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Les jeunes qui se radicalisent ne se tournent pas vers les associations.
Rédactrice en chef au sein du groupe Saphir Média, qui anime depuis dix ans un site Internet consacré à l’actualité musulmane, Huê Trinh Nguyên est bien placée pour l’observer : « La radicalisation du discours musulman sur le Web – qui répond d’ailleurs à celle du discours d’extrême droite – entraîne un nivellement par le bas tant intellectuel que spirituel. Les leaders musulmans classiques n’ont pas pris conscience de l’impact de ces vidéos pas chères postées sur Internet : elles ne sont pas forcément fausses sur le plan de l’orthodoxie, mais simplistes dans leur contenu, et conduisent à un appauvrissement de la pensée. Désormais, le “cheikh google” fait la pluie et le beau temps sur l’islam de France. »
Le facteur religieux n’est pas seul en cause dans l’itinéraire encore assez largement mystérieux qui a mené Mohamed Merah, le septuple meurtrier de Toulouse et Montauban, « des délits de droit commun à la barbarie », selon la formule de Kamel Meziti, secrétaire général du Groupe de recherche islamo-chrétien et membre du Conseil pour la justice, l’égalité et la paix. Tous les responsables musulmans interrogés tiennent à le préciser. Et l’analyse est partagée par Omero Marongiu, sociologue des religions : à ses yeux, le radicalisme religieux – très marginal – n’est qu’une « des facettes des crispations identitaires » qui affectent l’ensemble de la société. Si, comme eux, il n’hésite pas à pointer du doigt « les discriminations, les discours racistes », il estime aussi que « le discours extrêmement normatif diffusé par nombre de mosquées, axé sur l’idée de pureté, de licite et d’illicite, n’aide pas les musulmans à adopter un rapport apaisé à la société ».
Au plan institutionnel, bien sûr, les réformes à mener ne manquent pas pour que les cadres religieux soient mieux formés – « au texte et au contexte », insiste Kamel Meziti, pour que les jeunes musulmans trouvent leur place dans les mosquées, ou encore, comme le souligne le maire Nouveau Centre de Drancy, Jean-Christophe Lagarde, pour « donner à la religion musulmane les moyens financiers dont elle a besoin » et éviter le financement des mosquées par des pays étrangers. Mais parce que ces dossiers – portés par le Conseil français du culte musulman – ont bien du mal à aboutir, d’autres initiatives, plus marginales mais plus concrètes, émergent ici ou là.
C’est parce qu’ils ont constaté le manque d’information de qualité et les faibles moyens financiers que Mohamed Colin et Mourad Latrech ont opté pour la gratuité sur leur site SaphirNews. « Et il y a beaucoup d’autres choses à faire », assure Huê Trinh Nguyên, en énumérant l’enseignement, à travers les instituts de formation privés, mais aussi les conférences données dans les mosquées et les associations musulmanes.
C’est justement à travers un spectacle humoristique – Je vous déclare la paix –, que Farid Abdelkrim, ancien membre de l’Union des organisations islamiques de France, a choisi d’aborder les sujets qui fâchent – la paix, les intégrismes ou encore sa double culture : « Dire que je fais de la prévention est sans doute prétentieux ». En tout cas, avec son spectacle et le débat qui s’ensuit, il essaie « d’ouvrir la porte à l’autocritique et à la critique ».
Professeur d’histoire au Collège Diderot de Massy (Essonne), Fouzia Oukazi a tenu à débattre des drames de Toulouse et Montauban avec ses élèves. Dans sa classe de 6e, un seul adolescent donnait raison au terroriste, au motif qu’il y a « trop d’injustice et d’humiliations ». «Certains ont en eux une telle rage et une telle hargne que lorsque certains font exploser leur violence, ils disent tout simplement bravo»,explique l’enseignante, membre par ailleurs d’une confrérie soufie et engagée auprès du Groupe d’amitié islamo-chrétienne.
« Dans ce cas de figure, c’est très important d’écouter. Car la radicalisation arrive souvent comme une dernière solution après un isolement et une dislocation des repères », explique la professionnelle de l’éducation, qui intervient sur son temps libre dans les quartiers ou dernièrement dans la maison d’arrêt de Nanterre. « On a fait notre boulot », assure aussi Hocine Sadouki, responsable des Scouts musulmans de France, citant l’allumage l’an dernier de la Flamme de l’espoir citoyen, en hommage aux soldats musulmans morts pour la France.
Reste une difficulté, qu’il ne nie pas : « Les jeunes qui se radicalisent ne se tournent pas vers les associations.» Diaryatou Bah, l’une des « ambassadrices de la laïcité » appelées à faire dans les quartiers populaires de la pédagogie autour de la loi interdisant le voile intégral, le confirme : « De leur point de vue, je ne suis pas une vraie musulmane, et nous entrons vite dans un dialogue de sourds. Je crois qu’il faut multiplier les arrestations des imams intégristes avant qu’ils ne récupèrent les publics les plus à bout et fragiles. »
« À chacun de faire sa part du boulot », conclut Omero Marongiu. « Aux politiques de tenir des discours d’apaisement, aux élus locaux d’agir sur les conditions de vie, et aux responsables musulmans de sortir d’une approche trop normative de l’islam. »
Il va s’agir d’évoquer les bonnes pratiques en islam, Mohamed Bajrafil va au préalable souligner que « la détestation et la haine ne peuvent pas être un acte d’adoration ; ce sont des maladies rongeant toute personne qui en est atteinte.”
Le musulman n’a plus le droit de se contenter de dire que ce n’est pas l’islam (lorsque des actes terroristes sont commis au nom de la religion musulmane, ndlr). Il se doit de bouger. La religion musulmane est aujourd’hui connue davantage pour Daesh et Boko Haram que pour la miséricorde du Prophète et la richesse civilisationnelle dont elle a accouché. Parce que notre but est d’être sur Terre les vicaires de Dieu, nous nous devons d’éviter qu’ait lieu ce que les anges ont dit à Dieu, corruption et effusions multiples de sang.
Jean-Baptiste FRANÇOIS et Anne-Bénédicte HOFFNER