l’intellectuel algérien est à Paris pour la journée, avec cinq rendez-vous d’affilée et un vol pour la Norvège le soir. Deuxième interview de la matinée dans un bureau de chez Stock et ce mal de tête qui ne passe pas. La faute au cocktail de la soirée précédente. Le 22 mai, la Revue des deux mondes lui remettait un prix pour son dernier livre, Le Peintre dévorant la femme, où il déambule et disserte au musée Picasso.
L’écrivain Boualem Sansal à Boumerdès,
La faute sans doute aussi au temps qui s’accélère, à un agenda qui, depuis fin février et les premières manifestations en Algérie, ne lui offre guère de pauses. Le mouvement l’a bouleversé – « à la marche du 1er mars, à Oran, j’en ai pleuré » – et fatigué. « En matière d’emploi du temps, ça m’a tué, déplore-t-il. C’est physique, il faut être un peu partout, prendre des trains, des avions, répondre à des questions. J’ai refusé 80 % des demandes de conférences ou d’entretiens. Avec Boualem et d’autres, nous sommes la vitrine de l’Algérie, alors tous les médias internationaux nous sollicitent. »
Boualem, c’est son ami l’écrivain Boualem Sansal. Ils n’ont toujours pas échangé sur cette révolte, si ce n’est par quelques mails. Pas d’espace pour se rencontrer en Algérie, car « le régime nous disperse depuis cinquante ans », se désole Kamel Daoud, ” ni le temps de partager un couscous à Paris ». « Je vais peut-être voir Boualem en Norvège ce soir,espère-t-il. Ce n’est pas commun pour deux Algériens ! ». Kamel Daoud, Boualem Sansal, le romancier Yasmina Khadra, le journaliste Mohamed Sifaoui et quelques autres… Depuis le début de la contestation, ils occupent la scène médiatique française. Pour autant, ces intellectuels, écrivains ou « experts », qui ont déjà du mal à se rencontrer, sont loin de former une communauté unie. Trop différents, très indépendants, suscitant pour certains de fortes polémiques, leurs relations peuvent être amicales, mais aussi distantes ou glaciales. S’ils partagent un point commun, c’est d’avoir été bousculés par le mouvement de protestation, le hirak comme on dit en arabe.
« Je me suis jeté à fond dans les marches avec les jeunes. J’ai fait les premiers vendredis à Alger pour observer, écouter. » nous dit Boualem Sansal.
Comme beaucoup, les trois plus célèbres auteurs algériens de leur époque n’ont rien vu venir. Le 14 janvier, un mois avant le début du mouvement, Kamel Daoud et Boualem Sansal se désespéraient en chœur du sort de leur pays, dans Le Figaro. « Comme le gaz, l’islamisme occupe tout », se plaignait Sansal. « Nous n’avons plus de citoyens, mais des croyants », renchérissait Daoud. Changement de ton désormais. Tous deux applaudissent le courage de la génération qui a osé. Yasmina Khadra aussi a fait son mea culpa dans Le Parisien, le 28 février : « Pendant des années, j’ai écrit que l’Algérie avait renoncé. C’est un vrai bonheur de m’apercevoir que je me trompais. »
Quant à Mohamed Sifaoui, il a remporté la palme du plus mauvais timing. Le 21 février, il publiait son essai, Où va l’Algérie ? (éd. du Cerf), dans lequel il concluait : « Hormis quelques utopistes, les citoyens ne cherchent même plus à s’impliquer. » Le lendemain, des dizaines de milliers d’Algériens marchaient dans la rue contre le cinquième mandat du président Bouteflika. Sifaoui aussi a répété toute « sa solidarité avec le peuple algérien ». Boualem Sansal a perdu 15 kilos. Dans le jardin de Gallimard, son éditeur depuis Le Serment des barbares, en 1999, l’écrivain aux cheveux gris noués en catogan nous révèle les secrets de sa fine silhouette. Plus efficace que les régimes végétaliens, sans gluten, paléo ou autres, le régime révolution. Le mouvement – il préfère ce terme –, il ne l’a pas vécu de son salon. « J’étais tellement content, raconte-t-il, que je me suis jeté à fond dans les marches avec les jeunes. J’ai fait les premiers vendredis à Alger pour observer, écouter. J’ai retrouvé des amis d’enfance dans mon quartier de Belcourt, celui de Camus. J’ai aussi réuni du monde pour discuter dans ma grande maison de Boumerdès, une ville universitaire à 50 kilomètres d’Alger. »
« De la même façon que les Algériens retrouvent l’espace public et la possibilité de marcher ensemble, les écrivains retrouvent la possibilité de se rencontrer. » raconte Kamel Daoud.
