On peut regretter qu’une telle monstruosité suscite assez peu d’émotion chez nous, mais il faut croire que c’est la loi du genre.
Peut-être aussi qu’en matière de terrorisme, comme tant d’autres, on se croit facilement le nombril du monde. Au point qu’il se trouve encore des imbéciles pour nous expliquer, de manière plus ou moins subtile, que les attentats islamistes en France sont – aussi – la faute de Charlie Hebdo, des caricatures du Prophète, ou de l’« islamophobie », et qu’il faudrait une laïcité « apaisée ». Qui croit encore à cette sinistre farce ?
Que nos champions de l’« apaisement » aillent faire un tour à Maiduguri, à la rencontre des nervis de Boko Haram, probablement heurtés dans leur conscience par notre loi de 1905, afin de les rassurer… Il est triste d’avoir à rappeler sans cesse ceci : l’islamisme ne tue pas parce qu’on le provoque, il tue parce qu’il est l’islamisme. Et il a, au passage, assassiné beaucoup plus de musulmans que de chrétiens, beaucoup plus de Syriens, Maliens, Irakiens ou Nigérians que de Français ou d’Américains.
Glorieuse tribune. On cherche en vain, aussi, dans le cas nigérian, en quoi les interventions militaires de l’Occident peuvent être responsables de cela. Cette question vous paraît absurde ? Pas à tout le monde, apparemment. Une tribune publiée par L’Obs le mois dernier recommandait de « sortir du déni » sur ce sujet, et de faire un petit examen de conscience. Tout mérite certes d’être étudié, bien sûr, y compris les opérations extérieures ratées – soit dit en passant plus patentes de la part de l’Amérique que de la France. Mais la causalité est en l’occurrence inversée. La rigueur historique et la connaissance des faits ne sont pas le fort des signataires de cette glorieuse tribune, parmi lesquels de grands géopoliticiens comme Virginie Despentes et Bruno Gaccio (ancien des Guignols de l’info sur Canal +), mais aussi Alain Badiou. Mais, surtout, ils gagneraient pour leur part à « sortir du déni » sur ce qu’est l’islamisme. Et à réfléchir avant de proférer des énormités comme ce concept de « terrorisme de l’air », censé désigner les bombardements de l’Otan… « Il ne suffit pas d’être inutile, disait Francis Blanche, encore faut-il être odieux. »
Évidemment, comme le Nigeria est loin, on dira que c’est autre chose, une histoire particulière. C’est oublier l’allégeance, en 2015, de Boko Haram à l’État islamique (tout comme les tueurs du Bataclan), après avoir entretenu des liens avec Al-Qaïda (comme les assassins de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher), dont Mokhtar Belmokhtar, issu du GIA algérien, sans compter les shebabs somaliens. Non, les carnages du Nigeria n’ont pas complètement « rien à voir » avec ceux de Nice ou de Conflans-Sainte-Honorine.
Apathie de la société. Boko Haram a certes ses spécificités, mais baigne dans la même marmite djihadiste, avec ses sectes et courants se livrant parfois à une surenchère dans le fondamentalisme, s’affrontant ou s’alliant au gré des circonstances. Le mouvement a ainsi connu une scission il y a quelques années, certains trouvant le leader, Aboubacar Shekau, trop radical, et estimant qu’il ne fallait pas tuer les civils musulmans (les autres, ce n’était pas grave…). L’État islamique aussi avait jugé Shekau trop extrémiste, ce qui donne une idée du personnage. Toutefois, la « modération » du courant sécessionniste est à relativiser : après l’assassinat de deux humanitaires – musulmanes – en 2018, il a fait savoir que cela était justifié par le fait qu’elles travaillaient pour la Croix-Rouge, signe selon lui de leur apostasie. Mais peut-être la présence de la Croix-Rouge pour soigner les laissés-pour-compte de cette région particulièrement pauvre était-elle une provocation… Qu’en pensent nos « apaiseurs » ?
En 1976, l’immense musicien nigérian Fela Kuti sortait Zombie, un disque en forme de charge contre les soldats de la dictature militaire. Cette insolence – de plus – lui valut un raid de l’armée au cours duquel sa mère fut défenestrée. Fela composa alors Sorrow Tears and Blood, dans lequel il regrettait l’apathie de la société face à l’oppression : « Nous avons peur de l’air qui nous entoure / Nous avons peur de nous battre pour la liberté », chantait-il, raillant les excuses invoquées ici et là pour ne pas faire front.
Aujourd’hui, de nouveaux « zombies » sont en marche : ils se nomment djihadistes. Et ils sont nombreux ceux qui, notamment chez nous, peut-être effrayés par l’air ambiant, cherchent des dérobades§