Il ne pouvait laisser passer ça, lui qui, en 2006, appelait au soulèvement populaire dans Poste restante : Alger– pamphlet interdit en Algérie. A la fois enthousiaste et inquiet, Boualem Sansal a pensé organiser une rencontre littéraire chez lui. Trop compliqué. Alors il a opté pour Paris, une ville où cet ami d’Antoine Gallimard loge souvent dans un appartement du groupe éditorial. Le 15 mai, Boualem Sansal a rassemblé une quinzaine de personnes au Goethe-Institut, dont les écrivains Yahia Belaskri et Anouar Benmalek, le dramaturge Mohamed Kacimi, l’intellectuelle Wassyla Tamzali… Invités, Yasmina Khadra n’a pas donné suite et Kamel Daoud a décliné, retenu en Italie et très occupé par son semestre de cours d’écriture à Sciences Po.
Depuis le début du mouvement, cette réunion est une première. « C’est très important que les intellectuels algériens échangent en France, car le débat est difficile là-bas, explique l’écrivaine et féministe Wassyla Tamzali, qui vit entre les deux pays. Nous avons tous été pris de court et ce qui nous a beaucoup étonnés, c’est la maturité de la jeunesse, pas si bête que ça ! Elle est politisée et intellectuellement formée. » A défaut d’avoir inspiré le mouvement, les participants veulent le soutenir et lancer un « journal de guerre ». Kamel Daoud a promis qu’il serait de la prochaine réunion, en Espagne : « Pour une fois que nous avons une cause et la possibilité de parler, pas d’une voix commune, car je n’aime pas l’unanimisme, mais de réfléchir en commun. De la même façon que les Algériens retrouvent l’espace public et la possibilité de marcher ensemble, les écrivains retrouvent la possibilité de se rencontrer. »
Chroniqueur hebdomadaire au Quotidien d’Oran (en français) et au Point, mais aussi pour le New York Times et Le Monde des religions, le lauréat du Goncourt du premier roman en 2015 pour Meursault, contre-enquête (éd. Barzakh et Actes Sud) est devenu le plus médiatisé de tous. La moitié de l’année à Oran et le reste du temps à l’étranger, il explique qu’il rencontre à Paris ou lors de festivals en Europe des scénaristes, des réalisateurs ou des journalistes algériens en exil. « Mais ce petit cercle ne fonctionne pas comme un lobby, constate-t-il. C’est peut-être ce qu’est en train de créer Boualem, et c’est tant mieux. Il faut trouver un juste équilibre entre un cercle de réflexion et l’indépendance de chacun. Car les écrivains fétichisent leur indépendance. »
« Il craint l’amalgame avec les autres écrivains algériens, avec lesquels il peut être ami sans partager les mêmes positions politiques. » Betty Mialet, éditrice de Yasmina Khadra
L’écrivain Yasmina Khadra, le 9 septembre 2018
Il y en a un que ce terme de cercle ferait bondir, c’est Yasmina Khadra. Du moins, on l’imagine, car il a refusé de nous rencontrer. Auteur de plus d’une trentaine de romans, dont les best-sellers L’Attentat (éd. Julliard, 2005) et Ce que le jour doit à la nuit (éd. Julliard, 2008), traduit dans plus de 40 langues, ce romancier de 64 ans qui vit la majeure partie du temps à Paris refuse la plupart des rencontres ou interviews qui l’associent à d’autres écrivains algériens. Il n’était pas au Goethe-Institut et devrait snober en novembre les Rencontres littéraires de Cannes, consacrées à l’Algérie. Maïssa Bey, Kamel Daoud – qui, chacun sait, n’est pas son écrivain préféré – et Boualem Sansal devraient y être présents, sans lui.
« Il déteste la notion de ghetto, explique son éditrice Betty Mialet, chez Julliard. Il craint l’amalgame avec les autres écrivains algériens, avec lesquels il peut être ami, comme avec Boualem Sansal, sans partager les mêmes positions politiques. » Sa volonté de distance crée parfois de petits incidents. Le 25 février, il était invité à débattre sur CNews avec l’historien Benjamin Stora et le journaliste Mohamed Sifaoui. Ces derniers ont appris qu’ils n’échangeraient finalement qu’à deux. Yasmina Khadra avait exigé d’être interviewé seul, en tout cas sans Sifaoui. Croyant et ancien commandant de l’armée, celui qui a combattu le GIA pendant la décennie noire explique souvent qu’il faut distinguer religion et idéologie, quand d’autres ne cessent de les rapprocher. Et si Khadra critique durement le régime aujourd’hui, il sait que beaucoup lui en veulent d’avoir dirigé le Centre culturel algérien à Paris, de fin 2007 à 2014, à la demande du président Bouteflika. Avant d’être limogé par ses soins. De son vrai nom Mohammed Moulessehoul, le romancier algérien le plus connu et sans doute le plus controversé, quitte ses fonctions de directeur du Centre culturel algérien à Paris. Parti, en laissant une adresse : « Actuellement en vacances à Cuba ». Yasmina Khadra n’a pas attendu la publication, jeudi 29 mai, du décret présidentiel mettant fin à ses fonctions de directeur du Centre culturel algérien à Paris, pour reprendre son « chemin d’écrivain », comme il l’a confié au site d’information TSA. Il a quitté ainsi, sans panache, en deux lignes sèches parues dans le Journal officiel d’Alger, des fonctions honorifiques qui lui avaient été confiées en 2008. Limogé par le président Bouteflika d’un trait de plume, ses relations avec le pouvoir se sont tendues. Yasmina Khadra – un ancien officier supérieur de l’armée algérienne marqué par la lutte contre les groupes armés islamistes – était certes loin d’avoir récolté les 60 000 signatures d’électeurs nécessaires. Mais à l’occasion de la petite tournée qu’il a effectuée dans le pays, l’écrivain en langue française s’est autorisé quelques commentaires bien sentis sur le quatrième mandat du président Bouteflika, qualifié « d’absurdité » et de « fuite en avant suicidaire ». Au même moment paraissait son trentième ouvrage, Qu’attendent les singes (Julliard, 360 pages, 19,50 euros), une peinture féroce d’Alger, « mythique capitale enlisée jusqu’au cou dans ses vomissures », et de ses rboba, décideurs de l’ombre, aussi sanguinaires que dégénérés. Un polar prétexte pour une critique au vitriol de la part d’ombre du pouvoir algérien, dans lequel un puissant est décrit comme « un super citoyen exonéré d’impôt », capable de « racler le fond du Trésor public autant de fois qu’il le souhaite ». Auteur à succès traduit en 43 langues, Yasmina Khadra n’a pas toujours été aussi sévère. Ses romans, A quoi rêvent les loups, L’Attentat, ou Ce que le jour doit à la nuit, n’ont pas fait de lui le porte-drapeau d’une contestation. Le père du commissaire Llob, personnage fétiche qui fit sa renommée, s’est parfois heurté à ses congénères sur le « printemps arabe » tenu à bonne distance par Alger.
Les écrivains algériens de langue française se divisent en deux groupes, selon Sofiane Hadjadj, cofondateur des éditions Barzakh à Alger. D’un côté, ceux qui s’expriment peu et restent sur leur position de romancier, telles la jeune Kaouther Adimi et Maïssa Bey (deux auteures maison), ou ceux qui interviennent davantage mais sans créer le débat, tel Yasmina Khadra. De l’autre côté, les écrivains polémistes, « au sens noble du terme, avec un grand P », comme Kamel Daoud, qu’il publie, et Boualem Sansal. Au final, surtout des voix d’hommes…
« Kamel est l’archétype de l’auteur qui divise, analyse l’éditeur. Comme Sansal, il aborde les questions clivantes de l’islam, de la laïcité, du corps. En France, on leur prête des arrière-pensées, des calculs, car les relations franco-algériennes sont toujours à vif. En Algérie, où le milieu culturel est très fragile, ces écrivains qui suscitent le débat sont précieux. Ils apportent une grande bouffée d’oxygène dans la vie intellectuelle. Sinon, on se contenterait du nationalisme triomphant. » Et ils sont entendus. Car à la suite de leur succès à l’international, Khadra, Sansal et Daoud sont aussi célèbres les uns que les autres dans leur pays.
Les crispations se nouent surtout autour de l’islam et de l’islamisme. Adolescent, Kamel Daoud a été séduit par l’islam politique. « J’ai tout arrêté à 18 ans », assure-t-il. Ancien haut fonctionnaire, Boualem Sansal, lui, se définit comme « très laïc ». Agés de 49 et de 69 ans, ils ont une génération d’écart et un parcours différent, mais tous deux ont été très marqués par la guerre civile, le terrorisme islamiste et les massacres des années 1990. Leurs avis tranchants viennent de là.
De sa voix douce, Sansal explique ainsi que « l’islamisme finira par arriver au pouvoir dans des pays européens, comme la France et la Belgique, d’ici cinquante ans ». L’auteur de ” 2084, la fin du monde” (éd. Gallimard 2015), dystopie sur l’avènement d’un régime totalitaire inspiré de l’islamisme, raffole des sombres prophéties à la Houellebecq. « La gauche française considère mes propos comme islamophobes, remarque-t-il. Pourtant, dans mes livres, je critique l’extrême droite et le fascisme. » En France, il se sentirait proche de François Bayrou ou, comme Kamel Daoud, d’Emmanuel Macron. On fait plus extrême. « Boualem est sincère dans sa véhémence, le défend son éditeur Jean-Marie Laclavetine. Il y a quelque chose de très pur chez lui, une sorte de sagesse hiératique assez mystérieuse. Il veut être au plus près de sa pensée. Mais il va parfois trop loin, ne calcule pas les conséquences médiatiques de ses propos. ”
« Kamel Daoud et Boualem Sansal n’attaquent plus le peuple frontalement en lui reprochant de se soumettre et deviennent plus optimistes. » raconte Thomas Serres, enseignant en science politique.
Quant à Kamel Daoud, chacun se souvient de la tempête déclenchée par sa tribune publiée le 29 janvier 2016 dans le monde après les agressions sexuelles du Nouvel An à Cologne. « L’Autre vient de ce vaste univers douloureux et affreux que sont la misère sexuelle dans le monde arabo-musulman, le rapport malade à la femme, au corps et au désir », écrivait-il. Une dizaine de jours plus tard, un collectif d’universitaires de gauche l’accusait de favoriser « l’islamophobie ». « Il y a quand même une pathologie franco-algérienne, commente aujourd’hui Daoud, par ailleurs souvent menacé sur les réseaux sociaux. Ce papier, je l’ai d’abord publié dans La Republica, en Italie, puis dans deux journaux suisse alémanique et allemand. Il a suscité des réactions saines, des pour et des contre. Alors qu’en France, ça a été un vrai lynchage. ». Thomas Serres, l’universitaire qui a rédigé la tribune contre ses propos, estime que l’actualité a désormais fait bouger les lignes. « Avec la contestation algérienne, Kamel Daoud et Boualem Sansal se refont une virginité, juge l’enseignant en science politique à l’Université de Californie, à Santa Cruz. Ils n’attaquent plus le peuple frontalement en lui reprochant de se soumettre et deviennent plus optimistes. Car leur pessimisme libéral et élitiste ne représentait pas grand monde en Algérie. ». Dans LeQuotidien d’Oran en 2013, Kamel Daoud se demandait, par exemple, si « Les Arabes (étaient) mûrs pour la démocratie ? ».Forcément, ça pouvait énerver. A propos de sa non-représentativité, l’auteur parle d’un malentendu. « Je ne suis pas un parti politique, martèle-t-il. Je suis un écrivain. Un écrivain, c’est une subjectivité dans son irrespect, dans sa rébellion, dans son erreur. » Peut-être néglige-t-il un peu vite qu’il est aussi éditorialiste. « Quand un écrivain algérien parle sur France 2 ou dans Le Monde, insiste son éditeur Sofiane Hadjadj, beaucoup pensent à tort qu’il s’exprime au nom de son pays. D’ailleurs, en Algérie, on aime faire référence à de grands écrivains, comme Mohammed Dib, qui ont écrit des chefs-d’œuvre, de grandes fresques algériennes qui englobent tout le monde. Mais, aujourd’hui, ce n’est plus possible de parler au nom de tous. Avec Kamel, nous sommes d’une génération qui s’est battue pour que notre voix soit singulière, pour que les écrivains emploient le “je” dans un pays où tout est collectif. » Le plus critiqué de tous n’est pas un écrivain, mais un journaliste franco-algérien.
Le journaliste Mohamed Sifaoui, le 12 juin
Auteur de reportages et d’ouvrages sur l’islam politique et le terrorisme, m antiraciste, Mohamed Sifaoui est très actif sur les réseaux sociaux. Dans un café parisien, il discute avec un homme, qui s’éclipse à notre arrivée. Depuis 2015 et l’attentat de Charlie Hebdo, qu’il a défendu dans son droit de publier des caricatures de Mahomet, il est sous protection policière. Provocateur, celui qui reconnaît être « assez bagarreur » est, lui aussi, parfois accusé de faire le jeu des islamophobes. Surtout, beaucoup d’Algériens lui reprochent de mal comprendre le pays. Seulement, il n’a plus le droit d’y retourner. Ancien journaliste au Soir d’Algérie et à L’Authentique, « voix discordante » du régime, raconte-t-il, il a dû s’exiler en 1999 pour éviter la prison. « Je n’enquête pas sur la société mais sur le régime, se défend-il. Mes informateurs, je les appelle ou les rencontre en France, en Espagne ou en Italie. » Etiqueté « expert de l’Algérie » à la télé, il est le premier à relativiser son succès médiatique.
« On ne m’invite pas parce que je suis le meilleur commentateur de l’Algérie, remarque-t-il, mais parce qu’il y a peu de journalistes suffisamment informés sur ce pays. La méconnaissance de l’Algérie est totale en France. » Boualem Sansal, avec qui il prend un café de temps à autre, l’apprécie. Tout comme Kamel Daoud, qui suit ses analyses sur le pouvoir algérien. Quant à ses détracteurs, il a sa théorie : « Le régime a créé une suspicion contre les intellectuels, que l’on retrouve ici en France. »
« Nous sommes pris entre la fabrique du dissident et la fabrique du traître. » poursuit Kamel Daoud.
Les auteurs algériens engagés font en réalité l’objet d’une sorte d’amour-haine des deux côtés de la Méditerranée. « Les gens ne nous pardonnent pas notre indépendance, constate Kamel Daoud. Nous sommes pris entre la fabrique du dissident et la fabrique du traître. » En Algérie, « à la fois le régime et les islamistes essaient de nous délégitimer, d’expliquer qu’on est des agents de l’étranger, inféodés à la France ». D’une façon générale, critiquer l’Algérie depuis la France, le pays des anciens colons, cela passe mal.
En Occident, à l’inverse, « on nous chamanise, on nous demande de lire l’avenir ». Le 22 novembre 2018, Valeurs actuelles a, par exemple, fait sa « une » sur « Boualem Sansal, l’écrivain qui résiste aux fous d’Allah », avec un portrait titré « Le nouveau Soljenitsyne ». Sur ces qualificatifs, Sansal ne trouve rien à redire. Quant au fait que l’hebdomadaire soit très à droite, ce n’est pas son problème : « Je ne vis pas en France. »
Auteur du livre Algérie, les écrivains dans la décennie noire (CNRS Editions, 2018), Tristan Leperlier, chercheur en littérature au CNRS, parle « d’héroïsation ambiguë des écrivains algériens en France ». Comme si l’on cherchait de nouveaux Voltaire, des Sartre et des Camus. Une héroïsation qui dissimule, selon lui, des arrière-pensées politiques, « car on attend souvent des écrivains qu’ils critiquent le régime algérien et l’islam ». Elle peut cacher aussi « le symptôme d’une difficulté à les considérer à égalité avec les écrivains français ». Une condescendance que n’a pas dû sentir Kamel Daoud, le 5 juin, sous la coupole de l’Institut de France. L’académicienne Hélène Carrère d’Encausse lui a remis le prix Cino Del Luca et l’a salué pour « l’universalité de son œuvre » et « son combat contre l’obscurantisme ». Peut-être s’est-il senti chamanisé…
Héroïsés, vilipendés, menacés, jalousés… Pas simple la vie des intellectuels algériens qui s’expriment en France. Mais depuis qu’ils ont pris fait et cause pour la contestation, les critiques à leur encontre semblent s’estomper. Quant à leurs lignes de fracture, elles pourraient passer à l’arrière-plan. C’est du moins ce qu’on s’est imaginé quand Sifaoui, le roi de la polémique, a lancé : « Nous avons tous intérêt à domestiquer nos ego et à mettre nos divergences de côté pour discuter de l’avenir. »
Pour Boualem Sansal, c’est une question de devoir. « Le rôle des intellectuels et des écrivains, pour minime qu’il soit, doit être assuré, affirme-t-il en juin, de retour à Boumerdès – sans avoir d’ailleurs, pu croiser Daoud en Norvège. C’est une responsabilité morale. Le problème, c’est que nous ne sommes pas nombreux et beaucoup vivent en Europe. Mais je viens d’apprendre que des écrivains arabophones se sont réunis à Alger pour soutenir le hirak. C’est formidable, la mobilisation est générale. »
La mort de Gaïd Salah rebat les cartes en Algérie |
Un coup de tonnerre. Avec la mort ce matin du puissant général Ahmed Gaïd Salah, victime d’une crise cardiaque à 79 ans, le régime algérien a perdu son homme fort. Le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, investi jeudi dernier, a décrété trois jours de deuil national, “un hommage sans précédent pour un chef d’état-major”, note Naoufel Brahimi El Mili, auteur du livre France-Algérie : 50 ans d’histoire secrète. “C’est un aveu de la présidence, qui prouve que Gaïd Salah était le pouvoir.”
Mais la disparition du chef d’état-major de l’armée “retire une épine du pied” du président, estime le politologue, qui rappelle que le militaire était devenu très impopulaire et “focalisait la colère” au sein du mouvement de contestation (“Hirak”) qui agite le pays depuis des mois.
Sa mort rebat aussi les cartes dans l’armée puisque Gaïd Salah était un des derniers généraux issus de l’Armée de libération nationale (ALN). Une page se tourne. |